Extrême complaisance

Le préfet de police de Paris n’a pas cru bon d’interdire la manifestation de groupuscules néonazis dans la capitale, le 6 mai. Jamais un pouvoir n’aura autant fait pour normaliser et légitimer l’extrême droite.

Pierre Jacquemain  • 10 mai 2023
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Extrême complaisance
Des membres du groupe d'extrême droite "Comité du 9 mai" se rassemblent pour commémorer le 29e anniversaire de la mort de Sébastien Deyzieu du groupe ultranationiste "Oeuvre Française", lors d'un rassemblement à Paris, le 6 mai 2023.
© Emmanuel DUNAND / AFP.

« Cette commémoration n’a jamais entraîné de troubles à l’ordre public, c’est pour ça que j’ai pris cette décision de ne pas l’interdire. » C’est ainsi que le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, a réagi à la manifestation de groupuscules néonazis, autorisée par ses soins et organisée dans les rues de Paris, le samedi 6 mai.

L’ancien ministre d’Emmanuel Macron semble donc préférer le bruit des bottes à celui des casseroles. Comment, en effet, ne pas s’étonner et s’indigner du sort réservé à celles et ceux qui se mobilisent chaque jour, au son des poêlons, contre la réforme des retraites ?

Arrêté préfectoral interdisant « les dispositifs sonores portatifs ». Arrêté préfectoral instaurant « un périmètre de protection » pour la visite du président de la République. Arrêté préfectoral prohibant « les cartons rouges et les sifflets » lors de la finale de la Coupe du France de football. Interdiction, par la préfecture, de « toute manifestation, attroupement ou rassemblement revendicatif » aux alentours du lycée Bernard-Palissy de Saintes.

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Des exemples parmi tant d’autres. Il faut ici saluer – on ne le fait pas assez ! – le travail des fonctionnaires de l’État qui doivent faire preuve de beaucoup d’inventivité pour trouver chaque jour de nouveaux motifs d’interdiction des manifestations et autres rassemblements, alors qu’ils sont consacrés par la Constitution.

Un exercice d’autant plus contraint que le motif fort aisé de la « menace terroriste » a été retoqué par les juges administratifs d’Orléans après que le préfet du Loir-et-Cher a interdit les manifestations contre la réforme des retraites sur la base d’un texte antiterroriste. Pourtant, s’il est bien une menace qui pèse aujourd’hui, c’est celle de l’extrême droite. Nos révélations sur l’affaire WaffenKraft en atteste.

S’il est bien une menace qui pèse aujourd’hui, c’est celle de l’extrême droite.

Il est alors étonnant, dans ce contexte, de constater que les services de l’État, les préfectures, celle de Paris en l’occurrence, perdent toute créativité dès lors qu’un demi-millier de néonazis et fascistes décident de manifester en plein cœur de la capitale.

« Ils n’ont jamais entraîné de troubles à l’ordre public », se justifie Laurent Nuñez, en ce jour d’hommage à Jean Moulin. « Comme si l’ordre public se limitait au mobilier urbain », lui répond, à juste titre, l’avocat François de Castro sur Twitter. La complaisance du pouvoir avec l’extrême droite est sidérante. Jamais un pouvoir n’aura autant fait pour normaliser et légitimer l’extrême droite. Après avoir permis l’accession de deux députés RN au perchoir de l’Assemblée nationale en qualité de vice-présidents, il autorise désormais les néonazis à défiler cagoulés dans les rues de Paris.

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Élisabeth Borne se dit « choquée » par les images de la manifestation d’extrême droite, mais « il n’y avait pas de motif pour interdire cette manifestation », selon elle. Pourtant, le préfet de Paris n’avait-il pas publié, dès le 5 mai, veille de manifestation, un arrêté autorisant l’usage de drones pour « prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens », laissant entendre qu’il jugeait possibles les risques de troubles à l’ordre public ? 

L’aveu d’impuissance de la Première ministre ressemble davantage à un manque de courage et de volonté politique. Gérald Darmanin pourra bien communiquer sa volonté soudaine d’interdire les manifestations et rassemblements de « l’ultradroite », le mal est fait. Ce gouvernement n’est plus seulement complaisant à l’égard des petits camarades de Marine Le Pen, il en est le complice.

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