Dédiabolisation de référence
Non content de considérer qu’en pleine discussion parlementaire sur la réforme des retraites, la chienlit, c’est la gauche, le quotidien du soir « de référence » normalise le Rassemblement national.
dans l’hebdo N° 1745 Acheter ce numéro

Dans son édition datée des dimanche 12 et lundi 13 février, Le Monde, journal dit « de référence », a publié un papier dont le titre promettait le récit d’« une semaine chaotique » d’examen de la réforme des retraites « à l’Assemblée nationale », entre « incidents à répétition » et « invectives ». Mais il s’agissait d’une promesse quelque peu trompeuse.
Car cet article était, en réalité, largement consacré à « l’exclusion pour quinze jours de séance » du député insoumis Thomas Portes, qui avait « publié une photo sur son compte Twitter où il apparaît, écharpe tricolore en bandoulière, le pied sur un ballon à l’effigie du ministre du travail, Olivier Dussopt » – épisode qui venait, rappelait Le Monde, après que ledit Dussopt avait notamment été « empêché de s’exprimer par les parlementaires de gauche ». Sous-texte, qui n’aura bien sûr pas échappé au lectorat du journal dit « de référence » : le chaos – la chienlit –, c’est principalement la gauche.
Ce papier sacrifiait donc à la pratique médiatique solidement établie – et minutieusement décrite par les camarades d’Acrimed dans un tract distribué pendant la très belle manifestation parisienne contre la réforme des retraites du samedi 11 février – consistant à « amplifier le “désordre” des débats parlementaires » pour mieux stigmatiser « une gauche irresponsable ».
Mais il y a (bien) pire.
On espère que Le Monde aura l’honnêteté de préciser, à l’avenir, qu’il contribue désormais à la normalisation du RN.
À la toute fin de ce même article, en effet, Le Monde a pieusement restitué, après l’avoir sollicité et recueilli, l’avis d’un député qui était donc implicitement présenté par ce journal dit « de référence » comme un expert crédible ès-tactiques et stratégies parlementaires, et selon lequel la gauche « n’arriv(e) plus à faire la différence entre un coup politique et le moment où il faut être efficace et utiliser le Parlement pour les gens ».
Et qui était ce témoin-clé, dont l’expertise était donc si complaisamment valorisée ? Il s’agissait d’un député du Rassemblement national (RN) – le parti lepéniste, qui fut notamment cofondé, rappelons-le sans cesse, par un ex-milicien et un ancien Waffen SS.
Régulièrement, depuis des années, Le Monde évoque, de papiers doctes en tribunes inquiètes, la « banalisation », la « crédibilisation » et la « dédiabolisation » de Marine Le Pen et de son parti. On espère que le journal dit « de référence », toujours prompt à se poser en ombrageux gardien de la déontologie (en même temps qu’en arbitre des élégances professionnelles), aura du moins l’honnêteté de préciser, à l’avenir, qu’il contribue désormais, et tout à fait activement, à cette normalisation. Puisque, dorénavant, les parlementaires du RN sont pour lui, semble-t-il, des interlocuteurs et interlocutrices comme les autres, dont l’opinion sur les choix stratégiques de la gauche vaut d’être trompetée.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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