« Que manque-t-il pour voir qu’un nettoyage ethnique de l’Artsakh est en cours ? »
Hovhannès Guévorkian est le représentant en France de l’Artsakh, région arménienne enclavée en Azerbaïdjan. Il s’active pour susciter un appui international à ce peuple qui revendique son indépendance.
dans l’hebdo N° 1743 Acheter ce numéro

© Maxime Sirvins
Depuis le 12 décembre dernier, quelques dizaines de militants azerbaïdjanais prétendument écologistes bloquent le corridor de Latchine, seule voie reliant l’Arménie à l’enclave du Haut-Karabakh, dont la population arménophone est soumise à un blocus presque total. Comment expliquer qu’une telle situation perdure, depuis près de deux mois ?
Hovhannès Guévorkian : Parce qu’à l’évidence il ne s’agit pas d’une protestation écologiste, mais d’une énième offensive du pouvoir azerbaïdjanais destinée à asphyxier la population de l’Artsakh (1) dans son entreprise de nettoyage ethnique.
Très vite, les enquêtes journalistiques ont montré que ces militants ne présentaient aucune attache écologiste. Certains ont même été repérés avec des uniformes militaires portant l’emblème des Loups gris (2).
Par ailleurs, la mine de cuivre dont ils allèguent la pollution, et qui est une source importante de revenu pour le petit Artsakh, se trouve à plus de 70 kilomètres du corridor de Latchine où ils manifestent. Les autorités locales ont proposé d’inviter une mission internationale pour vérifier la conformité du site aux normes, mais l’Azerbaïdjan n’a même pas considéré la proposition. Et alors que le régime dictatorial azerbaïdjanais ne tolère aucune manifestation, en voilà une qui dure depuis une cinquantaine de jours et, encore plus novateur, sur une justification écologique bien suspecte.
Tentative de nettoyage ethnique : le terme est violent…
La guerre de l’automne 2020 en était une autre. On a frisé le dépeuplement : 60 % des 150 000 habitants de l’Artsakh ont fui les combats pour se réfugier en Arménie. Mais, à rebours des espoirs de Bakou, beaucoup d’Artsakhiotes sont revenus, en dépit de perspectives d’avenir devenues très minces dans leur territoire. La population est remontée à 120 000 personnes.
Cependant, elles s’entassent dans la capitale Stepanakert, car une large partie de l’Artsakh a été reconquise par l’Azerbaïdjan : il y a une crise du logement. Et alors que les autorités de l’Artsakh ont engagé un vaste programme de construction pour abriter quelque 37 000 personnes restées sans logement, il est suspendu depuis le 12 décembre, car plus aucune denrée et aucun matériau ne peuvent plus transiter par le corridor de Latchine.
La guerre, la terreur, l’asphyxie sociale et économique sont autant de moyens pour tenter de vider le territoire de sa population. « J’avais dit que nous chasserions les Arméniens de nos terres comme des chiens, et nous l’avons fait », avait déclaré le dictateur azerbaïdjanais Aliev au lendemain de la guerre de 2020. Mais comme l’objectif clairement affiché n’a pas été atteint, il persévère.
L’intégrité du corridor de Latchine était pourtant garantie par l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, après 44 jours d’offensive militaire de l’Azerbaïdjan contre le territoire du Haut-Karabakh. Aviez-vous décelé des signes avant-coureurs de cette opération de blocage ?
Bien sûr, et il y a eu quantité d’événements de même nature au cours des derniers mois ! Ainsi, en août dernier, des soldats azerbaïdjanais ont amorcé une prise de contrôle du corridor en envahissant trois villages qui se trouvent sur son parcours, Latchine, Sous et Aghavno, imposant une déviation à la circulation.
Tenir le corridor de Latchine, c’est disposer du contrôle sur la vie et la mort de 120 000 Artsakhiotes.
Mais bien plus qu’une route, le corridor est un cordon ombilical par où transite l’approvisionnement en gaz et en électricité de l’Artsakh par l’Arménie. Aliev a fait installer une vanne sur le gazoduc, et il la ferme à sa guise. Faute d’énergie de chauffage, les hôpitaux sont en situation critique, les écoles ferment, on se chauffe au bois dans les maisons. Tenir le corridor de Latchine, c’est disposer du contrôle sur la vie et la mort de 120 000 Artsakhiotes.
Les affrontements de 2020 ont pris fin grâce à l’intervention de la Russie, qui a dépêché une force d’interposition de 2 000 soldats. Comment expliquer sa passivité, face aux violations de l’accord de cessez-le-feu autour du corridor de Latchine ?
L’attitude de cette force
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