Droit d’accueil : quarante ans de reculs

Le projet de loi Darmanin arrive après quatre décennies au cours desquelles la gauche comme la droite ont fait de l’immigration un enjeu sécuritaire, au détriment de l’accueil des migrants.

Zoé Neboit  • 12 avril 2023 abonné·es
Droit d’accueil : quarante ans de reculs
Près de la place de l’Étoile à Paris, l’association Utopia 56 a temporairement aménagé un parking en accueil de nuit pour des familles avec enfants, des parents isolés et des couples.
© Emmanuel DUNAND / AFP.

Qu’avons-nous fait de l’asile ? Que reste-t-il de la France comme terre d’accueil ? Les gouvernements se suivent et se ressemblent, et les ministres de l’Intérieur entendent, tous, marquer leur passage de leur loi « asile et immigration ». Gérald Darmanin n’y échappe pas. Et si sa loi, prévue fin mars, a été reportée, elle promet de durcir plus encore les droits des étrangers.

Comment en est-on arrivé là ? Obligation de quitter le territoire (OQTF) ; possibilité d’expulsion express de ressortissants qui séjournent en France depuis plus de dix ans ; généralisation du juge unique à la Cour nationale des demandeurs d’asile (CNDA)… Sous le jargon administratif alambiqué du droit des étrangers, réside un « un vaste plan de restrictions des droits au séjour et d’expulsions massives sous fond d’amalgame généralisé entre l’immigration et la délinquance » résume Anna Sibley, juriste au Gisti (Groupe d’information et de soutien aux immigré·es).

Le texte est présenté à l’automne dernier dans un contexte émotionnel particulier. Le meurtre de Lola, 12 ans, par une femme algérienne sous le coup d’une OQTF est exploité dans toute sa moelle par l’extrême droite, mais aussi par la majorité présidentielle.

Avec la mesure qui caractérise habituellement ses prises de parole publiques, Gérald Darmanin explique vouloir rendre « impossible la vie des OQTF en France ». Vantée comme « équilibrée » entre « humanisme et fermeté », sa loi présente un caractère éminemment dangereux et répressif qui n’a jamais fait l’ombre d’un doute pour les associations de solidarité.

« À chaque fois, on a l’impression qu’on a atteint un seuil. Mais il faut reconnaître leur formidable inventivité dans le répressif, dont les trouvailles parviennent même à nous étonner », ironise Jean-François Martini, juriste et également membre du Gisti. Le projet de loi apparaît comme la couche supplémentaire d’un mille-feuille législatif déjà bien fourni.

Si quelques rares avancées ont été rendues possibles au cours des dernières années par des décisions de justice, à l’instar de la décision du Conseil constitutionnel qui a consacré la fraternité comme principe à valeur constitutionnelle dans l’affaire Cédric Herrou, on retient surtout les inquiétants reculs contre les droits.

Depuis 1980, sans compter les circulaires, décrets et autres mesures plus discrètement glissées dans des textes portant sur la sécurité ou le travail, ce ne sont pas moins de dix-sept lois majeures qui ont réformé le droit des étrangers et l’asile en France. Dit autrement, l’arsenal législatif s’est doté d’une nouvelle loi en moyenne tous les deux ans. Pourquoi ?

Des mesures toujours plus répressives

« Régulation des flux », « contrôles à la frontière » ou encore « intégration républicaine » sont des éléments de langage récents. Ce n’est qu’à la Libération, avec l’ordonnance du 2 novembre 1945, qu’est octroyée à l’État la responsabilité de cadrer l’immigration, notamment via le travail. Durant les trente années qui suivront, la France se montrera plus accueillante, en raison d’un besoin massif de main-d’œuvre.

Les circulaires Marcellin-Fontanet de 1972 annoncent un tournant en conditionnant le titre de séjour à l’obtention d’un travail et d’un logement. La même année, le Gisti est créé. À la suite d’une mobilisation massive des sans-papiers, les mesures sont annulées trois ans plus tard par le Conseil d’État.

À partir du moment où l’État providence a été vidé de sa substance, on a accusé l’immigration de tous les maux.

Mais le ton est donné : « À partir du moment où l’État providence a été vidé de sa substance, on a accusé l’immigration de tous les maux, explique Marius Roux, juriste en droit des étrangers et membre du collectif Fontenay Diversité. Après, ça a été la course à l’échalote pour savoir qui serait capable de faire une loi pire que la précédente. »

La loi Bonnet de 1980 « relative à la prévention de l’immigration clandestine » est la première à porter atteinte à l’ordonnance de 1945. Le séjour irrégulier devient un motif d’expulsion. « On fait définitivement de l’ensemble des étrangers en France une population asservie et traquée, dont on réduit le nombre à volonté », écrit alors dans une tribune publiée par Le Monde le père André Legouy, militant des droits des étrangers et cofondateur du Gisti, après l’expulsion du journaliste Simon Malley, d’origine égyptienne.

« Avec les alternances politiques, dans les années

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Société
Publié dans le dossier
France, terre hostile ?
Temps de lecture : 8 minutes