Un problème politique : la police

Les élections de 2027 inquiètent, avec une extrême-droite banalisée qui est mûre pour prendre le pouvoir, bien aidée en cela par un pouvoir macroniste qui paraît tétanisé par sa propre police.

Denis Sieffert  • 12 juillet 2023
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Un problème politique : la police
Policiers, lors du 1er mai 2023, à Paris.
© Lily Chavance

L’année électorale 2027 fait peur. Elle fait peur à la gauche, et devrait être redoutée de tous les démocrates. Sondage après sondage, les oracles prédisent une victoire de Marine Le Pen. Certes, le pire n’est jamais sûr, et 2027 est encore loin, mais ce qui était impensable est devenu possible. La remarque, me direz-vous, est aujourd’hui banale. Mais on peut se demander si cette perspective ne nous aveugle pas sur le moment présent, et si l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir n’est pas déjà engagée en un processus lent et insidieux qui se diffuse comme un poison. Et pas seulement par la bataille des idées, mais bel et bien par des positions prises au niveau du pouvoir. L’exemple le plus flagrant, il faut le chercher évidemment au sein de la police. Au départ, bien sûr, ce sont des contagions idéologiques. Quand on entend Ciotti avouer qu’il « pourrait » contribuer à la cagnotte lancée par le zemmourien Jean Messiha en faveur du policier qui a tué Nahel, ou Bruno Retailleau dénoncer la « régression ethnique » des jeunes de banlieue, qui « ne sont français que par leur identité », on a, sans en retrancher une virgule, le discours de l’extrême droite. On aurait tort cependant de n’y voir que démagogie et électoralisme. C’est bien la vieille pensée coloniale qui s’affiche de nouveau. Ce colonialisme fondateur du Front national, quand le pétainisme n’était plus avouable. « Ils sont français comment ? », fait mine de s’interroger la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio. Le poison circule aussi dans la Macronie. Voir les discours qui stigmatisent les parents et leur promettent des sanctions financières.

On a l’impression d’une police qui ne répond plus qu’à ses hiérarchies intermédiaires ou à l’instinct de quelques-uns qui ne cachent plus leur engagement.

Mais nous ne sommes plus seulement aujourd’hui dans le domaine des idées, fussent-elles nauséabondes. De répression en répression et de mensonge en mensonge, il apparaît que des éléments influents de la police, voire dominants, sont déjà au garde-à-vous devant l’extrême droite qui vient. Le gouvernement semble tétanisé devant ce qui devrait n’être que son bras armé. Rien ne sera fait qui puisse causer une peine, même légère, au syndicat Alliance. Le harcèlement des jeunes des cités va pouvoir se poursuivre, au prétexte de traquer les consommateurs de cannabis. La loi Cazeneuve de 2017, qui élargit le « concept » de légitime défense, semble gravée dans le marbre. Il est encore moins question de revenir à une police de proximité. Et Gérald Darmanin s’est bien gardé de condamner l’effrayant communiqué d’Alliance et Unsa-Police qui qualifiait de « nuisibles » les jeunes émeutiers. « Ce ne sont pas mes mots », a sobrement commenté le ministre de l’Intérieur. On ne saurait dire moins à propos d’un vocabulaire qui traite les jeunes des cités comme des insectes qu’il faut écraser. À vrai dire, on ne sait plus très bien ce qui, dans l’attitude du gouvernement, relève de l’idéologie et ce qui résulte de l’impuissance. Un peu des deux sans doute. Mais le constat d’impuissance d’un gouvernement devant sa police est finalement le plus inquiétant. On a l’impression d’une sorte d’inversion du rapport de force. Comme si le tandem Macron-Darmanin avait perdu les commandes.

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L’explication est simple : quand on s’est mis à dos une grande partie de l’opinion, que l’on a jeté dans la rue des centaines de milliers de citoyens, et qu’en toute chose la question sociale est bannie, il ne reste plus que la répression. Une nouvelle preuve du sentiment d’impunité dont bénéficie la police a été donnée le 8 juillet place de la République, à la fin de la manifestation appelée par le comité Justice et vérité pour Adama (Traoré). L’incident créé sans aucune raison est à cet égard comme un acte politique. Certes, le rassemblement avait été interdit, mais il était là, et il était pacifique. Pourquoi, devant toutes les caméras, cette interpellation musclée de Yssoufou Traoré, jeté au sol sans sommation et sans raison par les policiers de la Brav-M qui l’ont immobilisé selon le même « protocole » qui a sans doute coûté la vie à son frère Adama, en 2016 ? Où est l’intérêt du gouvernement ? On peine à l’apercevoir. Et voilà encore d’autres méfaits mis à nu par le rapport de la LDH après les manifestations de Sainte-Soline, le 26 mars : « usage de la force disproportionné et indiscriminé » ; « entraves aux secours ». On a l’impression d’une police qui ne répond plus qu’à ses hiérarchies intermédiaires ou à l’instinct de quelques-uns qui ne cachent plus leur engagement. Comme si, sans attendre 2027, ils avaient déjà mis un pied dans la porte du pouvoir.

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