À nos amis du « Diplo »

Dans son édition de mars, « Le Monde diplomatique » épingle divers médias, dont le nôtre, sur la guerre en Ukraine. Mais quoi faire si l’on condamne l’agression russe, mais que l’on juge l’aide à Kyiv superflue, voire néfaste ?

Denis Sieffert  • 15 mars 2023
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À nos amis du « Diplo »
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Dans son numéro du mois de mars, Le Monde diplomatique publie un article, signé de Serge Halimi et Pierre Rimbert, sous le titre « Les médias, avant-garde du parti de la guerre ». Politis y est épinglé, malicieusement accolé à L’Opinion, le journal le plus libéral de la presse française, soit son exact opposé.

On ne s’attardera pas ici sur l’aspect aimablement polémique de ce rapprochement. Et nous parlerons d’autant plus librement que nous partageons avec Le Diplo beaucoup de combats. C’est donc le fond qui m’intéresse. Nous soutenons en effet l’aide apportée à l’Ukraine, cela dans les limites de l’objectif de libération du territoire ukrainien.

Je crois comprendre que Le Diplo désapprouve tout autant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, même si cela est dit sur un mode mineur. Mais alors, quoi faire si l’on condamne l’agression russe, mais que l’on juge l’aide à Kyiv superflue, voire néfaste ? Il y a dans cette contradiction comme un fardeau que portent tous ceux qui disent ne vouloir ni capitulation devant Poutine, ni aide à l’Ukraine.

Pour sortir de cet « entre-deux », Le Diplo nous renvoie aux responsabilités historiques des États-Unis dans les désordres du monde. Ce qui retrace la lointaine généalogie de la crise, mais ne nous dit rien de ce qu’elle est aujourd’hui, tandis que les missiles russes anéantissent les villes ukrainiennes, et encore moins comment en sortir.

À trop vouloir invoquer les injustices et les crimes d’hier, et d’ailleurs, on risque de relativiser la tragédie ukrainienne.

Halimi et Rimbert trouvent le moment propice pour pointer surtout la menace de l’hégémonisme américain. Ils invoquent le rapport Wolfowitz de 1992 quand, ivres de leur puissance, les néoconservateurs affirmaient que « l’ordre international est en définitive garanti par les États-Unis ». Mais le monde a bien changé en trente ans.

Si les États-Unis sont toujours la première puissance militaire, ils sont contestés par la Russie, la Chine et même la Corée du Nord. Obama ne s’est pas distingué par son impérialisme en Syrie. Et, aujourd’hui, l’Arabie saoudite, alliée historique de Washington, prend ses distances en se rapprochant de l’Iran sous les auspices de la Chine.

Comme dit L’Ecclésiaste, il y a un temps pour tout. À trop vouloir invoquer les injustices et les crimes d’hier, et d’ailleurs, on risque de relativiser la tragédie ukrainienne. C’est bien ce que suggérait Serge Halimi dans un article précédent (1), dans lequel il ne niait pas que « l’armée russe enchaîne les destructions, les crimes de guerre, les viols », mais « pas nécessairement plus que d’autres troupes d’occupation ». Et il nous invitait à nous souvenir de la guerre du Vietnam, « des B52, de l’usage massif de défoliants comme “l’agent orange”, du massacre de cinq cents civils par le lieutenant William Calley dans le village de My Lai le 16 mars 1968. »

Plus corrélé à la situation actuelle est le rappel de la rage avec laquelle les stratèges du Pentagone et du Département d’État se sont rués sur les dépouilles de l’URSS au début des années 1990. On ne le répétera jamais assez : États-Uniens et Européens auraient pu changer la face du monde quand, au début des années 2000, Poutine semblait disposé au dialogue, et quand l’Otan, arme de guerre froide, pouvait être démantelée. Mais le redire aujourd’hui relève de l’uchronie. Surtout tandis que le même processus impérialiste russe couve en Géorgie et en Moldavie.

Dans un précédent article, Pierre Rimbert, cultivant décidément le contretemps, redoutait pour les Ukrainiens un autre péril contenu dans l’accord d’association avec l’Union européenne, entré en vigueur en 2017 (2). « Un traité d’annexion volontaire », dénonçait-il. Convenons que, pour les survivants de Bakhmout, le colonialisme européen n’est pas, hélas, la menace la plus immédiate.

2

« L’Ukraine et ses faux amis » (octobre 2022).

On n’échappe pas non plus à l’argument des « deux poids deux mesures ». Il relève sans doute de l’impératif moral, mais l’abandon de l’Ukraine ne fera pas avancer d’un iota la cause palestinienne, pour ne citer que cet exemple. Quant à l’indifférence, voire à l’hostilité, des pays dits du « Sud global », elle témoigne précisément de la perte d’influence de la puissance américaine.

Convenons que, pour les survivants de Bakhmout, le colonialisme européen n’est pas la menace la plus immédiate.

En revanche, je partage l’agacement d’Halimi et de Rimbert devant les débordements d’affect de certains journalistes pour Zelensky. C’est le droit qu’il faut défendre, dans sa froide rigueur. Cet homme, assurément, est courageux, mais on ne sait rien de ce qu’il sera en temps de paix. Et cette question ne peut pas être notre propos aujourd’hui, quand on sait trop qui est Poutine et la société qu’il veut imposer aux Ukrainiens.

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