Hold-up planétaire

Les difficultés de Credit Suisse rappellent que depuis 2008, les États peinent à mettre en place des régulations bancaires adaptées. Pendant que les grands établissements, eux, continuent d’utiliser l’épargne pour spéculer sur les marchés financiers.

Agnès Rousseaux  • 22 mars 2023
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Hold-up planétaire
© Jaap Arriens / NurPhoto / NurPhoto via AFP.

Le secteur bancaire est entré dans une zone de turbulences. La valeur des actions de Credit Suisse, deuxième banque helvétique, a dévissé de 24 % mercredi 15 mars, entraînant une grande fébrilité du secteur financier. Même après le lancement d’une opération de sauvetage et son rachat quatre jours plus tard par sa concurrente UBS.

Comme une trentaine de banques dans le monde, Credit Suisse fait partie de ces établissements systémiques « too big to fail » (trop gros pour faire faillite), dont la banqueroute engendrerait des catastrophes en cascade sur tout le système bancaire mondial. Mais cela ne l’a pas empêché d’enchaîner les scandales, jusqu’à provoquer une « crise de confiance ».

Quand les banques tombent, les États passent à la caisse et les citoyens trinquent.

Récapitulons : l’an dernier, Credit Suisse a déboursé 238 millions d’euros pour éviter des poursuites pénales en France, pour blanchiment aggravé de fraude fiscale entre 2005 et 2012. Elle a fourni à 5 000 clients français des comptes non déclarés au fisc, dissimulant 2 milliards d’euros. En 2014, elle avait payé pour les mêmes raisons une amende record de 2,8 milliards de dollars aux États-Unis. En 2020, elle est condamnée pour blanchiment de fonds issus du trafic de cocaïne en Bulgarie.

Elle a également investi près de 10 milliards de dollars dans le fonds d’investissement britannique Greensill Capital, « l’Amazon du fonds de roulement », qui a fait faillite en 2021. Et perdu la même année 5,5 milliards de dollars lors de l’effondrement de l’obscur fonds spéculatif Archegos. Comment les instances de contrôle ont-elles pu laisser faire ?

Depuis la crise financière de 2008, les États peinent à mettre en place des régulations adaptées. Mêlant activités de dépôts des particuliers et des entreprises, et activités de banques d’affaires, les grands établissements continuent d’utiliser l’épargne pour spéculer sur les marchés financiers. Et enflent sans limite : le bilan de BNP Paribas est équivalent au PIB de la France. Quand les banques tombent, les États passent à la caisse et les citoyens trinquent. Privatiser les profits et socialiser les pertes : le fondement
du système financier mondial n’a pas changé.

Face à cette nouvelle crise, le gouvernement martèle depuis des jours qu’il n’y a pas de risque de contagion à l’Hexagone. Malgré le plan de sauvetage de Credit Suisse, à l’ouverture de la Bourse à Paris, lundi 20 mars, BNP Paribas dégringole pourtant de 8 % et la Société générale de 7 %. Les chiffres donnent le tournis.

Quand Emmanuel Macron s’entête sur la réforme des retraites pour (peut-être) économiser 15 ou 18 milliards d’euros par an, la banque centrale suisse vient d’aligner en une semaine 60 milliards de garantie et octroie à UBS et Credit Suisse une « ligne de liquidités » pouvant aller jusqu’à 100 milliards de francs suisses (soit autant d’euros).

Les banques continuent de spéculer sur les matières premières, financent des projets polluants.

Tout comme, il y a dix ans, les gouvernements français et belge s’étaient portés garants de la banque Dexia à hauteur de 85 milliards d’euros pour lui éviter une nouvelle faillite. En 2008, c’est un chèque en blanc de 4 500 milliards d’euros en garantie, soit 37 % du PIB de l’Union européenne, que les États membres ont mis sur la table pour empêcher le système bancaire de s’écrouler comme un château de cartes. Plusieurs centaines de milliards ont été engloutis dans cette crise.

Qu’en avons-nous retenu ? Les banques continuent de spéculer sur les matières premières, financent des projets polluants, créent des produits financiers toxiques, facilitent une évasion fiscale qui serait impossible sans leur complicité – un manque à gagner en France équivalant à l’impôt sur le revenu chaque année. Il est plus que temps de mettre un terme à ce hold-up planétaire.

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