« Assemblée représentative » : la direction de LFI donne le cap

Samedi 17 juin, La France insoumise tenait son deuxième grand rendez-vous entre militants et cadres du mouvement. Au programme : bilans, débats et élaboration des orientations pour les prochains mois. Malgré la sérénité affichée, des tiraillements internes persistent.

Louis Heinrich  • 21 juin 2023 abonné·es
« Assemblée représentative » : la direction de LFI donne le cap
Les bancs de La France insoumise lors de l’examen de la 17e motion de censure contre le gouvernement Borne, le 12 juin.
© Bertrand GUAY / AFP.

Intelligence collective, travail et perspectives : tels étaient les mots d’ordre à La Bellevilloise, le 17 juin à Paris, où une centaine de militant·es insoumis·es tiré·es au sort sont venu·es de toute la France pour participer à la deuxième assemblée représentative de La France insoumise. L’objectif : faire échanger la base militante et la direction du mouvement.Pour Leïla, animatrice d’un groupe d’action dans l’Aveyron, c’était surtout le moment d’« enrichir le squelette du mouvement avec les perceptions de chacun en fonction des réalités locales ».

Nous n’avons plus le rapport de force nécessaire pour bloquer le pays.

Mais aussi de tirer le bilan de la séquence de la bataille contre la réforme des retraites : « La stratégie du bruit a fonctionné », fait valoir le député de l’Essonne Antoine Léaument, pour qui, sans les insoumis, « les casserolades n’auraient trouvé aucun écho » dans l’Hémicycle. Proche de Clémentine Autain et absent le 17 juin, Hendrik Davi se félicite d’avoir « gagné la bataille des idées », mais regrette que la Nupes ait échoué à faire abandonner sa réforme à Emmanuel Macron. « Nous n’avons plus le rapport de force nécessaire pour bloquer le pays, mais c’est le niveau qu’exige le rapport de Macron à la politique, analyse le député des Bouches-du-Rhône. On perd la tête haute. »

ZOOM : Sondage : une alarmante perte de crédibilité

Selon un sondage Ifop-Fiducial pour Le Journal du dimanche et Sud radio, paru le 18 juin, 28 % des Français trouvent le parti de Jean-Luc Mélenchon « inquiétant », contre 21 % pour le parti de Jordan Bardella. 26 % d’entre eux pensent également que LFI est « dangereux pour la démocratie », contre 21 % pour le Rassemblement national. Autre défaite pour LFI, selon le sondage : alors que 18 % des Français le jugent « proche de leurs préoccupations », ils sont 30 % concernant le RN. Enfin, 13 % seulement des sondés estiment que LFI est « capable de gouverner la France », contre 30 % pour le RN. De deux choses l’une : soit l’entreprise de diabolisation de La France insoumise par la majorité présidentielle, relayée par une grande partie des médias, est efficace, soit cette photographie sondagière signe l’échec d’une stratégie politique. Ou les deux. 

Pierre Jacquemain

Dresser un état des lieux après des mois de contestation, c’était l’une des vocations du texte « Contre Macron et son monde, vite une majorité populaire », étudié par l’assemblée représentative. « Il se donne comme objectif de continuer et d’amplifier notre revendication de la retraite à 60 ans », rapporte la députée de Paris Danièle Obono. Le texte apporte d’autres orientations, comme la bataille contre la vie chère que mèneront les députés LFI dès la rentrée, et la campagne contre la sécheresse par le « plan eau » pensé par le mouvement. Au gré des discussions, ce texte s’est doté d’un nouvel axe fort : la lutte contre l’extrême droite. « Nous voulons être à l’offensive par la veille des insoumis·es grâce à des tracts et d’autres documents pour en faire une bataille de l’ensemble du mouvement », détaille Danièle Obono.

