Lützerath, une victoire écologiste

En Allemagne, bien qu’expulsés par la police d’une ZAD emblématique bloquant l’extension d’une mine de charbon, les activistes climatiques voient le rapport de force politique évoluer en leur faveur.

Philippe Pernot  • 17 janvier 2023 abonné·es
Lützerath, une victoire écologiste
Manifestation le 14 janvier à Keyenberg, en soutien à la ZAD.
© Philippe Pernot

Le vent a failli tourner à Lützerath. Ce village de l’ouest de l’Allemagne est menacé de destruction au profit de l’agrandissement de la mine de lignite (1) de Garzweiler, exploitée par l’énergéticien RWE. Occupé depuis deux ans et demi par des activistes et érigé en zone à défendre (ZAD), le village a été investi sans difficulté par près de 8 000 policiers, mercredi 11 janvier, lors d’une opération d’évacuation qui a permis d’entamer sa démolition.

Les quelque mille zadistes installés sur place, majoritairement adeptes d’une désobéissance non-violente, n’ont pas opposé de résistance majeure, formant des chaînes humaines, s’attachant aux bâtiments de fermes ou s’isolant à l’intérieur de cabanes dans les arbres.

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L’une des catégories de charbon les plus polluantes.

La donne a changé samedi 14, quand 35 000 opposants ont battu le pavé en soutien aux irréductibles qui se trouvent encore à Lützerath. Alors que Greta Thunberg, venue spécialement pour la manifestation, déclamait un discours accusateur contre la politique climatique allemande, des milliers de personnes se sont élancées vers la ZAD. Perçant deux cordons de police successifs, elles ont semé le désordre dans les rangs des forces de l’ordre, forcées d’abandonner des dizaines de véhicules aux pneus crevés.

Matraques contre fumigènes, gants coqués contre feux d’artifice, canons à eau contre jets de boue. Se sont ensuivies des heures d’affrontements, contraste brutal avec le calme relatif des premiers jours de l’expulsion de la ZAD. « C’était extrêmement violent. Ma mère a été frappée au visage puis agressée de nouveau pendant que des ambulanciers venaient la soigner », raconte une activiste anonyme, elle-même jetée dans la boue par un policier.

Nous avons montré que nous étions très nombreux et déterminés.

Après de véritables batailles rangées avec les forces de l’ordre, les activistes sont parvenus à la double barrière de chantier isolant le village. En fin de journée samedi, les unités à cheval, les canons à eau et le gaz poivré auront cependant raison de leur détermination, et ils seront expulsés manu militari des abords de la ZAD. La police dénombrait 70 blessés dans ses rangs, quand les « street medics » annonçaient un nombre « à trois chiffres » côté manifestants, dont une blessée grave évacuée par hélicoptère.

Selon un communiqué de presse de la police, 150 procédures judiciaires ont été lancées depuis le début de l’opération à Lützerath. « Mais c’est quand même une victoire, se félicite Zora, une porte-parole du collectif d’activistes Lützi Bleibt (“Lützerath restera”), car nous avons montré que nous étions très nombreux et déterminés. D’ailleurs, on est toujours là et on ne baisse pas les bras. »

Guérilla pacifiste de longue haleine

La résistance s’est poursuivie à Lützerath jusqu’au lundi 16 janvier, à plusieurs mètres au-dessus du sol. Des dizaines d’activistes s’étaient retranchés dans des cabanes dans les arbres ou juchés sur de hautes structures en bois, nécessitant l’intervention de forces spécialisées en escalade pour les déloger et ralentissant considérablement l’avancée de la police.

Deux activistes terrés dans un tunnel ont bloqué les travaux dans la zone pendant plusieurs jours avant d’accepter d’en sortir. Lundi, la plupart des bâtiments avaient été évacués et détruits, et il ne restait plus de zadistes dans le village.

L’opération policière est donc officiellement terminée, et ce sont maintenant des centaines d’agents de sécurité de RWE qui tiennent Lützerath, avec un renfort de forces de l’ordre. C’est désormais une véritable guérilla pacifiste, de longue haleine, que promettent les zadistes. Des manifestations et actions spontanées aux abords du village et de la mine laissent la police sur le qui-vive.

De nouvelles mobilisations d’envergure étaient prévues dès le mardi 17. Des milliers de tentes multicolores, dressées dans la boue aux alentours d’un village voisin, remplacent maintenant les cabanes et les fermes détruites de Lützerath, dans une ambiance de résistance résolue, au coin des braseros et des cantines autogérées.

