Pourquoi la nouvelle PAC n’est pas à la hauteur

Le 1er janvier, une nouvelle version de la politique agricole commune (PAC) est entrée en vigueur. Passage en revue de ce qui pose problème.

Rose-Amélie Bécel  • 4 janvier 2023 abonné·es
Pourquoi la nouvelle PAC n’est pas à la hauteur
© J-F TRIPELON-JARRY / ONLY FRANCE / Only France via AFP

Après soixante ans d’existence, la plus coûteuse des politiques européennes n’est plus à la hauteur des enjeux auxquels fait face aujourd’hui le monde agricole. Passage en revue de ses insuffisances.

Elle ne prend pas en compte les attentes et propositions citoyennes

Qui dit nouvelle PAC dit nouvelle méthode. Désormais, sa mise en œuvre ne se décide plus seulement à l’échelle européenne mais aussi nationale, grâce au transfert d’une large partie des pouvoirs de la Commission vers les États. Ils seront chargés d’orienter eux-mêmes les fonds de la PAC, en établissant un plan stratégique national (PSN) valable pendant cinq ans, qui doit tout de même faire l’objet d’une validation par la Commission.

Pour préparer ces PSN, les États ont été invités à recueillir l’avis des citoyens sur l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation. En France, le cadre de la concertation a été défini par la Commission nationale du débat public, après une centaine d’entretiens avec les parties prenantes du secteur (exploitants, syndicats, associations environnementales ou représentants de la grande distribution).

Plusieurs axes de débat ont émergé de ces échanges, sur lesquels les citoyens ont pu se prononcer lors d’une consultation en ligne organisée entre février et novembre 2020. Ce débat public a débouché sur plus de 1 000 propositions.

Deux ans plus tard, le PSN français – validé par la Commission européenne le 31 août 2022 – déçoit largement les organisations consultées. Mathieu Courgeau, président du collectif Nourrir, dénonce un débat public en trompe-l’œil : « Nous avons bien senti que notre voix avait un poids relatif face aux organisations qui prônent une agriculture productiviste. L’ancien ministre de l’Agriculture Julien Denormandie ne nous a jamais reçus. »

Même constat pour Laurence Marandola, secrétaire nationale de la Confédération paysanne, chargée de la PAC, également invitée à la table des consultations : « Le passage de Julien Denormandie au ministère de l’Agriculture a été difficile du point de vue du dialogue, alors que l’enjeu des concertations était décuplé autour de la modification de la PAC. »

Elle enrichit les plus gros exploitants

En déléguant partiellement sa mise en œuvre aux États, la PAC change sur la forme. Mais, dans le fond, les règles d’attribution des aides aux agriculteurs restent les mêmes : plus un agriculteur possède d’hectares, plus il sera aidé. Environ 70 % des fonds de la PAC sont versés en fonction de la taille des exploitations.

« C’est une rémunération assez injuste du travail, explique Sophie Thoyer, chercheuse et économiste à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. Par exemple, les maraîchers qui ont peu de terres mais ont besoin de beaucoup de main-d’œuvre pour la cultiver touchent très peu d’aides. »

En France, parmi les principaux bénéficiaires de la PAC, on retrouve par exemple le Domaine de Mivoisin (1 700 hectares de terres dans le Loiret) avec 435 000 euros par an. Selon l’enquête de la journaliste Caroline Trouillet, c’est la famille Primat, propriétaire du domaine, qui empoche le butin.

Ces milliardaires, expatriés en Suisse, touchent au total près de 900 000 euros d’aides publiques par an pour l’ensemble de leurs propriétés agricoles, quand le bénéficiaire moyen perçoit 30 000 euros. Selon l’Insee, un quart des agriculteurs français vivent toujours sous le seuil de pauvreté.

Face à une politique européenne qui soutient les plus grandes exploitations, Benoît Biteau, eurodéputé EELV, propose de modifier les indicateurs d’attribution des aides, en les faisant reposer sur la quantité de personnel agricole nécessaire. « Un exploitant tout seul avec son tracteur au milieu de ses 500 hectares toucherait alors beaucoup moins d’aides qu’un maraîcher qui produit des légumes avec ses salariés sur une dizaine d’hectares », résume-t-il.

