François Ruffin : « Les classes populaires font tenir la France debout »

Le député La France insoumise de la Somme, revient pour Politis sur la mobilisation sociale en cours et replace la « valeur travail » au centre du débat à gauche.

Nadia Sweeny  et  Hugo Boursier  • 26 octobre 2022 abonné·es
François Ruffin : « Les classes populaires font tenir la France debout »
© François Ruffin recevant Politis, à l'Assemblée nationale fin octobre 2022. (Photo : Maxime Sirvins.)

Pouvoir d’achat, précarité et inégalités salariales : le mouvement social dans les raffineries met les combats favoris de François Ruffin à la une. Des combats essentiels qui s’imposent à une gauche qui les a trop souvent délaissés et qui, par conséquent, retrouvent une certaine centralité au sein de la Nupes, après une rentrée marquée par les violences sexistes.

Le député de la Somme n’attendait que cela, lui qui se veut le porte-voix des campagnes populaires. Depuis, il multiplie les interventions en s’appuyant sur son dernier livre, Je vous écris du front de la Somme (Les Liens qui Libèrent). C’est le récit d’une Picardie que le Rassemblement national a, pour une bonne part, su convaincre.

Mais aussi une réflexion sur cette « valeur travail » que la gauche doit se réapproprier, notamment pour pouvoir défaire l’extrême droite dans cinq ans. L’occasion, pour le député insoumis, d’expliquer quelle pierre il compte apporter à cet édifice.

La grève des raffineries a suscité un discours opposant les grévistes aux travailleurs qui ont besoin d’essence… Cependant, d’après un sondage, 48 % de la population soutient cette mobilisation. Comment analysez-vous cette distorsion ?

François Ruffin : J’avais 20 ans lors des grandes grèves de 1995 et c’était déjà le même discours sur les cheminots qui empêchaient les gens d’aller au travail. Rien de neuf sous le soleil médiatique. La question fondamentale, c’est comment, à gauche, on montre qu’un conflit sectoriel a une valeur universelle ou au moins nationale.

Au fond, la grève chez Total n’aurait jamais dû avoir lieu, car l’État aurait dû intervenir il y a déjà six mois quand les résultats sont tombés : 10 milliards d’euros de bénéfices en un semestre. Ce succès devrait se répercuter non seulement sur les salariés de l’entreprise, mais aussi sur l’ensemble des automobilistes et des salariés français. Or l’État ne vient pas rétablir la justice. Au contraire, il renforce l’injustice par des mesures fiscales.

Amazon et Total ne payent pas d’impôt sur les sociétés en France, alors que le boulanger du coin est imposé à 24 %.

Même le journal Les Échos constate que c’est une année record en dividendes pour les entreprises du CAC 40, qui atteignent 44 milliards d’euros ! Or les deux tiers de ces dividendes vont à seulement 0,1 % des Français les plus riches. En parallèle, les salaires des PDG ont doublé l’année dernière et, d’après l’Insee, les taux de marge des entreprises n’ont jamais été aussi élevés depuis la création de l’indice en 1949. C’est un gigantesque gavage en haut alors qu’en bas on subit du rationnement.

Photo : Maxime Sirvins.

Un sondage du Secours populaire montre une tripartition du corps social. Un tiers de la population française ne ressent pas la crise de l’inflation. J’en fais partie, les décideurs de ce pays aussi. En revanche, 37 % de la population se restreint sur la quantité dans son assiette. C’est une masse critique qui dépasse la simple pauvreté : on parle de la faim ! 41 % des Français ne savent pas comment régler leurs factures. Enfin, il y a un entre-deux qui se demande ce qui va lui arriver et qui a peur.

Ces inégalités mettent-elles en péril l’unité de la nation ?

Il faut être attentif à cette unité et à celle des travailleurs. Il faut rétablir un équilibre entre les entreprises pour rétablir un équilibre entre les salariés eux-mêmes. La caisse de péréquation ou la sécurité sociale et économique que je veux mettre en place doivent avoir cette fonction. La fiscalité doit aussi être utilisée pour rétablir cet équilibre.

Or, aujourd’hui, elle produit l’inverse : Amazon et Total ne payent pas d’impôt sur les sociétés en France, alors que le boulanger du coin est imposé à 24 %. Par l’impôt, on devrait déjà rétablir un premier équilibre. La gauche, traditionnellement – et à raison –, a été pour la répartition du capital et du travail à l’intérieur de l’entreprise. Je pense qu’on doit veiller à la répartition de la valeur ajoutée non plus seulement dans l’entreprise mais entre les entreprises.

Car plus ça va, plus les profits remontent vers la firme donneuse d’ordre, qui, elle, passe par un sous-traitant, qui lui-même fait affaire avec un sous-sous-traitant, etc., jusqu’à l’autoentrepreneur. Or, plus on descend dans les étages, moins les salariés ont de droits. On ne peut pas avoir, d’un côté, des salariés de firmes avec un comité d’entreprise, un 13e mois, des primes et, de l’autre, des sous-traitants chez qui il n’y a rien.

Qu’est ce qui fait encore du « commun » entre les classes populaires ?

Quand on demande aux Français s’ils sont d’accord pour relever les salaires, 80 % répondent « oui ». Pour limiter les profits : 80 % également. Quand on leur demandait en 2005 s’ils étaient favorables à la concurrence libre et non faussée et à la libre circulation des capitaux et des marchandises, y compris avec les pays tiers, 81 % des ouvriers, 71 % des employés et 67 % des chômeurs répondaient « non ». Il y a encore beaucoup de pensée commune à l’intérieur des classes populaires dans leur diversité. Il faut appuyer sur ces points communs plutôt que là où ça peut nous diviser.

L’histoire du mouvement ouvrier, c’est la fierté au travail, son revenu et sa valeur émancipatrice, mais aussi la conquête du droit au repos.

Mais deux

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