WaffenKraft : le projet terroriste d’un gendarme néonazi

Quatre personnes, dont un gendarme, comparaissent devant la cour d’assises de Paris, du 19 au 30 juin, pour des projets d’attentats liés à l’extrême droite : une première en France. Une affaire qui relance le débat sur l’infiltration des services de sécurité. Révélations.

Nadia Sweeny  • 10 mai 2023 libéré
WaffenKraft : le projet terroriste d’un gendarme néonazi
L’affaire WaffenKraft devient le premier dossier terroriste d’extrême droite jugé aux assises en France. Signe de l'importance de cette affaire.
© Anne-Gaëlle Amiot.

« Si vous en êtes à lire ceci, c’est probablement que vous avez décidé, comme moi et d’autres, de prendre part aux opérations violentes. » C’est par ces mots qu’Alexandre G., gendarme adjoint volontaire de 22 ans, commence son premier manifeste. Intitulé « Tactiques et opérations de guérilla », son document, qu’il définit devant les enquêteurs comme un « manifeste terroriste comme Daech ou Al-Qaida », ressemble plutôt aux écrits d’Anders Breivik, terroriste d’extrême droite auteur des attentats d’Oslo et d’Utøya en 2011, qui ont tué 77 personnes.

Il est structuré en plusieurs chapitres et détaille les méthodes d’action : attaques en véhicule, à l’arme blanche, fusillades, explosions ou « attaques multiples ». L’auteur évoque même un attentat suicide, plus efficace pour faire « un bien plus grand carnage ». Pour le jeune militaire, « une attaque réussie, c’est 50 morts ».

Alexandre G. rédige ce manifeste en 2017 alors qu’il vient d’intégrer la gendarmerie de l’air. Il a réussi les tests d’entrée à l’été 2016 après avoir quitté l’armée de terre, où il avait passé six mois en 2015. Devant les enquêteurs, le jeune homme prétend qu’une blessure au pied et une réticence à obéir aux ordres l’auraient conduit à partir pour intégrer la gendarmerie en septembre 2016.

En décembre, il est affecté à Montbonnot-Saint-Martin, non loin de Grenoble. Mais, rapidement, le ­profil du jeune homme pose quelques soucis. Dès janvier 2017, son tuteur, l’adjudant commandant de brigade de l’école des pupilles de la gendarmerie de l’air, le convoque. La raison : ses publications Facebook, dont l’une met en scène un individu d’origine maghrébine devant les tours du World Trade Center. Quelques mois plus tard, son contrat d’un an est cependant renouvelé.

Dans son viseur, les juifs et les musulmans, mais aussi les « traîtres marxistes ».

Durant ses années de gendarmerie, le jeune homme ne fait pas vraiment de prosélytisme interne. Certes, il a des « avis tranchés », dira son supérieur, mais il est plutôt solitaire et garde son expression pour les réseaux sociaux. Sous le pseudonyme FrenchCrusader (« le croisé français »), il déverse sa haine sur les forums néonazis. Un groupe de discussion sur Discord concentre son attention : le « projet WaffenKraft » – puissance de feu en allemand. Là, un petit groupe prépare des actions violentes qui se muent, sous l’influence du gendarme, en projets d’attentats.

Tir, musique métal et saluts nazis

Alexandre intègre ce groupe créé fin 2017 par Julien*, 17 ans, dès le début 2018, alors qu’il est affecté à Ambérieu-en-Bugey, toujours dans l’Ain. Grâce à l’aura que lui confère son profil militaire, il en prend la tête aux côtés du jeune créateur. Julien, alias « Hocky » ou « SIEL »,habite du côté de Tours. Il est scolarisé dans un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep), où il provoque de multiples incidents et tient des propos racistes.

* Les prénoms des personnes mineures au moment des faits ont été modifiés, conformément à la loi.

Adepte de la violence, il aime se battre et pratique les arts martiaux mixtes (MMA) dans un club. Il crée, sur Discord puis sur Wire – réseaux sociaux très sécurisés – deux groupes de discussion. Le premier, « Formation oiseau noir », permet de trier les personnes qui, après avoir répondu à un questionnaire, peuvent intégrer un second groupe, plus confidentiel : le « projet WaffenKraft ».

Julien trouve ce terme dans Siege, le livre de James Mason, idéologue du groupe néonazi Atomwaffen Division, classé par les autorités états-uniennes sur la liste des organisations terroristes. Sa propagande innerve de nombreux dossiers terroristes en France. Julien s’en imprègne et en fait part à son nouvel ami, qui épouse leur vision accélérationniste – mouvement qui prône la précipitation d’une guerre raciale. Une affiche appelant au « white Jihad » (Jihad blanc) est retrouvée dans le téléphone du gendarme.

Sur le même sujet : Les « loups solitaires » d’Atomwaffen Division

Autour du projet WaffenKraft, Julien et Alexandre rassemblent un noyau dur qui se rencontre entre le 13 et le 15 juillet 2018 dans une forêt non loin de Tours, pour un week-end d’entraînement. Cinq personnes y participent : Alexandre G. et Julien, mais aussi Évandre A., 23 ans, Gauthier F., 20 ans, et Eugène*, 14 ans.

