Policiers, magistrats et avocats, unis contre la réforme de la police

Dans toute la France, des manifestations ont eu lieu ce 16 mars devant les tribunaux pour signifier l’opposition à la réforme de la police. À Paris, les offices centraux, dans l’ignorance de leur avenir, font bloc avec leurs collègues des territoires.

Politis  • 16 mars 2023
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Policiers, magistrats et avocats, unis contre la réforme de la police
Manifestation de policiers, magistrats et avocats à Nantes contre la réforme de la police, le 16 mars 2023.
© Estelle Ruiz / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

L’ambiance était au deuil ce jeudi 16 mars à midi, devant la Direction régionale de la police judiciaire parisienne, jouxtant le tribunal judiciaire. Des policiers, principalement issus des offices centraux spécialisés, se sont rassemblés aux côté de magistrats et d’avocats, pour faire part de leur « sidération, leur écœurement et leur souffrance » devant la réforme de la police nationale imposée par le gouvernement. Celle-ci provoquera la mort, le 1er juillet prochain, de la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ), fondée en 1907 par Georges Clemenceau et, avec elle, de tout son maillage territorial.

Sur le même sujet : Darmanin veut la peau de la police judiciaire

Des manifestations, réunissant policiers, magistrats et avocats, ont eu lieu sur tout le territoire ce 16 mars 2023. Les premiers arbitrages autour de ce projet de départementalisation de la police ont été communiqués en interne en début de semaine. Or, rien à propos des offices centraux de la DCPJ qui restent dans le flou. « On ne sait pas quand on sera informés. La seule chose qu’on sait, c’est qu’ils veulent aller vite », explique un des policiers présents.  

Gérald Darmanin a juré que les offices ne seraient pas touchés. Or, en réalité, la déstructuration du maillage territorial induite par le projet de départementalisation de la police judiciaire les concerne directement. Car si l’OFAST – Office antistupéfiants – détient ses propres antennes locales, d’autres n’en ont pas et travaillent avec les services de police judiciaires dans les territoires.

C’est tout le maillage territorial de la DCPJ qui disparaît, enterrant ses capacités reconnues de mobilisation et de réactivité.

Ceux-là mêmes qui passeront sous la coupe d’un directeur de la police nationale (DDPN) dont l’agenda ou les objectifs locaux peuvent différer de ceux des offices. « Nos relais, ce sont les polices judiciaires locales », explique un policier de l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCCLCCO).

« Ce relais territorial fait la force de la PJ. Ça constitue le prolongement de notre travail, une vraie continuité » renchérit un policier de la SDAT – la sous-direction antiterroriste. « Jusque-là, dans la lutte antiterroriste, on travaillait avec des groupes de la crim’ [brigade criminelle, NDLR] en mesure d’enfiler cette casquette particulière. Avec cette réforme, on va perdre ce lien. On n’aura plus de relais avec des groupes spécialisés alors qu’on ne travaille pas sur du terrorisme de la même manière que sur une autre matière. »  Et son collègue de l’OCCLCCO de renchérir, inquiet : « On ne sait pas comment on va pouvoir travailler après. Il y a clairement un risque qu’on soit shuntés [court-circuités, NDLR] par le nouveau DDPN ».

La surdité de Gérald Darmanin

C’est ce que regrette l’Association nationale de la police judiciaire (ANPJ), dans un texte lu au même moment aux quatre coins du territoire : « C’est tout le maillage territorial de la DCPJ qui disparaît, enterrant du même coup ses capacités reconnues de mobilisation et de réactivité », explique-t-elle, portant la voix des PJistes. « Toute opération d’envergure dépassant le cadre départemental se heurtera à une multiplicité d’interlocuteurs, aux priorités et aux moyens inégaux, que magistrats et directeurs d’enquêtes devront solliciter et convaincre ».

C’est la version la plus catastrophique du projet qui a été retenue.

Tous regrettent, amer, que Gérald Darmanin soit resté sourd aux alertes et aux mobilisations de l’ensemble du monde judiciaire et d’une partie du monde politique. « Rien n’a finalement changé », déplorent les PJistes. « C’est la version la plus catastrophique du projet qui a été retenue ». Une validation « faite sans dialogue sociale, avec la complaisance – pour ne pas dire la complicité – de certains syndicats ».

La référence au syndicat Alliance – dont le secrétaire général s’était félicité que « les spécificités de la PJ » soient « préservées » – est à peine voilée. Pour les PJistes, « cette réforme n’est pas à la hauteur des défis à venir ».

L’ANPJ, créée en août 2022 pour contrer ce projet, « continuera d’alerter les citoyens sur la dangerosité de cette réforme. (..) Parce qu’il ne s’agit pas seulement de défendre une institution séculaire, mais surtout de maintenir notre capacité à assurer la sécurité de tous nos concitoyens, et de défendre les fondements de notre société ».

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