La Nupes à l’épreuve des européennes

Autre grande question de la journée, celle de l’avenir de la Nupes. Ou plutôt du plan à établir pour prolonger l’union de la gauche, à commencer par la constitution d’une liste commune pour les élections européennes prévues en 2024. « La Nupes est un bien précieux à préserver et à renforcer. Pour être crédible, il faut se présenter ensemble », plaide la tête de liste insoumise et députée européenne Manon Aubry. Mais LFI a déjà essuyé plusieurs refus de la part de Marine Tondelier, la secrétaire nationale d’EELV. Alors un deuxième texte, préparé par la direction et enrichi par les participants de l’assemblée représentative, « Approfondir la Nupes pour la faire gagner », est soumis au vote en ligne des militants LFI jusqu’au 28 juin. Il s’agit en substance de fixer un cap pour l’union et d’asseoir la position des insoumis·es. Une manière de faire pression sur les plus réticents à une liste commune ?

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« L’appel ne vise pas à mettre en difficulté telle ou telle organisation », se défend le coordinateur de La France insoumise, Manuel Bompard, qui assure : « Il n’y a aucune hostilité. Seulement la volonté de convaincre. » Un an après le succès de la Nupes aux législatives, on ne peut pas dire que les rapports entre les composantes de l’union de la gauche soient au beau fixe. « À l’Assemblée nationale, la Nupes se renforce au fil des textes. On se connaît de mieux en mieux et cela facilite nos échanges. Mais, en dehors, les partis ne se parlent pas », regrette une députée écologiste. Et de pointer l’attitude de certains cadres insoumis : « Je discute avec beaucoup d’élus LFI, mais c’est plus compliqué avec ceux qui tiennent le pouvoir. Manuel Bompard et Paul Vannier sont moins abordables. Je les sens méfiants. »

La stratégie du désordre

En décembre, des poids lourds de la France insoumise avaient été mis à l’écart de la nouvelle direction. Les critiques avaient fusé et Jean-Luc Mélenchon avait alors été accusé de verrouiller le mouvement. « Incompréhensible », pour Antoine Léaument, qui fustige : « Certaines personnes croient à des fables qu’ils se racontent depuis des années. » La députée de Seine-Saint-Denis Raquel Garrido n’a pas été conviée à l’assemblée représentative du 17 juin. Elle qui réclame plus de démocratie interne pointe la « toxicité » de l’élection présidentielle : « Les camarades sont spécialistes de l’organisation de ces campagnes, où ce n’est pas le moment de discuter. Ils n’ont pas envie de fonctionner autrement. Mais LFI doit se concevoir comme autre chose qu’une machine à faire des campagnes présidentielles pour Jean-Luc Mélenchon. On a raison d’aspirer à mieux. » L’ancien candidat à l’Élysée lui aurait lui-même ouvert la porte… lui indiquant la sortie. Est-ce vrai ? « Oui. Mais vous voyez, je suis là », répond l’élue.

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Pour le politologue Frédéric Sawicki, LFI est un mouvement en voie d’institutionnalisation et de consolidation. Et il y parviendra à une condition : s’il « échappe à son père fondateur ». « La situation est tendue parce que LFI a été créée et fédérée autour d’un homme », analyse-t-il. Mais, désormais, 74 députés insoumis siègent au Palais-Bourbon et Jean-Luc Mélenchon n’est plus seul : « La question de la clarification des conditions dans lesquelles le successeur est désigné ne peut que tirailler le parti », résume Frédéric Sawicki. Mis à part ces bisbilles entre ténors, les méthodes adoptées en hémicycle ne sont pas du goût de tous. Membre du micro-parti de Clémentine Autain, la Gauche écosocialiste, Hendrik Davi considère que la stratégie du désordre a fait son temps : « Le coup du ballon avec la tête de Dussopt, ce n’était pas très malin. La question est de savoir si le bruit et la fureur sont d’actualité. Je pense que non, ça n’est plus audible. On est à un moment où il faut incarner la masse silencieuse qui ne brûle pas de poubelles. » 

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Politique
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