« Goutte d’or » : vivre de croyances

Clément Cogitore arpente ce quartier populaire en mettant en scène un médium, sans tomber dans l’exotisme.

Christophe Kantcheff  • 28 février 2023 abonné·es
« Goutte d’or » : vivre de croyances
© Kazak Productions

Goutte d’or / Clément Cogitore / 1 h 38.

On accepte d’attendre des heures pour être reçu par le meilleur médium du quartier de la Goutte d’or, Ramsès (Karim Leklou), dans le dix-huitième arrondissement de Paris. C’est le cas d’une femme (interprétée par Laure Duthilleul, qu’on est heureux de revoir au cinéma, même dans un rôle furtif) dont la mère vient de mourir.

Elle tend la photographie de celle-ci devant elle, comme le lui demande Ramsès. Dans un intérieur simple, un appartement où l’on a déposé des bouquets de fleurs et des bougies, celui-ci reçoit ses clients. Il s’assoit devant eux et leur parle d’une voix douce du parent ou du proche figurant sur la photo. À cette femme, il dit : « Votre mère est morte récemment, son âme est jeune. »

Comment Ramsès sait-il cela ? Possède-t-il vraiment des pouvoirs de divination ? Le spectateur sera vite renseigné avec le client suivant. Un plan dans les coulisses avant la séance montre Ramsès consultant le téléphone portable du crédule, à qui on a demandé de déposer tous ses objets métalliques (« à cause des ondes »).

Dérèglement narratif

Une supercherie, donc, qui fonctionne : les clients affluent, l’argent rentre. Goutte d’or, deuxième long-métrage de Clément Cogitore, n’est pourtant pas une énième vision caricaturale de ce quartier populaire. Ici, la vie est dure, tous les moyens sont bons pour s’en sortir et, surtout, Ramsès finit par croire sincèrement qu’il fait du bien aux autres. Il anime ainsi des séances en public où il procure aussi du réconfort.

L’intrigue du film ne s’en tient pas là. Une bande d’enfants s’en mêle, agressive, ayant la violence comme mode de survie. Ramsès est l’une de leurs cibles. Et soudain, un jour, celui-ci est poussé malgré lui vers le chantier de la porte de la Chapelle, vu comme un immense no man’s land des limbes, où il découvre le corps sans vie de l’un des gamins.

Alors le mouvement du film s’inverse : l’« irrationnel » du début, expliqué par des faits prosaïques, laisse place à un véritable dérèglement de la logique narrative. Comme si l’intrigue avançait désormais à l’intuition ou selon des forces occultes. L’intention est visible – et donc un peu volontariste – mais cet écart par rapport au réalisme est cohérent. Cohérent, parce qu’il reste dans le registre du flux des croyances, qui semblent si nécessaires à l’être humain pour supporter sa condition.

À cette aune, celles du père de Ramsès, gratuites, tout à la fois généreuses et autoritaires, triomphent, quand son fils pensait, par la feinte, tout contrôler. Après sa remarquable composition dans Pour la France, Karim Leklou, qui interprète un Ramsès tout en fausse douceur et opacité, confirme son grand talent de comédien.

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Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes