« Sabotage », luttes explosives

Daniel Goldhaber adapte à l’écran l’essai-manifeste d’Andreas Malm, Comment saboter un pipeline.

Rose-Amélie Bécel  • 19 juillet 2023 abonné·es
« Sabotage », luttes explosives
© Tandem Films

Sabotage / Daniel Goldhaber / 1 h 44. En salles le 26 juillet.

« Pourquoi j’ai saboté votre bien ? Puisque la loi ne vous punit pas, nous le faisons. » Voici le message que Xochitl (Ariela Barer) affiche sur le pare-brise des SUV stationnés dans les rues de Long Beach en Californie après avoir dégonflé leurs pneus. Un drame familial – le décès de sa mère lors d’une canicule – a conduit la jeune femme à mener des actions écologistes de plus en plus radicales. Pour les sept autres protagonistes de Sabotage, l’histoire est un peu la même. Celle de jeunes femmes et hommes touchés dans leur chair par les ravages du changement climatique, épuisés par les luttes pacifistes sans résultat. Dans le huis clos étouffant d’une cabane perdue au milieu du désert texan, ils préparent ensemble leur action la plus éclatante : l’explosion d’un pipeline, qui fera flamber les cours du pétrole américain et prouvera l’obsolescence de l’industrie fossile.

Le thriller, adapté du manifeste d’Andreas Malm ­Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020), revient sur les préparatifs de cette opération. Avec le suspense d’un film de braquage, le spectateur suit en retenant son souffle les gestes tremblants de Michael (Forrest Goodluck), désigné par le reste du groupe pour fabriquer deux énormes bombes artisanales. Les rares dilemmes moraux des personnages – les conséquences d’une telle action sur l’augmentation du prix du pétrole pour les plus précaires – sont rapidement balayés par l’urgence de la situation. Car Sabotage n’y va pas de main morte pour dénoncer les ravages de l’industrie fossile, quitte à faire de ses protagonistes des figures caricaturales pour épouser parfaitement son propos. De Dwayne (Jake Weary), redneck texan qui défend, pistolet à la ceinture, sa propriété dévorée par un projet pétrolier, à Theo (Sasha Lane), atteinte d’une grave maladie liée à la pollution de l’air et prête à se sacrifier pour la cause.

Sabotage

Sabotage fait songer à Night Moves (2013), que le réalisateur Daniel Goldhaber cite lui-même comme référence. Le film de Kelly Reichardt consacrait près de la moitié de son scénario aux doutes des protagonistes face aux répercussions de leur action, l’explosion d’un barrage hydro­électrique. Mais les temps ont changé. Face à l’accélération du changement climatique et à la prise de conscience d’une part grandissante de la population des catastrophes imminentes, Daniel Goldhaber souhaitait réaliser un film grand public, sans tragédie ni défaitisme : « À gauche, on a un problème avec le “mainstream”. On préfère les histoires d’échec, alors que le modèle hégémonique que nous combattons n’a aucun problème pour se diffuser via des franchises comme Marvel. Il faut aussi qu’on sache à quoi les victoires ressemblent. »

« Dissoudre cette pensée qui fâche »

Des combats victorieux, Andreas Malm en cite d’ailleurs plusieurs dans son ouvrage Comment saboter un pipeline, des suffragettes britanniques aux militants américains des droits civiques, pour défendre l’idée d’une nécessaire radicalisation des répertoires de lutte écologistes. Face aux stratégies non-violentes prônées par une large frange du mouvement climat, l’universitaire suédois estime que des actions de destruction des biens les plus polluants permettraient de faire avancer la cause tout entière. Le gouvernement français, Gérald Darmanin en tête, érige aujourd’hui le manifeste de Malm en mode d’emploi d’un écoterrorisme fantasmé. L’ouvrage est même cité en note de bas de page du décret qui a conduit, le 21 juin dernier, à la dissolution des Soulèvements de la Terre. « Dans un réflexe typique d’un pouvoir qui a perdu la bataille des idées, les apprentis chimistes du ministère de l’Intérieur se sont ainsi mis en tête de dissoudre cette pensée qui fâche », ont réagi Éric Hazan, Stella Magliani-Belkacem et Jean Morisot – éditeurs de La Fabrique – dans une tribune publiée deux jours plus tard dans Libération. Dans ce contexte d’intensification des répressions contre les mouvements écologistes, l’arrivée de Sabotage cet été dans les salles de cinéma a une résonance particulière.

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Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes