À Laon, « Macron se fout des ouvriers qui n’arrêtent pas de faire des efforts »

Dans cette commune de l’Aisne, la deuxième journée de mobilisation de ce 31 janvier a rempli toutes ses promesses en réunissant près de 4 000 personnes. Politis était parmi elles. Un reportage à lire et à écouter.

Hugo Boursier  • 31 janvier 2023
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À Laon, « Macron se fout des ouvriers qui n’arrêtent pas de faire des efforts »
4 000 personnes ont défilé ce mardi à Laon, dans une ville qui en compte 24 000.
© Hugo Boursier

Dans l’Aisne, après Saint-Quentin le jeudi 19 janvier, c’était au tour de Laon d’accueillir la manifestation départementale pour cette deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Toute la matinée, environ 4 000 personnes ont défilé, selon les syndicats, dans les rues de cette commune de l’Aisne de 24 000 habitants.

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« Un chiffre historique » que François Pozzo di Borgio, secrétaire générale de Force ouvrière pour ce département, n’a pas manqué de souligner. Dès 10 h 30, l’enthousiasme a gagné les rangs de nombreux habitants venus là « pour marquer le coup devant un texte injuste », alors que quatre autres manifestations étaient prévues dans le département plus tard dans la journée.

« Il y a beaucoup de gens, comme moi, qui d’habitude, ne manifestent pas. Je ne suis pas syndiqué, rien. Mais là, j’estime que le contrat social est cassé », explique Jean-Pierre, conducteur d’autocar de 58 ans :

Après être parti de la gare, le long et sinueux cortège s’éloigne du centre-ville pour démarrer une boucle qui durera plus de deux heures. Bien représentés, les salariés de William Saurin dénoncent unanimement une réforme qui « demande aux gens de bosser toujours plus, sans contre-partie ».

J’estime que le contrat social est cassé.

Depuis début janvier, le géant industriel Cofigeo, qui détient Panzani, Zapeti et William Saurin, a fermé quatre sites, dont celui de Pouilly-sur-Serre, au nord de Laon. Cet arrêt, décidé par la direction pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, devrait durer un mois.

Le cortège de William Saurin, d’autant plus combattif qu’en difficulté après la fermeture temporaire de leur usine. (Photo : Hugo Boursier.)

Dans ce contexte, la réforme des retraites est une angoisse de plus pour Monique, 48 ans, qui travaille comme responsable traçabilité dans l’entreprise de plats cuisinés. « J’ai commencé à bosser à 18 ans. Je ne veux pas aller jusqu’à 64. Nous, les femmes, on fait un double-métier dans notre vie. Le boulot, la famille. Mentalement, c’est trop compliqué » explique-t-elle, devant le cortège de ses collègues un peu plus bas.

Nous, les femmes, on fait un double-métier dans notre vie. Le boulot, la famille.

« Eux qui sont sur la chaîne de production, pointe-t-elle, ils ne pourront pas. C’est trop dur ». Le 19 janvier, Monique n’a pas pu manifester. Elle gardait ses petits-enfants. « C’est aussi pour eux, pour défendre leur avenir, qu’on se bat. Si le gouvernement ne lâche pas, nous, on tiendra », répète-t-elle, combattive, en se réchauffant les mains.

Des retraités nombreux à manifester

À chaque discussion, un argument revient sans cesse : la pénibilité. L’âge repoussé apparaît comme une épreuve toujours plus difficile à surmonter. « Je suis cheffe de ligne dans une société agroalimentaire en Picardie. On nous prend jamais en considération. J’ai fait une simulation : devinez-quoi, je devrais partir à 70 ans. C’est sérieux ? » demande, amère, Véronique.

Dans la commune, la part des ouvriers avoisine celle des employés, selon l’Insee. Une population plus populaire souvent confrontée à des métiers difficiles, alors que les aînés retraités, qui représentent un quart des habitants de Laon, sont aussi nombreux à manifester.

Cette pénibilité tant évoquée, encore faut-il qu’elle soit reconnue. Alors que le cortège s’enfonce dans une ruelle plus étroite et tourne autour d’un orchestre de cuivre, Christelle, éducatrice à l’aide sociale à l’enfance, constate que son métier ne coche aucun critère de pénibilité.

