LFI fâchée avec la démocratie

Manuel Bompard a pris ce week-end la place très convoitée de « coordinateur » de la France insoumise au terme d’un processus non transparent. Et qui vaut des critiques virulentes en interne venues de Clémentine Autain et François Ruffin.

Pierre Jacquemain  • 12 décembre 2022
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LFI fâchée avec la démocratie
Manuel Bompard à l'Assemblée nationale, en novembre 2022.
© Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP.

« Faites mieux, merci ». Le message adressé par Jean-Luc Mélenchon le soir du premier tour de l’élection présidentielle a longtemps résonné comme un passage de témoin. L’héritage est confortable. Avec près de 22% des voix, l’insoumis en chef a frôlé la qualification au second tour et ainsi permis à la gauche de rupture d’être la force motrice d’une gauche à la peine.

Près de neuf mois plus tard, une génération insoumise s’est installée au Palais Bourbon, forte de 75 nouveaux députés. Parmi eux, Manuel Bompard, vient de prendre la place très convoitée de « coordinateur » de la France insoumise. Enfin, pas tout à fait, selon le député des Bouches-du-Rhône : « contrairement à ce que j’ai pu entendre dans la presse, à la France insoumise, on a des procédures donc il faut les respecter », a-t-il lâché ce matin sur France Inter.

Des procédures que tout le monde ignore. Déjà en 2017, Mélenchon assumait : « La France insoumise est un mouvement. Nous ne voulons pas être un parti. Le parti, c’est l’outil de classe. Le mouvement est la forme organisée du peuple. L’idée, c’est d’articuler le mouvement, sa forme et son expression : le réseau. Donc quand on nous demande où est la direction, ça peut vous paraître étrange, mais il n’y en a pas. Notre mouvement n’est ni vertical ni horizontal, il est gazeux. »

Gazeux. C’est tout le problème. Gazeux sur les postes. Gazeux sur l’organisation. Gazeux sur les orientations stratégiques et politiques. L’enjeu « n’est pas d’être démocratique mais collectif », plaidait-il. Aujourd’hui, Bompard lui emboîte le pas : « Le vote n’est pas forcément l’alpha et l’oméga de la démocratie », déclare-t-il sur Mediapart.

Pour un mouvement qui plaide pour un renouveau démocratique, la méthode a de quoi surprendre.

C’est donc à partir de cette vision de la « démocratie » – et donc sans vote – que les Autain, Coquerel, Corbière, Garrido ou Ruffin se sont vus écartés des instances de direction ce weekend. Les intéressés n’avaient été informés d’à peu près rien ni des « procédures », ni des décisions qui en découleraient. Les militants ont-ils été plus consultés ?

Charges violentes

Pour y répondre, encore faudrait-il savoir qui sont les militants de la France insoumise. Où sont les 360 000 personnes revendiquées par le député des Bouches-du-Rhône : « Nous sommes sans doute le premier mouvement politique de France », a-t-il lancé au micro de Salamé et Demorand. Tellement attractif que le NPA se paye une fracture sur la stratégie de l’union, ou a minima, du renforcement des liens entre les deux familles politiques.

Imaginons un instant que dans ce contexte, Besancenot et Poutou soient tentés de rejoindre la France insoumise : par où, par qui, se ferait l’entrée ? Quel est le parcours-type militant ? Une adhésion ? Un clic ? Par « cooptation », dénonce Clémentine Autain aujourd’hui dans Libération. De quoi « favoriser les courtisans et contribuer à faire taire la critique », analyse-t-elle.

Elle sonne aujourd’hui l’alerte à la une de Libération : « Il faut démocratiser la France insoumise », assume-t-elle tout en constant que « le repli et le verrouillage ont été assumés de façon brutale. Les militants n’ont pas eu voix au chapitre alors qu’ils devraient être les acteurs principaux du mouvement. » Même son de cloche du côté de François Ruffin. Il a dénoncé des désignations faites « au consensus d’un petit groupe qui s’est mis d’accord avec lui-même ».

En écartant Autain et Ruffin, les Insoumis les placent, peut-être malgré eux, au centre du jeu politique.

Les charges sont violentes et ne sont pas isolées. La députée européenne, Leïla Chaibi, parle de « presque purge ». Pour un mouvement qui plaide pour une VIe République et un renouveau démocratique, la méthode a de quoi surprendre. Tout laisse à croire que le mouvement s’organise pour ne pas laisser une tête dépasser.

Autain a eu le tort de dénoncer, de longue date, l’absence de démocratie interne et s’est aussi montrée un peu trop pressante dans l’affaire Quatennens – elle qui défend la suspension du député du nord du groupe LFI tout en plaidant pour un travail de « réhabilitation ».

Sur le même sujet : François Ruffin : « Les classes populaires font tenir la France debout »

Ruffin, quant à lui, s’est attiré les foudres de ses petits camarades quand il a parlé de cette « France périphérique » délaissée par la gauche au profit des catégories sociales supérieures, urbaines. Des critiques qui n’ont pas plu en interne et qui pourtant séduisent à l’extérieur du mouvement. Reste qu’en écartant Autain et Ruffin – les deux personnalités les plus populaires de LFI après Mélenchon – les insoumis les placent, peut-être malgré eux, au centre du jeu politique.

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