Dédiabolisation de référence

Non content de considérer qu’en pleine discussion parlementaire sur la réforme des retraites, la chienlit, c’est la gauche, le quotidien du soir « de référence » normalise le Rassemblement national.

Sébastien Fontenelle  • 15 février 2023
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Dédiabolisation de référence
© Guillaume Deleurence

Dans son édition datée des dimanche 12 et lundi 13 février, Le Monde, journal dit « de référence », a publié un papier dont le titre promettait le récit d’« une semaine chaotique » d’examen de la réforme des retraites « à l’Assemblée nationale », entre « incidents à répétition » et « invectives ». Mais il s’agissait d’une promesse quelque peu trompeuse.

Car cet article était, en réalité, largement consacré à « l’exclusion pour quinze jours de séance » du député insoumis Thomas Portes, qui avait « publié une photo sur son compte Twitter où il apparaît, écharpe tricolore en bandoulière, le pied sur un ballon à l’effigie du ministre du travail, Olivier Dussopt » – épisode qui venait, rappelait Le Monde, après que ledit Dussopt avait notamment été « empêché de s’exprimer par les parlementaires de gauche ». Sous-texte, qui n’aura bien sûr pas échappé au lectorat du journal dit « de référence » : le chaos – la chienlit –, c’est principalement la gauche.

Ce papier sacrifiait donc à la pratique médiatique solidement établie – et minutieusement décrite par les camarades d’Acrimed dans un tract distribué pendant la très belle manifestation parisienne contre la réforme des retraites du samedi 11 février – consistant à « amplifier le “désordre” des débats parlementaires » pour mieux stigmatiser « une gauche irresponsable ».

Mais il y a (bien) pire.

On espère que Le Monde aura l’honnêteté de préciser, à l’avenir, qu’il contribue désormais à la normalisation du RN.

À la toute fin de ce même article, en effet, Le Monde a pieusement restitué, après l’avoir sollicité et recueilli, l’avis d’un député qui était donc implicitement présenté par ce journal dit « de référence » comme un expert crédible ès-tactiques et stratégies parlementaires, et selon lequel la gauche « n’arriv(e) plus à faire la différence entre un coup politique et le moment où il faut être efficace et utiliser le Parlement pour les gens ».

Et qui était ce témoin-clé, dont l’expertise était donc si complaisamment valorisée ? Il s’agissait d’un député du Rassemblement national (RN) – le parti lepéniste, qui fut notamment cofondé, rappelons-le sans cesse, par un ex-milicien et un ancien Waffen SS.

Régulièrement, depuis des années, Le Monde évoque, de papiers doctes en tribunes inquiètes, la « banalisation », la « crédibilisation » et la « dédiabolisation » de Marine Le Pen et de son parti. On espère que le journal dit « de référence », toujours prompt à se poser en ombrageux gardien de la déontologie (en même temps qu’en arbitre des élégances professionnelles), aura du moins l’honnêteté de préciser, à l’avenir, qu’il contribue désormais, et tout à fait activement, à cette normalisation. Puisque, dorénavant, les parlementaires du RN sont pour lui, semble-t-il, des interlocuteurs et interlocutrices comme les autres, dont l’opinion sur les choix stratégiques de la gauche vaut d’être trompetée. 

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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