L’orchestre a permis de réchauffer quelques minutes les manifestants agglutinés autour. (Photo : Hugo Boursier.)

« Pourtant, c’est très dur psychologiquement, je vous assure », promet-elle, à côté de ses deux copines, également dans l’ASE (aide sociale à l’enfance). « Je fais ce métier depuis 25 ans. Je vais devoir partir à 64 ans, et encore, je ne sais pas si j’aurai tous mes trimestres ». La cinquantenaire ne comprend pas comment un gouvernement « peut balancer des projets comme ça, sans avoir l’avis du peuple ». Pour elle, « il y a un fossé entre Macron et nous ».

La peur de s’appauvrir avec l’âge

Non loin de Véronique, Frank, 52 ans, écoute attentivement la conversation. « Moi aussi, je suis à l’usine ! », lance-t-il, derrière ses carreaux de lunettes un peu embués. « Si Macron et Borne veulent faire la retraite à 64 ans, il faut qu’ils mettent un peu d’argent pour installer des Stannah ! », plaisante-t-il devant ses amis, hilares, en référence aux monte-personnes électriques prisés par les personnes âgées.

Son sourire se pince. Puis s’arrête. « Je vais devoir partir très tard. J’ai fait 20 ans dans la fonction publique et très longtemps sur des contrats de 20 heures par semaine », explique celui qui a rejoint la société où travaille aussi Véronique.

Cette injustice devant ceux qui s’en mettent plein les poches, j’en ai marre.

À 1 500 euros par mois, il s’inquiète pour sa future pension. Et veut à tout prix éviter de s’appauvrir avec l’âge. Sa soixantaine, il la voit de cette manière : « devenir un cas-soc’ », c’est-à-dire, selon lui, bénéficier des allocations chômage – du moins ce qu’il en reste -, soit reprendre un petit boulot, pour dépanner. Frank en connaît.

« Cette injustice devant ceux qui s’en mettent plein les poches, j’en ai marre » déplore-t-il devant une ligne de pompiers qui, rejettent eux-aussi le projet d’Elisabeth Borne, avec un départ qui serait repoussé à 59 ans. Le taux de pauvreté dans l’Aisne se situe à 18,6 %, 4 points de plus que celui de la France métropolitaine, bien que les couronnes périurbaines de Laon et de Saint-Quentin, à 50 km au nord, soient un peu épargnées.

Contre la « société de Macron »

Jean-Pierre, qui n’avait jamais manifesté avant à presque soixante ans, aperçoit la gare au loin. Il évoque « ces entreprises du CAC 40 qui n’ont jamais fait autant de bénéfices ». « Et nous, on nous demande de payer pour eux ? Il faut arrêter de prendre les Français pour des imbéciles ». Il rappelle son quotidien, et veut alerter sur le danger qu’une telle réforme pourrait faire peser « si on continue de tirer trop sur la corde » :

« Je sais pas si vous, vous le feriez de monter dans un bus dont le chauffeur est grabataire ? » interroge-t-il. Une image qui lui permet de parler de la vieillesse. Lui aussi, c’est un sujet qui l’inquiète, alors que son dos lui cause « plein de soucis ».

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« Si c’est pour sortir du travail et d’aller directement à l’Ehpad où, là, les grosses boîtes se font un malin plaisir pour amasser tout ce qu’on a mis de côté, non merci. Finalement, on n’aura pas profité de nos enfants, de nos petits-enfants, de notre retraite. C’est que du pognon qui rentre dans la poche des patrons. C’est celle-là, la société de Macron ! » peste-t-il, en se tournant vers la longue lignée de manifestants qui arrive au rond-point de la gare.

C’est que du pognon qui rentre dans la poche des patrons.

Il évoque ensuite les différentes stratégies si la mobilisation perdure. Les journées de grève coûtent chères. « Les syndicats évoquent des manifestations le samedi. C’est pas stupide, même si des gens bossent le week-end. Mais au moins, ça ramène ceux qui ne peuvent pas ou n’osent pas faire grève la semaine. Ça arrive », explique le père de famille. « En tout cas, je serai là ».

S’il y a un seul mérite à reconnaître à cette réforme des retraites, c’est qu’elle a su mobiliser des personnes qui, avant, n’avaient jamais bravé le pavé. Mais qui désormais, jusqu’au retrait du texte, ne le quitteront plus.

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