La corrida, une question politique

À en écouter le gouvernement et les conservateurs, la corrida n’est pas discutable car traditionnelle. Avec sa proposition de loi pour la faire interdire, la gauche en refait un sujet de débat.

Pierre Jacquemain  • 23 novembre 2022
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La corrida, une question politique
© Corrida à Las Ventas, Madrid, en 2017. (Photo : BURAK AKBULUT / ANADOLU AGENCY / ANADOLU AGENCY VIA AFP.)

Emmanuel Macron veut dépolitiser le sport.La corrida est un sport. Emmanuel Macron veut dépolitiser la corrida. C’est en l’espèce ce que le gouvernement tente de faire croire. La corrida n’est pas un sport. C’est une aberration. Une abomination. Un anachronisme.

Longtemps, la question animale est restée un domaine réservé des conservateurs de tous poils. Un sujet apolitique. Presque de bon sens. Comprendre le bon sens d’Emmanuel Macron. « Ça fait partie des traditions culturelles françaises », plaide le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau.

Sauf que la corrida n’a rien d’une tradition française. C’est «un produit d’importation». Comme le rappelle l’historien Fabrice d’Almeida, c’est par la femme de Napoléon III, l’impératrice espagnole Eugénie de Montijo, que la corrida est revenue (après avoir été interdite) et a prospéré en France jusqu’en 1884 – date de son interdiction par Waldeck-Rousseau.

Il faut attendre 1951 pour que la corrida redevienne une pratique autorisée. L’argument traditionnel s’effondre. Vient alors l’argument écologique. Et celui du vivant. Invité de la matinale de France Inter, le 69e matador de France, Raphaël Raucoule (22 ans !), y croit : « On ne défend pas que le taureau en venant défendre la tauromachie. On vient défendre une manière de vivre, une biodiversité. »

La proposition de loi de la gauche visant aujourd’hui à interdire la corrida permet d’imposer un débat.

Et d’ajouter : « Aujourd’hui, on parle de la mort du taureau. Mais ce qu’on fait, nous, c’est prôner la vie. Pas prôner la mort. On a un profond respect pour l’animal. » Le discours est rodé. Et on serait presque séduit et ébloui par tant de passion, s’il n’était pas précisément question de mort. Pire : de mise en scène de la mort. Voyez-les, ces images de banderilles plantées dans le corps du taureau pour sectionner les muscles de son cou. Voyez le sang de la bête gicler par la bouche jusqu’à provoquer l’hémorragie fatale. Glaçant !

Longtemps, la gauche a déserté la souffrance animale. Depuis la présidentielle 2017, le sujet est devenu objet politique. Tant mieux. La proposition de loi de la gauche visant aujourd’hui à interdire la corrida (1), même rejetée par le gouvernement, permet d’imposer un débat.

Un débat qui ne peut pas rester confidentiel. Qu’on ait assisté ou non à des corridas. « Ceux qui critiquent la corrida sont souvent des gens qui n’en ont pas vu», a lancé le patron du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix, sur Public Sénat. On est tenté de lui répondre que ceux qui en ont trop vu sont souvent des gens qui ne voient plus la souffrance et la sauvagerie. Indifférents devant l’horreur.


(1) Débattue ce mercredi 24 novembre 2022 à l’Assemblée.

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Parti pris

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