La Nupes pique une crise existentielle

Le débat sur la réforme des retraites a révélé les fractures au sein de la Nupes : les tactiques s’opposent et la ligne insoumise agace. Sandrine Rousseau en a appelé à un « acte 2 » de la coalition. Le lendemain, l’eurodéputée Manon Aubry lui emboîtait le pas. Pour aller où ?

Jonathan Trullard  • 24 février 2023
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La Nupes pique une crise existentielle
Meeting de la Nupes au gymnase Japy à Paris, contre la reforme des retraites, le 17 janvier 2023.
© Valentin Izzo / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.

« Ils n’ont aucun intérêt à se séparer. » Vincent Martigny ne croit pas en la fin de la Nupes, prophétisée à longueur d’éditos depuis sa naissance. Le politologue minimise aussi le mélodrame que vit la coalition depuis son pataquès sur la réforme des retraites. « Les couacs ne portent pas sur le fond mais sur la forme. »

À ses yeux, les pratiques militantes opposées sont le véritable problème de cette alliance écartelée entre la contestation radicale des Insoumis – qui voient le Palais Bourbon comme l’extension du pouvoir de la rue – et la culture social-démocrate des socialistes.

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Les Verts, plus hybrides, feraient donc les arbitres sur le plan tactique. C’est eux pourtant qui ont dénoncé le « raté stratégique » de LFI sur le débat des retraites. Les amendements du groupe de Mathilde Panot ont empêché de débattre sur l’article central de la réforme, le numéro 7, celui qui prévoit le recul à l’âge de départ à la retraite à 64 ans.

Parler d’acte 2 est de la pudeur de gazelle pour ne pas dire que les Insoumis ont décidé pour tout le monde.

20 h 30, le 17 février, Sandrine Rousseau profite de l’interruption de séance dans l’hémicycle pour se rendre au bureau de l’AFP, et dégainer l’idée d’un « acte 2 » au feuilleton Nupes. « Un coup de com’ », tacle le socialiste Arthur Delaporte, qui ne cache pas son scepticisme face à cette déclaration grandiose. « Ça ne veut rien dire », ajoute l’écologiste Julien Bayou, « c’est de la pudeur de gazelle pour ne pas dire que les Insoumis ont décidé pour tout le monde ».

Dans sa déclaration, Sandrine Rousseau appelait à des décisions plus « démocratiques » au sein de l’intergroupe. Un reproche qui passe mal du côté de la France insoumise, notamment auprès de son coordinateur, Manuel Bompard : « Se souvient-elle que les écologistes ont choisi, comme le PS et les communistes, de ne pas faire groupe commun ? »

« Mélenchon et ses copains »

L’enjeu est de « mettre en sourdine la façon dont LFI fait de la politique », analyse Vincent Martigny. « Pas tout à fait », précise Cyrielle Chatelain, pour qui « la question n’est pas de s’émanciper de quiconque mais de faire ensemble ». La présidente du groupe EELV à l’Assemblée rappelle que la Nupes a « quatre moteurs distincts », et forme donc une mécanique complexe qui doit trouver son harmonie.

« Un groupe commun aurait écrasé les singularités », place dans le même sens le socialiste Arthur Delaporte, qui en appelle plutôt à renforcer la coordination. « On devrait s’inspirer de l’intersyndicale », souffle Ian Brossat. Le porte-parole du parti communiste apprécie « ce respect de chacun dans la rue » et regrette qu’il n’en soit pas de même à l’Assemblée.

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Manuel Bompard, lui, soupire quand on lui parle de prépondérance insoumise au sein de la Nupes : « Sur le fond, on parle d’une seule voix », abrège le député de Marseille. « Il y a eu une différence d’appréciation tactique mais pas mal de socialistes, communistes et écolos étaient d’accord avec nous ».

Sur le fond, on parle d’une seule voix.

Le problème soulevé en creux par cette séquence est l’influence de Jean-Luc Mélenchon sur la Nupes, sa création née au lendemain de ses 22 % à la présidentielle. S’il ne siège plus dans l’hémicycle, le tribun continue de distiller ses choix stratégiques dans les rangs insoumis et, de fait, dans toute la Nupes. « Incompréhensible retrait des amendements PCF », tweete-t-il le 16 février. Un message reçu froidement chez les premiers concernés : « Pourquoi nous interpelle-t-il ? », s’interroge Ian Brossat, « nous ne sommes pas un groupe commun ! N’est-ce pas d’ailleurs l’argument renvoyé côté insoumis ?»

De son côté, Bompard, se dit « insulté » d’être considéré comme un simple exécutant au service d’un chef en coulisse. « Mélenchon et ses copains contre le reste de la Nupes, c’est un récit, peut être, mais pas la réalité ! »

Des outils… et des lettres

Le nouveau patron des Insoumis se défend surtout de ne pas être ouvert à la discussion. Bompard rappelle qu’il a envoyé début février des courriers publics à chacun de ses partenaires. Des missives effectivement consultables en ligne et dans lesquelles on peut lire une volonté de « franchir une nouvelle étape ».

Les Insoumis n’auraient donc pas attendu Sandrine Rousseau pour proposer un nouvel « acte ». Tout dépend cependant de ce que l’on met derrière. Et avec quels outils. La députée européenne Manon Aubry sent bien le flottement, elle avance ses propositions comme la création d’un « intergroupe au niveau européen ».

L’enjeu serait là d’éviter une Nupes divisée aux européennes de 2024, ce qui semble pourtant se préparer vu le positionnement « autonomiste » des communistes et des écologistes. Manuel Bompard croit d’ailleurs encore en sa capacité de convaincre… « sans être forceur ».

Parler de 2027 est le meilleur moyen d’exploser en vol, mettons-nous déjà d’accord sur les retraites.

Et puis, il y a l’horizon 2027, et c’est peut-être lui l’« acte » attendu de tous. Car la prochaine présidentielle est dans toutes les têtes. « On doit se fixer une candidature commune », affirme le socialiste Pierre Jouvet, soutenu par Julien Bayou, qui se targue même d’avoir déjà des noms en tête : « La question n’est pas d’avoir un acte 2 mais d’avoir une candidature commune à la présidentielle ».

Objectif union, donc, dans la course à l’Élysée, et aucune dissonance là-dessus cette fois. Sauf chez… les communistes : « Parler de 2027 est le meilleur moyen d’exploser en vol », freine Ian Brossat. « Mettons-nous déjà d’accord sur les retraites… non ? »

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