Répression à Sainte-Soline : le rapport accablant de la Ligue des droits de l’Homme

La LDH a publié un rapport très critique sur l’action féroce du gouvernement et des forces de l’ordre lors de la manifestation à Saint-Soline contre les mégabassines, en mars 2023, avec plus de 5 000 grenades lancées. « La volonté politique était claire ; la manifestation de Sainte-Soline ne devait pas avoir lieu. »

Maxime Sirvins  • 10 juillet 2023
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Répression à Sainte-Soline : le rapport accablant de la Ligue des droits de l’Homme
Un manifestant blessé est pris en charge lors de la manifestation à Sainte-Soline, le 25 mars 2023.
© Thibaud MORITZ / AFP

« C’est le rapport d’un contre-pouvoir au service de la démocratie », lance Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’Homme, ce lundi 10 juillet, au moment de présenter, lors d’une conférence de presse à Paris, un dossier complet sur les évènements de Saint-Soline. Un travail de plusieurs mois, s’appuyant sur des témoignages, des observations de terrain et la compilation de rapports et d’images.

Les hostilités autour du projet de mégabassines ont été initiées par les forces de l’ordre.

Patrick Baudoin, LDH

Rappel des événements. Le samedi 25 mars 2023, dans cette commune des Deux-Sèvres, des milliers de manifestants ont marché contre les mégabassines face à un dispositif impressionnant des forces de l’ordre. 3 200 gendarmes, 9 hélicoptères, 4 blindés, 4 camions à eaux ont fait face pendant plus de deux heures à plus de 30 000 militants. « Sainte-Soline c’est quelque part très emblématique de la période que nous vivions en matière de répression », conclut Patrick Baudouin lors de sa présentation.

Pour couvrir le rassemblement, la LDH avait dépêché 18 observateurs indépendants de toute la France répartis en cinq équipes. Leur objectif : documenter le déroulement de la marche et du maintien de l’ordre. Deux rapports ont déjà été publiés, par la préfecture des Deux-Sèvres et par la direction générale de la gendarmerie nationale. Celui de la LDH remet largement en cause les versions officielles. « Les hostilités autour du projet de mégabassines ont été initiées par les forces de l’ordre, qui ont par la suite fait un usage démesuré et invraisemblable d’armes de guerre. »

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Deux grenades toutes les trois secondes

Pendant deux heures, la LDH va assister à « un usage de la force, ni nécessaire, ni proportionné et indiscriminé. » Rapidement, les grenades lacrymogènes sont accompagnées par tout l’arsenal possible. Grenades de désencerclement, explosives GM2L et assourdissantes que Politis avait présentées en exclusivité. Le rapport de la gendarmerie parle de 5 015 grenades lacrymogènes, 89 de désencerclement, 40 assourdissantes et 81 tirs de LBD.

En deux heures d’affrontements, cela correspond à deux grenades toutes les trois secondes. « À chaque détonation, des cris d’appel aux secours se faisaient entendre », rapporte un observateur. « J’ai été choqué par le nombre de cratères au sol. On était sidéré, nous n’avions jamais vu une puissance de feu pareille. »

On était sidéré, nous n’avions jamais vu une puissance de feu pareille.

Un observateur de la LDH

En créant « un fortin » par l’alignement des camions de gendarmerie « autour de la bassine », les gendarmes se sont retrouvés « encerclés ». Ils n’avaient « comme unique possibilité » que « de repousser les manifestants, quoi qu’il en coûte, afin qu’iels ne parviennent pas à accéder au chantier de mégabassine (soit un trou dans la terre). »

Pour comparer ces chiffres, la LDH se fonde sur les affrontements sur la ZAD de Sivens en 2014, la nuit de la mort de Rémi Fraisse. Soit 237 grenades lacrymogènes, 38 grenades GLI-F4 (remplacées depuis par la GM2L) et 23 grenades offensives F1. « Ce sont 20 fois plus de grenades qui ont été tirées en deux heures à Sainte-Soline. Aucune leçon n’a été tirée. » En citant un article de BFM TV, la LDH raconte que 260 grenades explosives GM2L ont été tirées rien que par les gendarmes en quads. Membres du PM2I, peloton motorisé d’intervention, ils ne représentent ce jour-là que 40 militaires sur les 3 200 présents.

