États-Unis : la gauche marque des points lors des « midterms »

L’aile progressiste du Parti démocrate, qui sort confortée des scrutins du 8 novembre, conserve les moyens de peser sur la seconde moitié du mandat de Joe Biden.

Alexis Buisson  • 15 novembre 2022 abonné·es
États-Unis : la gauche marque des points lors des « midterms »
© Joe Biden salue le résultat des midterms, le 10 novembre. (Photo : Mandel NGAN / AFP.)

Les résultats définitifs des élections de midterms (à mi-mandat présidentiel) ne seront pas connus avant le 6 décembre, date du second tour de la sénatoriale en Géorgie (sud-est des États-Unis).

Mais un constat est déjà établi, au lendemain de la journée de vote du 8 novembre : ces scrutins qui déterminent le contrôle du Congrès (renouvellement de l’intégralité de la Chambre des représentants et d’un tiers du Sénat) ont souri aux plus progressistes des candidats démocrates, même s’ils étaient moins nombreux sur la ligne de départ qu’en 2020.

Les « stars » de la gauche de la gauche ont toutes passé avec succès l’épreuve du feu : les députés Alexandria Ocasio-Cortez (New York), Jamaal Bowman (New York), Rashida Tlaib (Michigan), Ilhan Omar (Minnesota) et Cori Bush (Missouri), qui constituent le « Squad », groupe informel de jeunes élus non blancs prônant des réformes sociales et environnementales radicales (hausse du salaire minimum, assurance santé publique pour tous, transition écologique, réforme de la police, dépénalisation du cannabis…), ont été reconduits à la chambre basse, avec parfois plus de voix qu’en 2020.

Ils peuvent se féliciter d’avoir élargi leur cercle avec l’élection d’autres talents prometteurs. Maxwell Frost, 25 ans, rejoint ainsi la Chambre des représentants en tant qu’élu d’une circonscription en Floride. Benjamin de l’hémicycle, ce militant afro-cubain, chauffeur Uber et luttant pour le contrôle des armes à feu, devient le premier membre de la « génération Z » (née autour des années 2000) à faire son entrée au Congrès.

Terrain rugueux

Citons aussi Summer Lee, première femme noire à représenter, à la Chambre, une circonscription de Pennsylvanie, malgré les millions de dollars dépensés contre sa candidature par un groupe pro-Israël ; Becca Balint, première femme lesbienne choisie pour être députée du Vermont ; ou encore Greg Casar, qui s’est imposé dans la ville démocrate d’Austin, au Texas, avec un programme résolument à gauche (annulation de la dette étudiante, assurance santé pour tous, réduction du budget de la police…). Leur point commun : c’est la première fois qu’ils se présentaient au Congrès.

L’ancien vice-gouverneur de Pennsylvanie, John Fetterman, qui rejette l’étiquette « progressive » (progressiste), même s’il en épouse les positions sur l’accès à la santé et le soutien aux classes laborieuses, fera, lui, son entrée au Sénat au terme d’une campagne très disputée face au trumpiste Mehmet Oz.

Sa victoire inespérée assure aux démocrates au moins cinquante sièges à la chambre haute, qu’ils contrôleront indépendamment du résultat de la Géorgie. « Les candidats progressistes ont passé une très bonne soirée électorale », s’est félicité sur Twitter leur mentor à tous, le sénateur du Vermont Bernie Sanders, qui a fait campagne pour eux.

La forte participation des jeunes pourrait tirer le Parti démocrate encore plus à gauche.

Quand ils commenceront officiellement leur mandat, en janvier 2023, ils découvriront toutefois un terrain politique rugueux (lire encadré ci-contre). Déjà, pendant les deux premières années de la présidence Biden, les ambitions de la centaine de membres du Caucus progressiste du Congrès, groupe parlementaire réunissant l’aile gauche, avaient été largement contraintes par un seul homme : Joe Manchin, le sénateur démocrate centriste de Virginie occidentale.

Un Sénat démocrate, une Chambre (sans doute) républicaine

Même si Joe Biden s’est réjoui de la bonne performance des démocrates lors des midterms, la seconde moitié de son mandat ne s’annonce pas aussi confortable qu’il le laisse entendre. Sans majorité à la Chambre des représentants, il risque de subir un blocage sur ses grands projets législatifs (renforcement des protections du droit de vote, législation sur l’avortement…). Les républicains contrôleront les commissions élaborant les lois et pourront diligenter des enquêtes sur le gouvernement. Ils ont d’ores et déjà indiqué qu’ils seraient particulièrement agressifs, dans l’espoir d’affaiblir Joe Biden d’ici à la présidentielle de 2024. Toutefois, les républicains seront loin d’avoir les coudées franches. Alors que le Sénat leur échappe et que leur probable majorité à la Chambre des représentants sera très étriquée (peut-être à peine 5 sièges d’avance sur 435, en attendant les derniers décomptes), ils seront à la merci de divisions internes entre l’aile trumpiste extrême (Freedom Caucus) et le bloc plus modéré. Leur bras de fer a d’ailleurs déjà commencé, au sujet de la désignation du « speaker », le chef de la majorité et président de la Chambre des représentants.

Élu (et réélu le 8 novembre) d’un État riche en énergies fossiles, il s’est opposé à nombre de leurs propositions de réformes climatiques et fiscales, au motif qu’elles étaient trop radicales pour le pays.

