Marc-Antoine Jamet : baron d’or

Le secrétaire général de LVMH, aussi maire socialiste de Val-de-Reuil, cumule les casquettes mais refuse d’être qualifié d’« homme de réseaux ».

Hugo Boursier  • 30 novembre 2022 abonné·es
Marc-Antoine Jamet : baron d’or
Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Rueil, en décembre 2013.
© CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Jongler entre le public et le privé, Marc-Antoine Jamet ne s’en cache pas : il l’a même théorisé. Le 10 février 2016, lorsqu’il reçoit les insignes d’officier de la Légion d’honneur des mains de son ami Bernard Cazeneuve, le secrétaire général de LVMH et maire socialiste de Val-de-Reuil (Eure) explique : « Je fais du funambulisme entre travail et capital, marché et État, solidarité et entreprise. C’est mon équilibre. Il faut recevoir et restituer. J’ai essayé de rendre le meilleur des deux, ce qui peut, socialement et politiquement, me rapprocher de l’hermaphrodite. »

Je fais du funambulisme entre travail et capital, marché et État, solidarité et entreprise. C’est mon équilibre.

Depuis qu’il cumule ces deux activités, auxquelles il a accédé la même année, en 2001, l’homme marche sur un fil entre les cercles de pouvoir. Avec des identités et des réseaux qui se confondent.

Ce « funambulisme » bien particulier n’est pas encore un sport olympique, même si Marc-Antoine Jamet en serait un fervent représentant. En vue des Jeux de Paris 2024 ? Cette compétition présente pour lui de multiples intérêts. Comme cadre indéboulonnable du numéro un mondial du luxe, qui bénéficierait d’une très forte exposition s’il devenait un sponsor premium : 4 milliards de télé­spectateurs et 10 millions de touristes venus spécialement dans la capitale pour les JO. Comme président du Comité Champs-Élysées, puissant lobby de la célèbre avenue réaménagée pour l’occasion et sur laquelle LVMH possède neuf boutiques. Et comme édile, puisque Val-de-Reuil a été choisi comme ville partenaire. 

Sur le même sujet : Enquête : LVMH Paris sous emprise

La plus jeune commune de France – officiellement créée en 1981 sous le nom du Vaudreuil-Ville nouvelle et renommée Val-de-Reuil en 1984 – accueillera les athlètes internationaux sur son stade flambant neuf Jesse-Owens. Dans la commune voisine de Léry-Poses, la maire, Janick Léger, également conseillère départementale de l’Eure avec Marc-Antoine Jamet, n’est pas en reste puisque son bassin d’aviron a lui aussi été sélectionné. Une base de loisirs gérée par un syndicat mixte pour lequel l’ancien énarque est conseiller, selon sa déclaration faite à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Une participation tentaculaire dans ces JO qui est le fruit d’un long travail de lobbying : le 13 septembre 2017, Marc-Antoine Jamet faisait déjà partie de la délégation ­française envolée à Lima, au Pérou, où Paris a été choisi comme future ville olympique. L’Eure y était bien représentée, puisque l’ancien maire de Val-de-Reuil, Bernard Amsalem (PS), par ailleurs administrateur du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), était sur place.

Le secrétaire général de LVMH faisait la promotion de la firme, qui a déjà contribué à hauteur de 24 millions d’euros au budget de candidature de la capitale. « La ville a obtenu le label “Terre de Jeux”, comme 6 000 autres communes de France. Val-de-Reuil ne profite de rien. On a fait le concours comme tout le monde », estime-t-il.

Mandats stratégiques

« Hermaphrodite » et caméléon. Sur son agenda, Marc-Antoine Jamet passe d’une réunion de la Cosmetic Valley, importante fédération de la filière parfumerie-cosmétique qu’il préside depuis 2011, à une remise de prix à Val-de-Reuil. Parfois, les jobs se superposent, comme ce jeudi 28 juin 2018, où l’assemblée générale de ce regroupement de 800 entreprises, dont LVMH fait figure de proue avec Guerlain, Parfums Christian Dior, Parfums Givenchy et Fresh, a été organisée au théâtre de l’Arsenal de la ville.

Un événement financé par la Cosmetic Valley, assure l’intéressé, qui rappelle que Val-de-Reuil est « une des capitales de la cosmétique ». « C’est peut-être la seule mutualisation de ses deux postes », d’après Philippe Brun, député socialiste de l’Eure et membre de la Nupes. Présent à sa remise de la Légion d’honneur, le jeune élu analyse les talents de celui qui a soutenu sa campagne législative : « Il n’a pas la même capacité de travail que le commun des mortels. Son cumul d’activités, c’est un défi intellectuel pour lui. »

Nombre de Rolivalois vouent la même admiration à leur maire. Depuis 2001, date à laquelle Laurent Fabius, duquel il fut longtemps le conseiller, le parachute à Val-de-Reuil, l’homme bénéficie d’un soutien indéfectible de ses électeurs. Ses résultats aux municipales le confirment : 83 % des voix en 2008, 64 % en 2014 et 80 % en 2020. « Il mène une vraie politique de gauche », poursuit Philippe Brun.

Ses différents mandats ont fait de Marc-Antoine Jamet un baron local : il fut tour à tour conseiller régional de ­Normandie, vice-président de l’agglomération Seine-Eure, puis conseiller départemental de l’Eure depuis l’an dernier. Au PS, l’homme fut premier secrétaire de la fédération de l’Eure de 2012 à 2017 et membre du conseil national du parti, dont il a démissionné en 2017. Tendance Cambadélis contre les « frondeurs » en 2015, signataire du manifeste de Bernard Cazeneuve cette année. Entre les deux, pendant la présidentielle de 2017, il fut un soutien loyal de Benoît Hamon, dont la femme est responsable des affaires publiques chez LVMH.

Tout Politis dans votre boîte email avec nos newsletters !

Un socialisme cousu main que l’homme de réseaux peaufine, comme en témoigne un mandat stratégique absent de sa déclaration à la HATVP : sa présidence au Cercle Pierres d’or depuis 2018, qui réunit chaque année le gratin des professionnels de l’immobilier. « Ce n’est pas moi qui rédige ma déclaration », répond Marc-Antoine Jamet, qui concède ignorer cette absence.

Un mandat bien utile lorsque « l’immobilier est une partie importante de [son] activité chez LVMH », comme il l’explique lui-même au micro du média spécialisé Immoweek. Dans ce podcast, Marc-Antoine Jamet complète sa théorie du funambule en dissociant « l’intérêt collectif français », porté par LVMH, et « l’intérêt général », associé à son action à Val-de-Reuil. Sans mentionner que, pour évoluer sur son fil de l’un à l’autre, son intérêt particulier est un excellent balancier.

Société
Publié dans le dossier
LVMH : Paris sous emprise
Temps de lecture : 5 minutes