Frapper, cogner, frapper encore : au cœur de la violence policière après le 49.3

Après plusieurs jours de mobilisations contre la reforme des retraites et l’utilisation du 49.3, la répression policière bat son plein entre charges, coups et interpellations abusives. Récit, au coeur des nasses.

Maxime Sirvins  • 20 mars 2023
Partager :
Frapper, cogner, frapper encore : au cœur de la violence policière après le 49.3
Rassemblement et manifestations spontanées sur la place de la Concorde après l'utilisation du 49.3 par le gouvernement pour la réforme des retraites à Paris, le 16 mars 2023.
© Maxime Sirvins

L’ambiance est pesante en cette fin de rassemblement, vendredi 17 mars, sur la place de la Concorde à Paris. Une mobilisation qui était spontanée, pour protester contre le recours à l’article 49.3 de la Constitution, par un gouvernement entêté à réformer les retraites contre l’avis des Français.

Après un long moment de face à face entre forces de l’ordre et manifestants, les dernières personnes sont finalement nassées dans un coin de la place. La seule sortie possible se fait par le métro. Alors que des centaines de manifestants s’impatientent pour descendre les escaliers étroits, la police et la gendarmerie font des dizaines de percées dans la foule pour interpeller à tour de bras.

ZOOM : Un CRS armé d’un fusil d’assaut ?

Des critiques envers le maintien de l’ordre à la française fusent dans tous les sens, jusqu’à l’international, où des citoyens, des politiques et des ONG s’offusquent de ce déferlement de violence. Des critiques à observer parfois avec distance et prudence. Comme ce dimanche 19 mars, où cette image d’un CRS équipé d’un fusil d’assaut en manifestation à Nantes, a ému et choqué une grande partie des réseaux sociaux. Pourtant, si l’artillerie a de quoi impressionner, le fait pour un agent d’être lourdement armé n’a rien d’inhabituel. Depuis des années, les CRS sont équipés du fusil HK G36. Cette arme n’a aucunement vocation à être utilisée en maintien de l’ordre. Elle n’apparaît même pas dans la doctrine. Sa présence est justifiée par le fait d’avoir une réponse armée en cas de situation de haute intensité, comme l’antiterrorisme. Sur les images partagées, il est pointé du doigt que l’arme n’a pas sa sécurité enclenchée ce qui, selon les règles, est tout à fait conforme. En réalité, l’arme n’a pas sa sécurité mais n’est pas « chambrée » – il n’y a pas de balles enclenchées dans l’arme – et, de fait, même si le policier appuie sur la détente, aucune munition ne peut être tirée. Attention aux fausses polémiques.

Le silence, des hurlements, le silence, des hurlements. Cette cueillette périlleuse va durer de trop longues minutes. D’un côté, les policiers foncent dans le tas, souvent violemment en attrapant des manifestants par la gorge ou les cheveux. De l’autre, dans le regard de certains gendarmes, parmi les plus jeunes, on peut voir de l’incompréhension, du doute et de la peur comme s’ils se demandaient : « Qu’est-ce qu’on fout, là ? Qu’est-ce qu’on est en train de faire ? » 

Ne vous débattez pas, sinon ça sera encore pire.

Pour certains journalistes présents, c’est avec la boule au ventre que la scène est documentée. Face à cet instant qui paraît durer des heures, les regards se croisent et des mots s’échangent entre collègues. « C’est punitif. C’est angoissant. » Pendant que, chez les forces de l’ordre, certains parlent de « faire du chiffre et de bien compter tout le monde », les membres de la presse tentent de calmer les gens. « Ne vous débattez pas, sinon ça sera encore pire », lance un photographe, impuissant.

Manifestation réforme retraites Paris 49.3 concorde
Rassemblement sur la place de la Concorde et manifestations spontanées après l’utilisation du 49.3 par le gouvernement pour la réforme des retraites à Paris, le 16 mars 2023. (Photo : Maxime Sirvins.)

Du côté de la nasse, même son de cloche. Des journalistes et des badauds coincés invitent les gens à rentrer au plus vite dans le métro. Au même moment, une journaliste du Média est interpellée violemment, sans raison. Ce soir-là, pour la préfecture de police de Paris, il faut éviter de reproduire les erreurs de la veille. 

Ce jeudi 16 mars, en effet, lors du premier rassemblement sur la même place, il n’y a pas de nasse mais une sortie possible par une petite rue. Après des heures tendues, des centaines de manifestants en profitent pour se lancer dans des manifestations sauvages aux milieux des grands boulevards haussmanniens.

« On est en sous-effectif ! On a besoin de renfort ! »

Les BRAV-M (brigades de répression des actions violentes motorisées) tentent de rattraper les groupes qui brûlent des poubelles – bien remplies – sur les routes. Un policier dit à sa radio : « On est en sous-effectif pour les gérer ! On a besoin de renfort ! ». S’il y a bien eu faille dans le dispositif du maintien de l’ordre ce soir-là, 292 personnes sont interpellées de manière très aléatoire. Et souvent injustifiée : parmi elles, neuf seulement sont finalement déférées, soit à peine 3 %.

Les policiers n’hésitent pas à frapper. Ils courent, matraque à la main. Une jeune femme se fait attraper et frapper au bassin avant d’être relâchée. Pourquoi molester une personne sans volonté d’interpellation ? Pour intimider ? Ne pas l’y reprendre ? La dissuader de revenir les soirs suivants ? Quelques minutes plus tard, je reçois moi-même un coup à la hanche et un confrère est violemment frappé à la tête. Complètement sonné pendant plusieurs minutes, nous remercions toutes et tous son casque. Les policiers frappent sans raison.

