Sans leur désobéissance, nous n’en serions pas là 

Simone de Beauvoir, Cédric Herrou, Philippe Mangeot, Noël Mamère, Francine Bavay… Comme les Soulèvements de la Terre, dissous par le gouvernement, toutes et tous ont enfreint la loi pour défendre des libertés qui seront reconnues plus tard.

Politis  • 28 juin 2023 abonné·es
Sans leur désobéissance, nous n’en serions pas là 
Cédric Herrou : "La loi m’importe peu quand elle fait souffrir des gens ou le vivant".
© HATIM KAGHAT / BELGA MAG AFP

Cédric Herrou, hébergeur fraternel

La classe politique s’acharnait sur nous comme si nous étions des terroristes extrémistes.

Quand, en 2015, la France rétablit le contrôle aux frontières, nous, habitants de la Roya, sommes devenus les témoins d’un spectacle funeste. En 2016, de nombreux Érythréens fuyaient leur pays avant d’être enrôlés à l’âge de 18 ans par Isaias Afwerki, dictateur depuis maintenant trente ans. Ces gamins, alors âgés de 15 à 18 ans, traversaient la Libye, la mer Méditerranée, l’Italie, puis remontaient la vallée de la Roya depuis Ventimiglia pour entrer en France. Les gamins se cachaient car traqués par des militaires armés ; la chasse s’opérait sur les chemins de montagne, sur les voies ferrées, de nuit comme de jour, parfois des cris brisaient le silence, dont l’écho s’engouffrait dans ma boîte crânienne sans pouvoir en sortir. Les choses auraient pu se faire dans le calme et le respect, mais l’État décida de faire autrement, d’user de la violence. Nous, habitants de la Roya, par refus d’accepter cette chasse à l’homme, nous cachions ces jeunes dans nos maisons. Une déferlante de gardes à vue, de perquisitions, de procès s’abattait sur nous. Nous devenions des ennemis de l’État, des délinquants. La classe politique s’acharnait sur nous comme si nous étions des terroristes extrémistes alors que nous dénoncions des manquements graves et manifestes au droit d’asile et à la protection de l’enfance, une dérive illégale exercée par l’État français. Ma maison, devenue auberge de jeunesse, fut encerclée durant deux années par les militaires. Les exilés n’étaient plus seuls à être persécutés, nous l’étions aussi. Nous aurions pu être sages et nous taire, laisser faire en gardant nos portes closes. Nous dire : « Des morts il y en a eu, il y en aura encore, c’est ainsi » ; accepter l’inacceptable. Certains ont renoncé par pression, d’autres non. Mais que serait devenue la Roya si les habitants n’avaient pas lancé l’alerte et refusé cette dérive maltraitante ? La violence, une fois installée, se serait banalisée. Nous avons été en procès et nous avons gagné au nom du principe Fraternité, devenue valeur constitutionnelle grâce à notre combat. Si nous avions perdu, nous aurions tout de même continué. La loi m’importe peu quand elle fait souffrir des gens ou le vivant. Nous avons tous et toutes le devoir de ne pas céder aux menaces, de vivre pleinement notre droit de refuser, de ne pas accepter et de manifester notre contestation, et cela par tous les moyens dont nous disposons, dans le respect du vivant. Je soutiens les Soulèvements de la Terre quoi qu’il m’en coûte. On ne dissout pas un mouvement qui se soulève. 

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Simone de Beauvoir, « Manifeste des 343 » (1971)

« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »

(Photo : Michele Bancilhon via AFP.)

Philippe Mangeot, premier condamné pour « incitation à l’usage de stupéfiants »

Act Up ne serait sans doute plus possible aujourd’hui.

En 1997, je suis militant d’Act Up-Paris. L’association avait distribué un tract, titré « J’aime l’ecstasy », après la fermeture de plusieurs établissements gays au motif d’un trafic d’ecstasy. Convoqué par la police, car un des militants qui l’avait distribué aurait été « grand, de type occidental » (comme moi), j’explique que je n’étais pas présent, mais que je souscris pleinement au contenu du tract contre la prohibition des drogues, qui va à l’encontre de mesures de santé publique. Élu entretemps président d’Act Up, je suis reconvoqué pour « incitation à l’usage de stupéfiants », et condamné à 20 000 francs d’amende – avec inscription au casier judiciaire. Avant la première audience, nous avions rédigé un appel, signé par une centaine de personnalités de toutes professions (à l’exception des politiques) qui expliquaient être usagers de drogues et aimer les drogues qu’ils ou elles prenaient. Sans grande incidence, sauf à énerver les juges ! Avec le recul, je dirais qu’Act Up a bénéficié d’une relative tolérance policière. Trois ans après la mort de Malik Oussekine, le pouvoir ne voulait pas d’un mort malade du sida, ils évitaient donc de nous taper dessus, surtout devant des caméras. Aujourd’hui, ils ont beaucoup moins peur ! Act Up ne serait sans doute plus possible. Je dis cela par rapport à ce qui s’est passé à Sainte-Soline et aux Soulèvements de la terre, qui ont des stratégies de désobéissance civile non-violente comme les nôtres à l’époque. Et, sur le fond, celui de l’usage de stupéfiants, les choses n’ont toujours pas progressé…

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(Photo : FRANK PERRY / AFP.)