Mais les amendements à la PAC proposés par les Verts au Parlement européen n’ont pas été retenus. « Transformer les aides par hectare en aides par actif, ce serait une grosse révolution de la PAC qu’aucun gouvernement ne souhaite assumer », concède Sophie Thoyer.

ZOOM : La nouvelle PAC en chiffres

5 ans : c’est le temps qui aura été nécessaire pour élaborer cette nouvelle PAC.

387 milliards d’euros : c’est le budget de la nouvelle PAC, en baisse de 20 milliards. Les fonds seront répartis entre les États entre 2023 et 2027.

9 milliards d’euros : c’est le montant des aides qu’a touchées la France, plus gros bénéficiaire de l’Union européenne, tous les ans pendant lors de la précédente PAC. Un budget qui devrait rester stable.

74 % : c’est la part moyenne qu’ont représentée les aides de la PAC dans les revenus des agriculteurs français en 2019.

Elle ne répond pas au défi démographique agricole

Le conditionnement des aides à la taille des exploitations pose un autre problème. Aujourd’hui, un tiers des agriculteurs ont plus de 55 ans. Selon la Mutualité sociale agricole, la moitié d’entre eux pourraient partir à la retraite dans les dix prochaines années.

Pour Laurence Marandola, une PAC qui encourage financièrement l’agrandissement des exploitations ne peut pas répondre au défi du renouvellement des générations dans les fermes : « Si c’est toujours l’agrandissement des fermes qui prime, alors les nouveaux arrivants ne peuvent pas avoir accès au foncier. Il aurait fallu infléchir ce mécanisme pour inciter de nouveaux agriculteurs à s’installer. »

Il aurait fallu infléchir le mécanisme pour inciter de nouveaux agriculteurs à s’installer.

Les aides à l’hectare décidées par la PAC conduisent ainsi à un cercle vicieux : les exploitations s’agrandissent, le foncier se fait plus rare, les agriculteurs disparaissent, au détriment d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement. « Tout est lié, finalement. S’il n’y a pas de reprise des fermes, on va vers des exploitations de plus en plus grandes et donc une simplification du travail, qui s’accompagne généralement d’une moindre ambition environnementale », résume Mathieu Courgeau.

Elle ne soutient pas suffisamment l’agriculture biologique

La nouvelle PAC récompense les pratiques agricoles vertueuses pour l’environnement par le versement annuel d’une nouvelle aide : les éco-régimes. Ils représentent 25 % des aides directement versées aux agriculteurs, selon des critères décidés par les États eux-mêmes. La mesure, qui aurait pu être ambitieuse, perd alors son intérêt. « Sur le principe, les éco-régimes sont un bon outil, mais ce qui coince, c’est le cahier des charges », dénonce Mathieu Courgeau.

Les éco-régimes sont un bon outil, mais ce qui coince, c’est le cahier des charges.

En France, le ministère de l’Agriculture a décidé d’attribuer les éco-régimes au plus grand nombre d’agriculteurs. Sans changer leurs pratiques, près de 80 % des exploitants pourraient ainsi bénéficier de cette aide. Un scandale, pour Benoît Biteau : « L’État a utilisé cette enveloppe, la dernière marge de manœuvre pour que cette PAC ait une dimension un peu écologique, pour récompenser des pratiques qui ne changent pas. »

Et le bio dans tout ça ? Il est récompensé par les éco-régimes à hauteur de 110 euros par hectare. Un montant insuffisant, selon Mathieu Courgeau, lui-même éleveur de vaches laitières en agriculture biologique : « Avant, nous pouvions toucher une aide au maintien en bio, que l’État a décidé de suspendre en 2018. Donc, quand on compare les éco-régimes de la nouvelle PAC pour les agriculteurs bio avec ce qu’on gagnait grâce à l’aide au maintien, nous sommes perdants. »

Selon la Fédération nationale d’agriculture biologique, les aides de la précédente PAC s’élevaient en moyenne à 202 euros par hectare et par an. Les 387 milliards d’euros de la PAC auraient pu être employés pour rémunérer plus justement une profession en détresse, tout en encourageant des pratiques plus vertueuses pour l’environnement. C’est encore raté. 

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Économie
Temps de lecture : 7 minutes