« Ce qui m’impressionne le plus, c’est la résilience de la population ukrainienne »

La sociologue Ioulia Shukan évoque la capacité de résistance de l’Ukraine, la solidarité de sa population et son attachement à l’État social. Et parle de sa grande difficulté personnelle à poursuivre un travail de terrain.

Patrick Piro  et  Lily Chavance  • 21 février 2023 abonné·es
« Ce qui m’impressionne le plus, c’est la résilience de la population ukrainienne »
« Ce qui m’impressionne le plus, c’est la résilience de la population, cette capacité à s’adapter. »
© Maxime Sirvins

Sociologue, Ioulia Shukan est l’une des meilleures spécialistes de l’Ukraine. Elle nous reçoit le lendemain de son retour d’un voyage dans le pays, le premier pour elle depuis l’invasion russe du 24 février 2022. La guerre la confronte non seulement à la grande difficulté de poursuivre un travail de terrain, mais aussi à une forte charge émotionnelle, en raison de ses attaches personnelles en Ukraine.

Vous venez de passer une semaine en Ukraine, comment ressentez-vous le pays ?

Ioulia Shukan : Ce qui m’impressionne le plus, c’est la résilience de la population, cette capacité à s’adapter, à aller de l’avant, à travailler malgré l’acharnement des frappes sur les infrastructures civiles et les habitations. L’armée russe manie la stratégie de la terreur. Quand un missile tombe, on se demande pourquoi à tel endroit plutôt qu’un autre.

Le but est d’entretenir une tension permanente parmi les civils, et aucune ville n’est épargnée. Quand un immeuble d’habitation a été détruit à Dnipro mi-janvier, il y a eu beaucoup de victimes et ça a secoué tout le monde. Pourtant, les Ukrainiens ont intégré le risque de l’insécurité physique au quotidien, à plus forte raison quand ils n’ont aucun moyen de le contrôler.

Le danger est banalisé au point que, souvent, les gens ne descendent plus dans les abris.

À Kharkiv, où j’ai passé quatre jours, la ville a été bombardée, plusieurs bâtiments ont été touchés en plein centre-ville, avec des victimes. Cependant, le danger est banalisé au point que, souvent, les gens ne descendent plus dans les abris. La tension est pourtant d’autant plus intense que cette ville est proche du territoire russe.

Parfois, les missiles explosent avant même que la défense antiaérienne n’ait pu déclencher l’alerte, réduisant à néant toute initiative pour s’abriter. Autre élément d’insécurité : l’imminence d’une nouvelle offensive russe. Elle pourrait viser cette région, où des villes comme Izioum et Koupiansk, déjà meurtries par de longs combats et de nombreuses destructions, risquent d’être à nouveau ciblées.

Comment parvient-on à se coucher la nuit dans des conditions pareilles ?

Si on entend des bombardements dans la soirée, on va au lit sans se déshabiller pour pouvoir réagir vite. Dans les appartements privés d’accès à un abri ou à un sous-sol, on se place dans un endroit encadré par deux murs porteurs, un couloir par exemple. En cas d’onde explosive, on est mieux protégé des débris. Tous les Ukrainiens ont intégré cette règle des deux murs porteurs. Mais bon, elle n’a aucune efficacité si un missile tombe directement sur le bâtiment. Vous risquez soit d’être atteint par les éclats, soit d’être écrasé par l’effondrement de la structure.

Comment les gens tiennent-ils ?

Plusieurs facteurs expliquent leur capacité de résilience. Il y a d’abord cette très forte propension, en Ukraine, à s’occuper des siens. Les siens, ce sont à la fois la famille, les amis proches et les voisins. On se vient en aide, on apporte de la nourriture et de l’eau aux personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer. Des cafés se sont équipés de générateurs pour pouvoir ouvrir lorsque le courant est coupé à la suite d’un

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