En Ardèche, une basilique au nom du pire

Au cœur du parc naturel régional des Monts d’Ardèche, le village de Saint-Pierre-de-Colombier voit l’influence d’une communauté chrétienne et du vote à l’extrême droite se matérialiser dans le projet d’un édifice religieux démesuré et écocide.

Guy Pichard  • 12 juillet 2023 abonné·es
En Ardèche, une basilique au nom du pire
Dans ce village, la Famille missionnaire entend bâtir un édifice religieux pouvant accueillir 3 500 pèlerins.
© Pierrot Pantel/ANB.

Le jeu de mots est facile, mais c’est peu dire que l’ambiance est « Lourdes » à Saint-Pierre-de-Colombier, bourg de 400 habitants. La cause est à chercher du côté d’un immense projet : une « basilique » pouvant accueillir jusqu’à 3 500 fidèles avec ses deux flèches à 50 mètres de hauteur, soit davantage que Notre-Dame-de-Fourvière, à Lyon ! Un édifice qui questionne déjà dans sa dénomination. « Pour que ce soit une cathédrale, il faut l’accord du pape, lequel n’a pas été donné, précise François Jacquart, ancien conseiller régional communiste ardéchois. C’est alors devenu une église. La Famille missionnaire de Notre-Dame a tenté d’avoir l’accord de l’évêché, qui a lui aussi refusé. Nous sommes passés de basilique à chapelle aux dernières nouvelles. » L’anecdote sémantique pourrait faire sourire si elle n’illustrait pas l’obstination de cette communauté religieuse installée sur place depuis plus de soixante-quinze ans. Si l’édifice pose problème en termes d’impact environnemental, la communauté s’étend aussi en nombre et politiquement, le village ayant même placé Éric Zemmour en tête à 40 % au premier tour de l’élection présidentielle l’année dernière. Au second tour, Marine Le Pen a quant à elle obtenu 65 % des suffrages. Presque autant que les membres de la Famille missionnaire de Notre-Dame, qui représentent 60 % des électeurs de la commune !

Le village a voté à 40 % pour Éric Zemmour au premier tour, à 65 % pour Marine Le Pen au second.

Un climat politique délétère

Bien que seulement une quarantaine de religieux vivent à l’année au village, un certain nombre de missionnaires y sont officiellement domiciliés et des familles proches de la communauté s’installent année après année, créant progressivement un déséquilibre démographique. « Les proches de la communauté sont vite informés des maisons en vente et s’installent, mais il n’y a pas que ça, confirme François Jacquart. D’autres sont domiciliés au siège de la communauté et, comme ils sont missionnaires, leur présence sur place n’est pas continue, loin de là. Ils sont donc résidents officiellement là-bas, mais aussi électeurs. » Faut-il y voir un lien avec le vote d’extrême droite dans le village ? « Il ne semble pas y avoir de consigne de la communauté religieuse pour les différentes élections, juge Sophie Nahas, première adjointe au maire. On assiste en revanche à une vraie prise de pouvoir politique dans la commune liée aux résidences secondaires achetées par des membres des “foyers amis”. » Appelés aussi « laïcs », les membres de ces familles suivent les directives de la communauté, mais sans être entrés dans les ordres. Leur place y est prépondérante, jusqu’au sein du conseil municipal.

Plusieurs ont des proches au sein de la Famille missionnaire de Notre-Dame et l’un des conseillers municipaux est la figure de proue de la communauté : Claude Minjoulat-Rey. Ancien colonel de l’armée de terre et coordinateur du collectif « Pour notre vallée, la Bourges » (qui défend le projet de construction), l’élu est visé par une plainte pénale déposée par Sophie Nahas, la première adjointe. « Il m’a agressée personnellement en public le 21 février dernier et je trouve son attitude dangereuse, que ce soit dans son discours ou ses écrits sur Internet, bien qu’il se cache derrière son anonymat », dénonce-t-elle. Les écrits radicaux en question figurent sur le blog – anonyme – du collectif Pour notre vallée, la Bourges, qui n’hésite pas à s’en prendre aux opposants, nominativement, et aux articles de presse n’allant pas dans le sens du projet. Entre deux lettres ouvertes, ils évoquent la « réévangélisation de la France » ou encore la « conversion à venir des ex-opposants ». « J’ai très peur de ce que l’on peut lire sur le blog, personnellement je ne veux pas être convertie ! » réagit Sophie Nahas. Contacté par mail, le collectif n’a pas donné de réponse.

Dérives sectaires

Outre le volet politique, la Famille missionnaire de Notre-Dame est également dans le viseur de plusieurs institutions, comme la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et même le Vatican, qui avait nommé en 2021 Mgr Jean-Christophe Lagleize assistant apostolique de la communauté religieuse, à la suite de « difficultés préoccupantes » repérées par l’Église. « J’ai saisi la Miviludes avec deux autres élus pour qu’elle enquête et sollicité Gérald Darmanin, indique François Jacquart. Et la Famille missionnaire a été épinglée l’année dernière pour l’emprise qu’elle exerçait sur ses membres. Le ministre de l’Intérieur m’a demandé dans un courrier si j’avais des éléments supplémentaires à lui communiquer, ce que j’ai fait ». Dans son rapport, la Miviludes a relevé notamment « le recrutement de jeunes adultes peu structurés à la personnalité malléable », subissant un contrôle de leur communication avec l’extérieur et leurs proches.

La Famille missionnaire a été épinglée l’année dernière pour l’emprise qu’elle exerçait sur ses membres.

Plus grave encore, l’organisme interministériel a pointé des « dons conséquents », des « difficultés d’accès aux soins médicaux », de l’exploitation et même un « culte de la personnalité […] à propos du dirigeant ». Directement visé, le supérieur de la Famille missionnaire de Notre-Dame, le père Bernard, a jugé le rapport « complètement diffamatoire » chez nos confrères de Franceinfo, le 8 avril dernier. Une enquête pénale a donc été ouverte début mars par le parquet de Privas, nous a confirmé la capitaine Lerchundi de la brigade de Largentière (1). En outre, l’extrême droite agissant en réseau, les opposants à la construction de la basilique pointent différents relais, notamment un blog important de la fachosphère, le Salon beige, qui a consacré pas moins de trente publications au projet. Enfin, côté financier, le coût du projet est estimé à environ 18 millions d’euros. Et bien que le projet soit exclusivement financé par des dons privés, le contribuable en sera de sa poche, à travers une défiscalisation des dons de l’ordre de 66 %.

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Et non L’argentière-la-Bessée, comme écrit par erreur. (Mise à jour le 19 juillet 2023.)

Bataille (aussi) environnementale

Si le village de Saint-Pierre-de-Colombier est isolé, il est difficile d’imaginer comment cette communauté religieuse installée sur place depuis 1946 a pu ainsi passer sous les radars des autorités, actuellement promptes à sortir les grands moyens contre les militants écologistes. Gérard Fargier, maire de la commune depuis 2020, se montre discret à ce sujet mais favorable, au nom du développement économique. Joint par Politis au téléphone, il n’a pas trouvé le temps de répondre à nos questions. Quid de Laurent Wauquiez ou de la région Auvergne-Rhône-Alpes ? « C’est compliqué pour les politiques et en particulier pour Les Républicains car l’Ardèche est une terre de la Manif pour tous, estime François Jacquart. Cela les rend très précautionneux à ce sujet et ils n’ont par exemple pas été d’une grande aide quand le parc naturel régional (PNR) s’est saisi du dossier ». Ainsi, début janvier, Dominique Allix, le président du PNR des Monts d’Ardèche, a exprimé un « avis défavorable à ce projet ».

C’est là un autre terrain, majeur, de la contestation : l’environnement. « Ce dossier est remarquable pour les irrégularités face auxquelles l’administration ferme les yeux », accuse Pierrot Pantel, ingénieur écologue et chargé de mission juridique à l’Association nationale pour la biodiversité. « Que ce soit dans le permis de construire, dans le dossier environnemental, ou aujourd’hui dans cette étude environnementale falsifiée, les aberrations s’empilent ! Et l’administration valide toutes ces absurdités sans sourciller depuis cinq ans. Difficile de ne pas y voir une forme de complicité. » Avec un permis de construire validé en 2018 et des travaux commencés en 2020, puis stoppés et entrecoupés de manifestations, d’une ZAD éphémère et de nombreux recours juridiques, le chantier a repris en mars dernier à la suite du rejet par le tribunal administratif de Lyon de la requête de l’association l’Avenir de la vallée de la Bourges.

Ce dossier est remarquable pour les irrégularités face auxquelles l’administration ferme les yeux.

« Le 31 mai, l’Office français de la biodiversité est allé sur place avec le Conservatoire botanique national et ils ont constaté sur le site une espèce protégée, que le bureau d’étude payé par la Famille missionnaire de Notre-Dame avait déclarée absente, le réséda de Jacquin », continue Pierrot Pantel, qui a lui aussi déposé plainte pour diffamation contre le site Internet du collectif Pour notre vallée, la Bourges. Cette plante s’ajoute donc aux 47 espèces protégées – végétales, animales ou fongiques – constatées sur place, comme le sonneur à ventre jaune et la loutre. « Pour ces espèces, nous avons récemment déposé plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction pour destruction d’habitat d’espèces protégées », continue l’ingénieur écologue. « Personne ne sait si Dieu existe mais les sonneurs, les loutres et l’hypolaïs polyglotte sont eux bien réels ! » conclut-il. 

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Écologie
Temps de lecture : 8 minutes