Manifestation réforme retraites Paris 18 mars 2023 place d'Italie
Rassemblement sur la place d’Italie, deux jours après l’utilisation du 49.3 par le gouvernement pour la réforme des retraites à Paris le 18 mars 2023. (Photo : Maxime Sirvins.)

Samedi 18 mars, une manifestation part de la place d’Italie. Des poubelles brûlent et des BRAV-M arrivent épaulés par des BRAV, des CRS, des gendarmes et un camion à eau. Dans les petites rues, de nuit, des gens se font charger, frapper puis sont laissés au sol. D’autres sont interpellés, dont un homme, statique, qui se fait aplatir au sol, la tête la première, après qu’un BRAV-M lui a sauté dessus à coup de bouclier.

Le même soir, une femme se prend un coup de poing dans le nez et finit en sang, des journalistes se font frapper et voient leurs matériels brisés. Un touriste qui a le malheur de passer là prend lui-aussi des coups de matraques en essayant de sortir d’une nasse. 

Chaos et résignation

Dans ladite nasse justement, le chaos règne. Une seule sortie possible : le métro. Mais il est fermé. Les CRS sont perdus. Un coup, la nasse se fait déplacer sur 200 mètres à droite vers une station fermée pendant qu’un CRS, clope au bec, avoue « ne rien comprendre à ce qu’il se passe. »

Un autre coup, on nous envoie toutes et tous vers une autre direction, sans réelle destination. Au bout de plusieurs minutes, les gens peuvent ressortir en forçant un peu et retourner sur la route que les forces de l’ordre venaient de sécuriser. C’est à n’y rien comprendre. 

Ils sont fichés maintenant, voilà.

Le lendemain, 19 mars : autre jour, autre nasse. Cette fois-ci, c’est dans le centre de Paris, à Châtelet-les-Halles, que les opposants à la réforme sont coincés pendant plus de trois heures. Au milieu de la foule, un homme demande à un policier : « Comment se fait-il que 96 % des personnes interpellées jeudi soir aient été relâchées sans la moindre poursuite ? » La réponse de l’agent est directe et révélatrice de la répression actuelle. « Ils sont fichés maintenant, voilà. » Ce soir-là, encore une fois, de nombreuses personnes seront interpellées. 

Après ces journées de mobilisation, la fatigue se fait ressentir. Des violences qui laissent des traces. On ne s’habitue jamais, même après des années de mobilisations sociales, synonymes de répression policière. Entre collègues, entre ami.es, nous allons boire un verre ou deux, pour parler, échanger, se rassurer. Dans ces sas de décompression, les mêmes questions : à quoi beau photographier, filmer, documenter ? Un  sentiment d’impuissance se dégage. Et de résignation parfois.

Alors que de nombreuses autres mobilisations sont prévues dans la semaine, tous les regards sont dirigés vers l’action répressive de certains agents et unités, qui ne fait que nourrir la colère d’un peuple. Un peuple qui semble plus déterminé que jamais. Là est le dangereux pari choisi par Emmanuel Macron. 

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Au procès de Christophe Ruggia, la colère d’Adèle Haenel, « cette enfant que personne n’a protégée »
VSS 11 décembre 2024 abonné·es

Au procès de Christophe Ruggia, la colère d’Adèle Haenel, « cette enfant que personne n’a protégée »

Accusé par l’actrice de lui avoir fait subir des agressions sexuelles entre ses 12 et ses 15 ans, le réalisateur était jugé au tribunal correctionnel ces 9 et 10 décembre. Un procès sous haute tension qui n’a pas permis de rectifier les incohérences du prévenu. Cinq ans de prison dont deux ans ferme aménageables ont été requis.
Par Salomé Dionisi
À l’instar d’Utopia 56, la criminalisation de l’aide aux personnes exilées s’accentue
Solidarité 10 décembre 2024

À l’instar d’Utopia 56, la criminalisation de l’aide aux personnes exilées s’accentue

Alors que l’association d’aide aux personnes réfugiées est visée par trois enquêtes pénales portant sur ses actions à la frontière franco-britannique, deux rapports alertent sur la volonté de criminaliser les associations d’aides aux personnes exilées et leurs bénévoles.
Par Élise Leclercq
VSS, procès Pelicot… Qu’est-ce que la victimisation secondaire ?
Justice 29 novembre 2024 abonné·es

VSS, procès Pelicot… Qu’est-ce que la victimisation secondaire ?

Pour les victimes de violences sexistes et sexuelles, à la blessure des actes criminels s’ajoute parfois aussi celle infligée par les acteurs du système de justice pénale, comme l’illustre le procès des viols de Mazan.
Par Chloé Bergeret
Soulèvements de la Terre : le procès inédit de deux militants écologistes
Écologie 22 novembre 2024

Soulèvements de la Terre : le procès inédit de deux militants écologistes

Ce 22 novembre, Léna Lazare et Basile Dutertre étaient jugés pour ne pas s’être présentés à une commission d’enquête parlementaire créée après la manifestation de mars 2023 à Sainte-Soline. Dénonçant un « acharnement judiciaire », ils risquent de la prison avec sursis et de perdre leurs droits civiques.
Par Maxime Sirvins