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Les prénoms des personnes mineures au moment des faits ont été modifiés, conformément à la loi.

Le gendarme met à disposition son savoir-faire et ses armes : deux kalachnikovs, un fusil à pompe et un pistolet semi-automatique. Tous s’entraînent au tir sur fond de musique métal entre deux saluts nazis, cagoulés et armés devant l’objectif. Excité, Julien propose à Alexandre un drive by shooting (fusillade au volant). Le gendarme décline. Ensemble, ils prévoient cependant d’aller en Ukraine chercher des mitrailleuses, qui tirent en rafale.

Cellule terroriste

« Julien m’avait parlé de faire un attentat avec Alexandre. J’ai essayé de le dissuader », prétend devant les enquêteurs Évandre A. Julien conteste. Ces deux-là se connaissent virtuellement depuis 2015. Auteur de plusieurs ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale, Évandre est le penseur du groupe chargé d’évaluer l’idéologie des recrues.

« Les juifs sont une clique de parasites, ce sont nos ennemis mortels », « les homosexuels, il faut les éliminer », lui écrit un candidat sous le pseudonyme « Panzer Führer ». Les enquêteurs soupçonnent Gauthier F., alias « Panzer » ou « Panzer Granata », du fait de la proximité des pseudonymes. Celui-ci conteste.

Des propos révélateurs d’une pensée extrême de nature ultradroite.

Gauthier F., étudiant en ingénierie, est recruté début 2018. Lors du week-end d’entraînement, il achète au gendarme son fusil à pompe. Il rencontre Julien plusieurs fois. Ensemble, ils évoquent la possibilité de braquer des Arabes ou d’incendier les bureaux de la Ligue internationale contre le racisme et l’anti­sémitisme (Licra). Le père de Gauthier est lieutenant-colonel dans l’armée de l’air – aujourd’hui à la retraite.

À l’époque en service, il tient avec son fils « des propos révélateurs d’une pensée extrême de nature ultradroite et adopte une attitude banalisante sur les faits reprochés », note le magistrat dans l’ordonnance de mise en accusation que Politis s’est procurée. Contactée, l’armée de l’air rétorque que « la personne citée ne fait plus partie de l’institution militaire » et refuse de « commenter une enquête judiciaire en cours ».

Pourtant, l’objectif du groupe est clair : « Pour Alexandre, WaffenKraft était devenu le moyen de monter une cellule ­terroriste qui devait passer à l’action », reconnaît Évandre A. Et le gendarme a pris date.

Dans un second manifeste intitulé « Reconquista Europa – opération croisée – communiqué de guerre », flanqué du symbole nazi du soleil noir, le militaire l’annonce : « Le vendredi 13 novembre, une opération spéciale de représailles va être appliquée pour venger les victimes des attentats islamiques [sic]. Le Templier utilisera fusils d’assaut, explosifs et n’aura absolument aucune pitié contre ces chiens qui détruisent l’Europe. » Se revendiquant d’un « nationalisme encore plus violent que celui de Hitler », il met dans son viseur les communautés musulmane et juive, mais aussi «les traîtres marxistes communistes ».

Sur le même sujet : Jihad blanc, la menace hybride

D’après Évandre A., plus l’année 2018 avance, plus ses cibles sont précises. Dès février, Alexandre G. se renseigne sur la mosquée Omar à Paris, la mosquée Ibn Al-Khattab à Creil ou encore la mosquée de Tours. Il évoque aussi le concert de Médine au Bataclan, note les dates des dîners du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) ainsi que celles des meetings de Jean-Luc Mélenchon, pour lesquels il imagine un scénario précis d’attaque par un sniper dissimulé dans le coffre d’une voiture. « Il se voyait comme en concurrence avec les jihadistes et voulait faire mieux qu’eux, témoigne Évandre A. Pour lui, le Bataclan n’avait pas un ratio terroristes-morts assez important. Il voulait faire pire. »

Il se voyait comme en concurrence avec les jihadistes et voulait faire mieux qu’eux.

Au sein de la gendarmerie, le comportement d’Alexandre G. finit par alerter, notamment quand il remet en question les ordres de son supérieur, musulman d’origine maghrébine. Sa hiérarchie émet, le 3 juillet 2018, un avis défavorable au renouvellement de son contrat. Quelques semaines avant que le gendarme ne fasse une commande de produits chimiques servant à fabriquer des engins explosifs de type TATP – explosif privilégié des jihadistes. L’entreprise signale l’achat suspect aux autorités le 28 août 2018, ce qui déclenche la procédure judiciaire.