« Notre force réside dans la diversité de notre mouvement et de nos stratégies, qui vont de la manifestation citoyenne aux chaînes humaines en passant par les blocages de toute sorte, explique Zora. Et je crois en notre détermination pour entraver les travaux jusqu’à fin février. » L’interdiction des coupes d’arbres, du 1er mars au 31 octobre en Allemagne, conduirait alors à une pause, voire à un abandon, des opérations.

Allemagne Lützerath ZAD
Un policier de la brigade canine garde les abords de la mine Garzweiler 2, qui doit engloutir Lützerath, pendant l’opération d’expulsion de la ZAD. (Photo : Philippe Pernot.)

Alors que la ZAD était menacée d’expulsion depuis des mois, la guerre en Ukraine a scellé son sort. La crainte généralisée d’un défaut d’approvisionnement en énergie a poussé le gouvernement (Verts, sociaux-démocrates et libéraux) à pactiser avec RWE : en échange d’une sortie du charbon en 2030, plutôt qu’en 2038, le sacrifice de Lützerath pour permettre l’extension de la mine en vue d’extraire 280 millions de tonnes de lignite supplémentaires.

« Les jeunes écologistes, souvent issus du mouvement Fridays for Future créé par Greta Thunberg, ainsi qu’une partie de la société civile l’ont vécu comme une trahison », constate Lena Partzsch, chercheuse en politique climatique à l’Université libre de Berlin.

Selon les activistes, l’exploitation de la mine générerait un dépassement d’un facteur quatre des émissions de CO2 autorisées pour l’Allemagne dans le cadre de l’accord de Paris de 2015. « Les Verts sont eux-mêmes extrêmement divisés, entre les têtes dirigeantes, qui défendent la responsabilité d’assurer l’approvisionnement énergétique d’une grande nation industrielle, et la base militante, qui a refusé cette décision. »

Bras de fer politique

Les Verts locaux se sont solidarisés avec la ZAD, tout comme le mouvement des Jeunes Verts. Le bras de fer politique s’est renforcé alors que la coalition des organisations d’opposition (Fridays for Future, Extinction Rebellion, Ende Gelände – un collectif anti-charbon – et des groupes locaux) exhortait le gouvernement fédéral et du Land de Rhénanie du Nord à cesser l’opération policière.

Jeudi 12 janvier, des activistes ont occupé le bureau des Verts à Düsseldorf ainsi que celui de Robert Habeck, ministre Vert de l’Économie et de la Protection du climat, pour exprimer leur mécontentement. « La direction des Verts, le gouvernement, l’État et RWE ont perdu d’avance, analyse Lena Partzsch. Ils se sont mis à dos une grande partie des jeunes générations en mobilisant massivement la violence d’État contre un mouvement majoritairement pacifiste, et en mentant sur leurs promesses climatiques. »

Si la mise en échec de la reconquête de la ZAD, ce 14 janvier, conforte dans l’immédiat les autorités dans leur recours à l’option policière, le rapport de force politique pourrait tourner en faveur des activistes. Même si l’opinion publique reste partagée quant à l’usage de la désobéissance civile, un sondage révélait que 60 % des Allemands voient la destruction de Lützerath et l’extension de la mine d’un mauvais œil. D’autant que la bataille est désormais largement médiatisée.

Plus de 800 journalistes venant du monde entier s’étaient accrédités auprès de la police pour couvrir l’expulsion et la manifestation. Le petit village rhénan, qui ne comptait pas plus de 100 habitants avant leur déménagement forcé, s’est retrouvé au centre des attentions.

Qu’il reprenne Lützerath ou non, le mouvement écologiste a déjà gagné

« C’est là que réside la principale victoire des activistes : ils ont déplacé le débat public de la sécurité énergétique au réchauffement climatique », explique Lena Partzsch. La forte présence médiatique aurait également permis de mettre en évidence les violences policières, mais aussi de les atténuer. « C’est vérifié : quand les journalistes sont présents, la police allemande tape moins fort », explique Zora.

Car si les jets de cocktails Molotov ou de pierres par les zadistes ont été critiqués dans la presse, le comportement policier a également choqué les deux principaux syndicats de journalistes allemands, dénonçant un dispositif impliquant notamment la nécessité de s’accréditer directement auprès du commissariat.

Une journaliste aurait été gravement blessée, une autre harcelée sexuellement, et plusieurs se seraient vu arracher leur accréditation, bousculés ou gazés au poivre. « Ainsi, les zadistes ne sont plus traités dans les médias comme une minorité violente, mais comme un large et important mouvement sociétal, perçoit Lena Partzsch. Qu’il reprenne Lützerath ou non, le mouvement écologiste a déjà gagné. » ·

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