Même pas en rêve

Où notre chroniqueur se réveille d’un bien mauvais rêve, dans lequel la patrie des droits de l’homme blanc (P3DL’HB) n’était soudainement plus le pays de Lumières. Ouf ! Ouf ?

Sébastien Fontenelle  • 18 avril 2023
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Même pas en rêve
Manifestation contre la réforme des retraites, à Paris, le 7 avril 2023.
© Lily Chavance

J’ai passé une sale journée.

Ça a commencé tôt le matin, quand je suis allé acheter une demi-baguette – acte des plus banals, dont nul ne supposerait qu’il puisse éventuellement tourner en tragédie. Devant moi, un client a demandé au boulanger s’il pouvait lui trancher son pain de mie, et là, direct, l’autre lui a donné une grande gifle en lui demandant d’effacer son sourire, « ou si t’en veux une autre, et d’ailleurs, dans quelle soute t’es-tu planqué pour quitter ton Afrique ? ».

J’ai trouvé ça un peu extrême (droite), mais l’artisan baguetteur s’est mis à crier qu’il était crevé, et que de toute façon la ministre déléguée aux Petites et Moyennes Entreprises lui avait apporté son « plein soutien aux forces du pétrin », alors « ta gueule si tu veux pas que je t’en colle une à toi aussi, crois-moi que j’en ai pété, des coudes et des genoux ».

Qu’est devenue ma patrie des droits de l’homme blanc (P3DL’HB) que le monde entier nous envie ?

En repartant – un peu secoué tout de même –, je regarde ce qui se passe sur Twitter et je découvre des images horribles, tournées devant un collège parisien, qui montrent un conseiller principal d’éducation (CPE) renversant un élève avec sa grosse moto avant de lui rouler sur la jambe. Je scrolle frénétiquement en me disant que ça a forcément dû soulever l’indignation du corps enseignant, et sur quoi je tombe ? Sur Pap Ndiaye déclarant qu’il remercie du fond du cœur « ce CPE grâce auquel tant de collégiens et giennes peuvent poursuivre des études en toute sécurité ».

Bor*** de me***, me dis-je, c’est décidément une journée compliquée – heureusement que j’ai ce rendez-vous avec mon médecin traitant, je vais lui demander quelques pastilles euphorisantes.

J’arrive au centre médical et je vais pour me présenter au guichet, mais je ne le trouve pas du tout, parce qu’il est littéralement noyé sous un gigantesque nuage de gaz lacrymogène. « Qu’est-ce qu’il se passe-t-il ? », m’enquiers-je auprès d’une patiente aux yeux éclatés. « C’est ahurissant : j’ai demandé s’ils faisaient le tiers payant, et là, ils se sont mis à balancer des grenades de désencerclement dans la salle d’attente en hurlant que le bolchevisme ne passerait pas », me répond-elle en crachant son nez. Là, vraiment, je m’interroge : que se passe-t-il, bon sang de bois ? Quelle est cette folie ? Qu’est devenue ma patrie des droits de l’homme blanc (P3DL’HB) que le monde entier nous envie ?

Mais ça continue : j’entends soudain, juste derrière moi, une assourdissante sirène de police – et je sursaute : ouf, c’était mon réveil.

Ouf, tout cela n’était qu’un très mauvais rêve.

Ouf, dans la vraie vie, ma P3DL’HB est toujours le pays des Lumières : c’est pas ici que des gens théoriquement chargés de veiller à notre bien-être et à notre sécurité se comporteraient comme des brutes dégueulasses, ou que des fonctionnaires chargés de garder la paix se transformeraient en reîtres pour se livrer aux pires exactions – blessant et mutilant des citoyen·nes exerçant leurs droits les plus élémentaires – sous les bravos et les hourras d’un sinistre ministre de tutelle.

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Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes
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