À Marseille, le RAID tire à vue

La cité phocéenne, secouée par des affrontements après la mort de Nahel, a vu le RAID déployé dans ses rues. Plusieurs vidéos montrent cette unité d’élite réaliser des tirs à des distances potentiellement létales. Un homme y est mort après un « probable » tir « de type flash-ball ».

Maxime Sirvins  • 6 juillet 2023
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À Marseille, le RAID tire à vue
Des manifestants affrontent la police anti-émeute CRS à la porte d'Aix à Marseille, le 30 juin 2023, suite à la mort de Nahel, tué par un policier à Nanterre.
© CHRISTOPHE SIMON / AFP.

Des coups de feu, parfois très proches. Dans une rue marseillaise, peu après minuit, dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, des gens courent, visés par des tirs à moins de quatre mètres. Certains s’effondrent avant de se relever et de fuir. Les munitions sont en réalité des « bean bags », des petits sacs de toiles remplis de billes de plomb. En face d’eux, des hommes en noir, casqués et armés de fusils de calibre 12, le même pour les fusils de chasse. Il s’agit du RAID, une unité d’élite de la police qui intervient en cas d’attaques terroristes, de prises d’otages et dans la lutte contre le grand banditisme. Ce soir-là, pas de terroristes ni de criminels de grandes envergures, mais de simples jeunes révoltés.

Le lendemain de cette scène de traque, dans la nuit du 1er au 2 juillet, Mohamed décède d’un arrêt cardiaque dans le même quartier. Le parquet estime que le décès de ce livreur Uber Eats et jeune père de famille de 27 ans a probablement été causé « par un choc violent au niveau du thorax provoqué par le tir d’un projectile de type flash-ball ». Présent lors des affrontements, il n’était là que pour prendre des photos, d’après sa femme contactée par RTL. Le parquet de Marseille a annoncé ouvrir une enquête pour « coups mortels avec usage ou menace d’une arme ».

Flash-Ball, LBD ou bean bag, le type de blessure engendrée par ces armes est relativement équivalent, la munition étant sphérique et relativement molle. Mais, comme le montre la scène du 1er juillet au soir, des tirs à moins de trois mètres sont effectués par le RAID. Encadré, le LBD est prévu pour un usage optimal entre 25 et 30 mètres. « En deçà des intervalles de distances opérationnels, propres à chaque munition, cette arme de force intermédiaire peut générer des risques lésionnels plus importants », rappelle une circulaire de 2017 de la police nationale.

Pourtant, des vidéos des dernières émeutes montrent des policiers tirer à moins d’un mètre, comme à Montfermeil le 30 juin. Pour l’utilisation des bean bags, alors qu’une autre victime est dans le coma à Mont-Saint-Martin après un tir du RAID (article de La Voix du Nord), les consignes de tirs sont inconnues. Contacté pour obtenir plus d’informations sur les règles d’emploi, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu à nos sollicitations.

« Lésions sévères, voire mortelles »

À bout portant, les tirs de munitions bean bag comme de LBD, peuvent devenir des tirs létaux. En 2014, la Société française de médecine d’urgence (SFMU), publie un rapport sur cette arme : « Le bean bag présente un potentiel létal non négligeable à moins de 3 mètres par manque de déploiement ou encore par rupture du sachet et pénétration des plombs. À une distance supérieure ou égale à 7 mètres, même parfaitement déployé, le bean bag peut être responsable de lésions sévères, voire mortelles. » Une autre étude de 2021, cette fois-ci américaine, analyse une quarantaine de cas. L’un d’eux est celui d’un homme visé au thorax à une distance de 8 mètres. Il décèdera 15 minutes après.

Mais ils lui tirent dessus ! Il n’a rien fait ! Il n’a rien fait ! 

Le soir de la mort de Mohamed, le RAID était encore une fois mobilisé. Sur une vidéo, les policiers d’élite sont visibles. Ils surgissent de leur blindé avant de tirer plusieurs fois avec des fusils à pompe au niveau du théâtre des Bernardines. Le même soir, des images montrant le RAID en action font froid dans le dos. Avançant sur un trottoir, les agents tirent à vue. Sous les coups de feu, un homme essaie de fuir la zone et se réfugie derrière une voiture. Sur les images, on peut entendre deux tirs consécutifs juste avant de voir l’homme s’effondrer au sol. Des témoins se mettent à hurler. « Mais ils lui tirent dessus ! Il n’a rien fait ! Il n’a rien fait ! » La victime ne se relève pas. Des passants accourent pour lui venir en aide. Les images se coupent.

Comment le RAID, armé de fusils à pompe, a-t-il pu se retrouver là ? Les munitions bean bag « ne s’intègrent pas dans le dispositif légal prévu pour la dissipation d’un attroupement », rappelle la direction de la police nationale dans Midi Libre en 2019. Le 12 janvier de cette année-là, la BRI avait fait usage de ces projectiles dans une manifestation des gilets jaunes à Montpellier. La nuance, pour la police, est qu’à Marseille, il ne s’agissait ni de maintien ni de rétablissement de l’ordre, mais de violences urbaines. Dans ce cas-là, la protection des personnes et des biens est assurée par les forces de l’ordre « conformément aux règles de droit commun » en relevant des articles 122-5 du code pénal (légitime défense des personnes et des biens) et 122-7 (état de nécessité). Les policiers ont donc le droit d’intervenir avec leurs armes « sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace », comme le rappellent les deux articles.

Tirer à bout portant sur des gens en train de fuir ou sur un homme réfugié derrière un véhicule est-il proportionné ? En seulement trois jours de mobilisation du RAID, de leurs LBD et calibres 12, une personne est hospitalisée en urgence absolue et une autre est morte.

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