Comme les démocrates ne disposaient que de la plus étroite des majorités au sein de la chambre haute (cinquante sièges contre cinquante pour les Républicains, et le seul vote de la vice-présidente démocrate, Kamala Harris, pour départager les deux camps en cas d’égalité) ou à la Chambre des représentants, la gauche de la gauche avait dû faire des compromis sur ses chevaux de bataille, notamment le renforcement du (maigre) filet social américain, à travers l’extension de l’accès aux maternelles publiques et l’instauration de congés payés au niveau national.

Alors que les démocrates se retrouveront très probablement en minorité à la Chambre des représentants à la suite des midterms, l’impact du camp progressiste sur le travail législatif au Congrès sera encore plus limité – voire inexistant. Au sein du Parti démocrate, cependant, c’est une autre histoire. La forte participation des jeunes (18-29 ans), génération la plus socialiste de l’histoire, qui avait déjà joué un rôle important dans la victoire de Joe Biden en 2020, pourrait le tirer encore plus vers la gauche.

Décrets et priorités

C’est du moins le souhait des groupes qui constituent la galaxie progressiste américaine (Justice Democrats, Sunrise Movement, Democratic Socialists of America…). Au lendemain des midterms, ils cherchaient tous à mettre l’accent sur le rôle de cet électorat dans les bons résultats des démocrates.

Aiguillonnés par l’inquiétude – recul considérable du droit à l’avortement (1), avenir de la démocratie et de la planète –, les électeurs de moins de 30 ans ont représenté un votant sur huit, et la moitié d’entre eux ont voté à gauche.

« Les démocrates ont besoin de prendre acte du fait que des campagnes très disputées ont été remportées grâce aux idéaux progressistes. Ces derniers ont mobilisé l’électorat », a déclaré dans un communiqué Joseph Geevarghese, le directeur d’Our Revolution, une organisation née dans le sillage de la campagne remarquée de Bernie Sanders en 2016. « Cela envoie un message et une feuille de route claire aux démocrates. En vue de 2024, ils doivent utiliser la popularité du programme progressiste, et non l’ignorer. »

Les progressistes pourront générer de nouvelles idées pour le parti et peser sur le cours de la présidence de Joe Biden.

Seth Masket relativise toutefois. « Ce sont les candidats démocrates modérés qui ont ravi des sièges aux républicains ou qui les ont mis en difficulté pendant les midterms », souligne ce professeur de sciences politiques à l’université de Denver, auteur d’un ouvrage sur les leçons que le Parti démocrate a tirées de la campagne catastrophique de 2016.

« Mais cela ne veut pas dire que les progressistes n’auront pas d’influence. Ils pourront générer de nouvelles idées pour le parti et peser sur le cours de la présidence de Joe Biden. Ce dernier aura à cœur de leur plaire en vue de sa très probable campagne de réélection en 2024. Il voudra s’assurer de conserver l’enthousiasme de leur base. »

Même s’il se retrouve en situation de cohabitation à la suite de la perte prévisible de la Chambre des représentants (lire encadré), le Président pourra recourir aux décrets pour court-circuiter le Congrès. Certes, ils ne sont que des directives de l’administration fédérale, qui peuvent être annulées par le prochain gouvernement, mais ils devraient aider les démocrates à accomplir certaines de leurs priorités.

© Politis
Même s’il se retrouve en situation de cohabitation à la suite de la perte prévisible de la Chambre des représentants, Joe Biden pourra recourir aux décrets pour court-circuiter le Congrès. (Photo : Mandel NGAN / AFP.)

C’est par décret que Joe Biden a, par exemple, annulé partiellement la dette étudiante, en août dernier. C’était une demande de longue date de l’aile progressiste, qui pourrait dorénavant pousser le Président à utiliser plus assidûment cette arme gouvernementale, afin d’améliorer l’accès aux soins, de lutter contre le changement climatique et de poursuivre le travail entamé sur l’annulation de la dette.

Bataille d’influence avant 2024

« Il pourra prendre un certain nombre de décisions de cette manière-là, notamment sur la réglementation environnementale des automobiles et d’autres secteurs. Les progressistes vont lui mettre la pression, prédit Seth Masket. Jusqu’à présent, ils étaient obligés de faire des compromis car ils savaient que le sénateur centriste Joe Manchin bloquerait les propositions trop radicales. Il est désormais probable que l’aile gauche se sente moins tenue à cette recherche de compromis. »

Et quels que soient leurs réussites ou leurs échecs dans les deux ans qui viennent, les suiveurs de Bernie Sanders peuvent déjà se targuer d’avoir pesé grandement sur la politique de Joe Biden, un modéré qui a suivi le virage à gauche opéré par sa famille politique depuis 2016.

Qu’il s’agisse des investissements d’une ampleur historique dans la lutte contre le changement climatique contenus dans sa loi « Inflation Reduction Act », de sa décision de gracier des milliers d’individus condamnés par la justice fédérale pour possession de cannabis, ou encore de l’annulation partielle de la dette des étudiants : ces mesures portent la marque de l’aile gauche, qui ne compte pas en rester là dans la bataille d’influence désormais lancée en vue de la présidentielle de 2024.


(1) À la suite de la révocation de l’arrêt « Roe vs Wade » par la Cour suprême (majoritairement conservatrice), en juin dernier.

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