Un laboratoire de fabrication d’explosifs

Le 7 septembre, la section de recherche de la gendarmerie perquisitionne le domicile d’Alexandre G. Ses collègues saisissent son arsenal : ses deux kalachnikovs détenues légalement – Alexandre est inscrit au stand de tir – avec leurs 21 chargeurs, son Glock 17 et ses 5 chargeurs, 1 000 cartouches de calibre 7,62 et sa grenade démilitarisée. Ils découvrent aussi un laboratoire de fabrication d’explosifs. Alexandre G. reconnaît avoir « essayé de faire une bombe ».

Peu avant, son supérieur l’avait convoqué pour l’informer de sa radiation de l’armée. Impossible de savoir si cette exclusion est directement liée à l’enquête judiciaire déclenchée fin août et menée par la gendarmerie. Contactée, celle-ci a simplement confirmé que « son lien au service a été rompu dès septembre 2018 ».

Selon l’adjudant qui informe Alexandre G. de sa radiation, ce dernier parlait de « guerre civile » et lui aurait dit qu’il « ne changerait pas de point de vue politique ». Le gradé en est persuadé : le jeune homme est devenu gendarme pour « se fondre dans le décor et ne pas éveiller les soupçons sur son idéologie et le fait qu’il ait des armes ». Devant les enquêteurs, Alexandre dément avoir voulu « s’infiltrer ».

Malgré l’ampleur de la menace, la justice ne va pas immédiatement prendre la mesure du dossier dont elle est saisie. Lorsque le gendarme est arrêté et placé en garde à vue en septembre 2018, les seuls éléments retenus contre lui se limitent à des détentions illégales de certaines armes. Le procureur de l’époque – parti à la retraite depuis – ne le place pas en détention provisoire. Alexandre G. est laissé libre, sous contrôle judiciaire.

Un traitement léger qui étonne. « À l’époque, la justice n’avait pas pris la mesure de cette menace, explique une source proche du dossier. Les parquets ne l’appréhendent pas comme celle des jihadistes, dont l’ampleur était très importante avec des attentats très meurtriers. Or être nazi n’est pas, par définition, terroriste. Adhérer à l’État islamique, si, car c’est un projet terroriste par nature. Mais les choses évoluent : des groupes nazis envisagent des actions terroristes. »

À l’époque, la justice n’avait pas pris la mesure de cette menace.

D’après nos informations, la gendarmerie a bien fait remonter l’information à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) – spécialisée en matière terroriste – pour une première évaluation. « L’information de base ne constituait rien de terroriste à proprement parler, nous indique-t-on. Au début, on a un néonazi qui détient des armes, et la plupart légalement. Il n’est pas connu des services. Il a un casier vierge et on n’a aucun élément sur la constitution d’un groupe. » Le parquet de Grenoble garde l’affaire et n’avise pas le parquet antiterroriste.

Entraînement en forêt

Mais ce laboratoire de confection d’explosifs inquiète tout de même les enquêteurs, qui saisissent et analysent ordinateur et téléphone. Là apparaît peu à peu l’étendue du projet. Ils retrouvent les discussions, les 51 vidéos et 321 images d’armes et d’entraînements avec notamment une vidéo du 28 juin qui prouve qu’Alexandre G. avait réussi à fabriquer un engin explosif fonctionnel. Le 17 octobre, la section de recherche d’Orléans perquisitionne les domiciles de Julien et de Gauthier F.

Puis les enquêteurs prennent connaissance du contenu du premier manifeste d’Alexandre G., dans lequel le suspect détaille ses méthodes d’attaque et notamment le camion bélier, à la manière de l’attentat de Nice. Il écrit : « Je vous conseille d’avoir le permis poids lourd. Vous évitez ainsi toute suspicion. » Or, après avoir été radié de la gendarmerie, Alexandre G. s’est inscrit à une formation de conducteur de transport en commun sur route. Les magistrats renforcent son contrôle judiciaire. Les gendarmes balisent sa voiture et comprennent que l’homme continue de s’entraîner dans la forêt.

Alexandre G. est finalement interpellé le 19 décembre 2018 en rentrant d’une expédition nocturne, habillé de noir, avec un couteau de combat et un pistolet d’alarme. Il est placé en détention provisoire. Le parquet national anti­terroriste est enfin saisi. Devant le juge, peu après l’attentat du 15 mars 2019 en Nouvelle-Zélande, qui a fait 51 morts dans deux mosquées, Alexandre G. déclare s’être dit : « Ça aurait pu être moi. » Même s’il conteste qu’il serait passé à l’acte. Eugène et Évandre A. sont arrêtés le 21 mai 2019.

L’affaire WaffenKraft devient le premier dossier terroriste d’extrême droite jugé aux assises en France : tous les autres l’ont été devant un tribunal correctionnel. Signe de l’importance de cette affaire. Ce procès se déroulera du 19 au 30 juin devant la cour des mineurs : Julien avait 17 ans au moment des faits. Eugène a déjà comparu devant le tribunal pour enfants fin 2022 et été condamné à deux ans de prison avec sursis (1). L’ensemble des débats se déroulera à huis clos. Les protagonistes risquent jusqu’à trente ans de prison.

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Information mise à jour le 12 mai 2023.

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