Binka Jeliazkova en toute liberté

La première réalisatrice bulgare a vu son œuvre, marquée par une audace formelle et politique, censurée par le régime communiste. Elle est aujourd’hui (re)découverte en France.

Christophe Kantcheff  • 8 mars 2023 abonné·es
Binka Jeliazkova en toute liberté
« Le Ballon attaché », tourné en 1967, a été interdit jusqu’en 1990.
© Malavida Filmautor.

En Bulgarie, aujourd’hui, on ne la connaît pas. Sauf dans le milieu du cinéma, où son souvenir reste marquant. Binka Jeliazkova (1923-2011) a pourtant été la première femme à accéder à la réalisation dans son pays. Et elle ne fut pas n’importe quelle cinéaste ! Son œuvre, par son audace formelle et politique, s’apparente à la Nouvelle Vague de l’Est, celle des Forman, Polanski, Kieślowski ou Jancsó. Mais la censure de l’État communiste est passée par là. Binka Jeliazkova fut, tout au long de sa vie, une artiste entravée, marginalisée. Quatre de ses films (sur neuf) ont été frappés d’interdiction.

Quasi inconnue en France (où deux films ont tout de même été montrés au Festival de Cannes il y a plus de quarante ans), Binka ­Jeliazkova a été (re)découverte par Sophie Mirouze, codéléguée générale du festival international du film de La Rochelle et responsable de la programmation cinéma du festival Un week-end à l’Est, qui se déroule chaque année à Paris.

C’est dans un documentaire sur les réalisatrices, du critique britannique Mark Cousins, que Sophie Mirouze a été émerveillée, à juste titre, par des plans de Nous étions jeunes, deuxième long-métrage de la cinéaste bulgare. Le distributeur Malavida a décidé de sortir en salle quatre de ses films en deux fois, en commençant par Nous étions jeunes et Le Ballon attaché.

Binka Jeliazkova, sur le tournage du  « Ballon attaché ». (Photo : Malavida Filmautor.)

Pour en savoir davantage, nous nous sommes adressés à Elka Nikolova, réalisatrice bulgare installée à New York, qui a signé en 2006 un beau documentaire sur Binka Jeliazkova, intitulé Binka : To Tell a Story About Silence.

Comment Binka Jeliazkova est-elle parvenue à réaliser son premier film, La vie s’écoule silencieusement ?

Elka Nikolova : Après les années de guerre, durant lesquelles elle a participé activement au mouvement antifasciste, où elle a rencontré son futur mari, Hristo Ganev, Binka Jeliazkova entre dans l’industrie cinématographique bulgare au début des années 1950. C’est-à-dire quelques années après que la Bulgarie est devenue un État communiste et peu de temps après la création, en 1948, de la nouvelle industrie cinématographique publique. Elle étudie la mise en scène de théâtre à l’Académie des arts dramatiques de Sofia, d’où elle sort diplômée en 1953. Hristo Ganev, lui, a étudié l’écriture au VGIK (Institut national de la cinématographie) de Moscou.

L’industrie cinématographique d’État avait besoin de personnes capables de réaliser des films, à des fins de propagande, dans le cadre du nouveau cinéma socialiste. En 1956, Binka Jeliazkova a l’opportunité de coréaliser son premier long-métrage, La vie s’écoule silencieusement, avec Hristo Ganev, auteur également du scénario. Elle devient ainsi la première femme à réaliser un long-métrage en Bulgarie et l’une des rares réalisatrices du cinéma mondial des années 1950.

Pourquoi les autorités ont-elles rejeté ce premier film ?

Dans les années 1940, l’industrie cinématographique bulgare commençait à se développer. Il existait quelques petites sociétés de production et un ou deux longs-métrages étaient

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Cinéma
Temps de lecture : 9 minutes