« Exposé·es » : le sida à l’œuvre

Une exposition retrace l’influence du virus sur l’art contemporain. Montrant comment il a transformé et la société, et les artistes et la création.

Olivier Doubre  • 5 avril 2023 abonné·es
« Exposé·es » : le sida à l’œuvre
© François Doury – Avec l'autorisation de l’association des Ami·e·s du Patchwork des noms.

Exposé·es / Palais de Tokyo, Paris (16e), jusqu’au 14 mai.

Le sida, l’épidémie la plus meurtrière depuis le siècle dernier, a profondément modifié nos sociétés. Et, sans aucun doute, « anticipé certaines questions de genre, de classe, de race ». Mais il a aussi transformé les artistes, d’abord ceux qui furent contaminés par le virus. Et, bien sûr, leurs œuvres. Tout comme les rapports Nord-Sud ou les questions relatives à la propriété industrielle et à ses brevets.

À l’opposé d’une commémoration historique, l’exposition « Exposé·es » se veut d’abord un « discours au présent » sur l’épidémie. Notamment par les nombreuses œuvres proposées. C’est bien ce que souligne, dès le hall principal du Palais de Tokyo, la bannière du plasticien Gregg Bordowitz : « La crise du sida ne fait que commencer. » Qui entre en résonance avec l’immense collage de « paroles simples », plaqué sur la façade vitrée, du collectif fierce pussy, rappelant son quotidien.

Cette exposition, peut-être parfois un peu hermétique pour un public n’ayant pas vécu cette époque marquée par tant de disparitions, est d’abord un prolongement contemporain du livre – qui a fait date – de l’historienne et journaliste Élisabeth Lebovici, jadis critique d’art à Libération mais aussi militante à Act Up-Paris, la plus impertinente association française de lutte contre le sida : Ce que le sida m’a fait. Art et activisme à la fin du XXe siècle (éditions JRP, 2017). Montrant ce que le sida « a fait » aux artistes, aux œuvres, « passant outre la frontière entre activisme et création ».

« Entre esthétique et émancipation »

Non sans présenter des moments de création qui furent importants, là aussi, par le passé, pour des artistes dont beaucoup ont disparu, comme Michel Journiac ou Derek Jarman. Ou des instants, précieux, émouvants, saisis par Marion Scemama, Jean-Luc Moulène, ou la magnifique série de photos de Nan Goldin sur Gilles et Gotscho, un couple gay parisien, jusqu’au baiser de ce dernier à Gilles, décharné, mourant dans son lit d’hôpital. Et les œuvres en forme de drapeaux de manif de Julien Devemy, suspendues au plafond devant les photos de Régis Samba-Kounzi sur les vies de malades, de militants et de trans sur le continent africain…

On restera bouleversé par les Body Maps des femmes sud-africaines du Cap d’un groupe thérapeutique, représentant leur corps, certaines enceintes. De grands « portraits » qui répondent à deux œuvres, superbes, du plasticien Pascal Lièvre, créées pour des patient·es atteint·es du VIH, suivi·es à l’hôpital Broussais à Paris. Où l’art devient une « nouvelle articulation entre esthétique et émancipation ».

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Exposition
Temps de lecture : 2 minutes