« 7 femmes en scène » : rallumer les étoiles

Dans un passionnant essai, Juliette Riedler convoque sept artistes d’époques et de pratiques différentes. À travers des portraits singuliers, elle met au jour des mécanismes d’émancipation possible par la scène.

Anaïs Heluin  • 25 janvier 2023 abonné·es
« 7 femmes en scène » : rallumer les étoiles
Sarah Bernhardt
© Ann Ronan Picture Library / Photo12 via AFP.

7 femmes en scène. émancipations d’actrices /Juliette Riedler / L’Extrême contemporain / 239 pages / 22 euros

En ouvrant son livre 7 femmes en scène. Émancipations d’actrices sur le nom d’Olympe de Gouges, Juliette Riedler entame une plongée dans un pan de l’histoire de l’art aussi riche en aventures et en révolutions que méconnu. Célèbre pour ses combats en faveur des droits des femmes, cette figure l’est un peu moins pour la troupe de théâtre itinérante qu’elle fonde et avec laquelle elle monte ses propres textes antiesclavagistes et féministes.

Guillotinée en 1793, elle aurait eu sa place parmi les femmes auxquelles Juliette Riedler consacre son livre. En convoquant sa mémoire, la chercheuse, qui est aussi metteuse en scène et interprète, place ses sept sujets d’étude, ses « étoiles », au sein d’une constellation artistique vaste et pourtant largement invisibilisée pour deux raisons principales : elle appartient au « deuxième » sexe et se trouve dans un système dont la hiérarchie est dominée par l’auteur et le metteur en scène.

Juliette Riedler (Photo : DR.)

Les sept astres de Juliette Riedler sont les cœurs battants d’une étude à leur image : indisciplinée, rebelle aux catégories. D’époques et de pratiques artistiques très différentes, ces « actrices » – le mot est à entendre au sens large – que sont Sappho, la comédienne Sarah Bernhardt, la chanteuse Yvette Guilbert, la mime et femme de lettres Colette, la danseuse Isadora Duncan, l’humoriste Zouc et la metteuse en scène et interprète Angélica Liddell peuplent toutes ensemble les cinq parties du livre.

Du chapitre « D’où elles s’émancipent », qui dépeint les contextes de domination où les artistes ont dû imposer leurs gestes, à « Ourses et poétesses », où ces derniers sont décrits dans leur accomplissement, les sept destinées s’entremêlent avec une grâce qui n’ôte rien à la rigueur de l’analyse.

Mécanismes d’émancipation

Placées sous la protection de la poétesse grecque de l’Antiquité Sappho, qui renversait la tradition homérique en imposant le point de vue féminin, ces sept personnalités mettent au jour, sous la plume de l’autrice, des mécanismes d’émancipation. Par-delà leur appartenance à un temps et à un milieu, elles disent la capacité de la scène à transformer au moins en partie le réel.

L’humoriste Zouc. (Photo : Pierre Leteuil / Ina via AFP.)

Les écrits des artistes sur leurs propres pratiques sont aux yeux de Juliette Riedler une source passionnante pour l’étude de parcours qui témoignent « de la croyance en d’autres logiques, en un monde affranchi des rapports de pouvoir et qui ne demande qu’à “persévérer dans son être” ».

En les lisant à la lumière d’autres textes d’hier, ainsi que d’ouvrages de sciences humaines récents, l’essayiste fait preuve d’un rapport au temps et à l’espace tout sauf linéaire.

Dans l’aller-retour permanent entre l’Antiquité de Sappho et le présent d’Angélica Liddell, en passant par la Belle Époque de Sarah Bernhardt, Yvette Guilbert et Isadora Duncan et les années 1970-1980, 7 femmes montre la difficulté qu’a le jeu au féminin à faire date, à s’inscrire dans l’histoire officielle.

Se ressaisir des audaces passées

Les mises en scène d’Hamlet et de Lorenzaccio par Sarah Bernhardt, qui en interprétait les rôles-titres dans son propre théâtre, la danse « entre le mythe et la réalité d’un corps sexué » d’Isadora Duncan, ou encore L’Alboum qui fut pour Zouc l’œuvre de toute une vie ont pourtant fait bien davantage que permettre l’émancipation de leurs créatrices.

Juliette Riedler n’attend pas d’arriver à la conclusion de son livre pour dire comment ses étoiles ont permis à d’autres d’oser s’inventer hors des esthétiques et des propos majoritaires. En s’affranchissant des normes qui cantonnent habituellement la femme à une place subalterne, définie d’abord par son sexe, elles ont inventé des formes singulières, étroitement liées à leur personnalité, mais partageables par le plus grand nombre.

Tournant à leur avantage des usages et des pensées souvent discriminants – le livre souligne par exemple l’étroit parallèle entre la définition de l’hystérie par Charcot à la fin du XIXe siècle et la perception des actrices de l’époque –, les sept femmes de Juliette Riedler sont une invitation à se ressaisir, aujourd’hui, des audaces passées pour les prolonger.

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Culture
Temps de lecture : 4 minutes