Francine Bavay, faucheuse d’OGM

La désobéissance civique est l’outil commun de tous les soulèvements.

La culture d’OGM est interdite en France depuis 2008. Le principe de précaution prévaut. On n’en serait pas là si des milliers de personnes ne s’étaient levées pour clamer leur désaccord. L’alerte fut donnée en 1999. La cible : du riz OGM du Cirad. En 2000, en Ariège : fauchage d’un champ de colza, premier acte de la désobéissance. En 2003, un collectif citoyen replante du colza non OGM dans l’Aube, avec quelque retentissement médiatique. En 2003 : création des « faucheurs volontaires ». La répression s’abat à Valdivienne en 2004 : sans sommation, une tempête de lacrymos s’abat sur quelques centaines de faucheurs. Féministe, j’y suis, je reste ! Je livre ma carte aux gendarmes du Loiret pour ne pas rester invisible : seuls étaient incriminés des hommes. Procès, relaxe, appel… L’avocat général nous compare aux assassins qui, aux États-Unis, ont tué des médecins pratiquant des avortements ! Condamnation. Refus de prélèvement ADN, qui m’arrêtera aux frontières pour des années. En 2023, Extinction Rebellion se joint aux faucheur·ses pour dénoncer les désherbants à Lorient. La filiation est assurée. La désobéissance civique est l’outil commun de tous les soulèvements, toujours dénoncée comme violente, toujours porteuse d’avancées démocratiques. Après, cela va de soi ! Comme la lutte contre le réchauffement climatique. 

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(Photo : Valerie Dubois / Hans Lucas via AFP.)

Noël Mamère, officier de mariage illégal

La désobéissance civile devient une œuvre de salubrité publique.

La dissolution des Soulèvements de la Terre lève un peu plus le voile sur l’état du macronisme : mélange de fébrilité et d’autoritarisme, de soumission aux lobbys et de dérive liberticide. En 2017, la première loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (Silt) a intégré une bonne partie des dispositifs de l’état d’exception, précédant la loi « séparatisme » (2021) supposée lutter contre la menace islamiste. Tous les outils répressifs sont désormais « en magasin » pour s’en prendre à la liberté d’expression, au droit de manifester et à tout ce qui ressemble à des contre-pouvoirs. Des militants écologistes ont été interpellés par des représentants de la sous-direction antiterroriste, comme s’ils incarnaient une menace de subversion et d’atteinte à l’intégrité de l’État ! Jouer sur de telles confusions ne relève pas du cynisme, mais de l’irresponsabilité. Que ferait un gouvernement dominé par l’extrême droite de cet arsenal répressif ? L’ensemble de la société est menacée dans ses libertés, et la désobéissance civile devient une œuvre de salubrité publique. À la double condition de rester attaché aux principes de la non-violence et de l’action collective qui ont fait sa force. Thoreau, Gandhi, Luther King, Rosa Parks, les objecteurs de conscience pendant les guerres d’Algérie et du Vietnam, les paysans du Larzac, les « 343 salopes » ont inscrit leurs actions, finalement victorieuses, dans un cadre collectif et à la recherche du soutien de la société. En refusant la spirale violence contre violence dans laquelle voulaient les entraîner les pouvoirs qu’ils contestaient, ils ont fini par les « désarmer » en trouvant un large consensus. Les jeunes activistes écologistes d’aujourd’hui doivent s’en inspirer, quelle que soit leur colère face aux provocations du gouvernement qui veut en faire des délinquants faute de vouloir répondre à une question existentielle. La « révolution écologique » nécessite la mobilisation de la société tout entière et vaut mieux que l’exaltation des antagonismes et la mise en scène de deux France irréconciliables. Les tenants d’un « progrès » qui accumule les dégâts font preuve d’une confondante cécité en punissant avec brutalité les plus vulnérables. Les actions de désobéissance que nous avons menées, que ce soit avec les « faucheurs volontaires » ou lors du mariage de deux hommes, à Bègles, en 2004, ont montré le décalage entre le temps politique et celui de la société. Aujourd’hui encore, la société et sa jeune génération sont en avance sur les vieux professionnels de la politique. C’est en ne cédant rien sur les principes que nous « désarmerons » les obsédés du statu quo et trouverons l’adhésion de la société. 

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