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« Quel qu’en soit le coût humain »

« Attention, certains témoignages sont susceptibles de choquer », annonce le rapport. Avec des photos de compresses imbibées de sang et de plaies de plusieurs centimètres, la LDH ne passe pas par quatre chemins. « Le choix délibéré des autorités publiques d’empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain, a été lourd de conséquences » affirment les auteurs du rapport. Durant les affrontements, les blessés sont évacués loin des affrontements. Autour d’eux, des militants et des députés font des chaînes humaines pour les protéger. « Ils nous ont clairement lancé des grenades et du gaz lacrymogène dessus sans aucune sommation », raconte René Pilato, élu LFI Nupes de la Charente, cité dans le rapport. Images à l’appui, la LDH confirme cet usage « disproportionné » de la force qui n’apparaît dans aucun rapport officiel.

Parmi les blessés, certains se trouvent dans un état très grave. Serge D. passera plusieurs semaines dans le coma après un tir à la tête, comme le prouve une vidéo publiée par le journal Le Monde. Mickaël est, lui, blessé à la trachée et a dû être « opéré du cerveau » selon sa mère. Le rapport cite aussi le cas d’un homme ayant eu « traumatisme du pied gauche avec fracas osseux » et un risque d’« infirmité permanente. » Une jeune femme de 19 ans « souffrirait de paralysie faciale après avoir eu la mâchoire brisée par une grenade. » Le lendemain, le représentant des Soulèvements de la Terre annonce au moins 200 personnes blessées dont 40 graves. De son côté, le rapport de la gendarmerie indique 17 blessés dont deux graves, des chiffres bien inférieurs aux observations de la LDH sur le terrain.

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La Ligue revient ensuite sur la prise en charge des blessés, alors que la très longue évacuation de Serge D. avait fait polémique. Mediapart, qui avait retracé les évènements, conclut son article par : « Serge D. est donc blessé depuis plus de trois heures au moment où il est évacué par hélicoptère. » Du côté du Samu et de l’autorité, la raison donnée sur ce retard est celle d’une zone d’exclusion liée à la violence des affrontements. Pour la LDH, « le commandement et les services de la préfecture auraient dû prévoir l’accès au dispositif de soin en cas de détresse vitale dans cette zone. » Lors de la conférence de presse, un observateur affirme que « les autorités ont entravé sciemment les opérations de secours quel qu’en soit le coût humain. »

Les autorités ont entravé sciemment les opérations de secours. 

Un observateur de la LDH

Une répression avant et après

Pour la LDH, la répression est allée au-delà des deux heures d’affrontements. « Des contrôles routiers et d’identité massifs, liés aux réquisitions du procureur, ont été déployés. » Dans une audition du 5 avril, Gérald Darmanin indique que plus de 24 000 contrôles de véhicules auraient été effectués. Certains sont réalisés avec des lampes UV alors que des produits marquants avaient été utilisés lors de la manifestation. Deux personnes seront interpellées suite à un marquage, dont un journaliste, d’après la Ligue. L’utilisation de ces produits marquants codés (PMC) est largement dénoncée par la LDH. « En quoi le fait d’avoir été marqué permet-il de caractériser autre chose que la présence sur le lieu où le produit a été utilisé ? »

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La répression s’est aussi faite dans la communication du gouvernement « visant à dédouaner l’action des forces de l’ordre », d’après la LDH. Le 27 mars 2023, en conférence de presse, Gérald Darmanin affirmait ainsi qu’aucune arme de guerre n’avait été utilisée. Pourtant, les grenades assourdissantes, de désencerclement, les GM2L et les lanceurs sont classés aux yeux de la loi comme des armes de catégorie A2, dites « matériel de guerre ».

Emmanuel Macron, de son côté, assurait, le 30 mars, que « des milliers de gens qui étaient simplement venus pour faire la guerre ». Pour la LDH, l’utilisation de ce vocabulaire guerrier est révélatrice. « Cette rhétorique employée par Emmanuel Macron a vocation à désigner un adversaire, un ennemi, dont l’intégrité physique et psychique ainsi que la vie, peuvent, en conséquence, être légitimement menacées. »

Enfin, le rapport rappelle que des associations et collectifs ont été rudement visés après le week-end de fin mars 2023. « Les Soulèvements de la Terre ont fait l’objet le 21 juin 2023 d’une dissolution administrative par décret en conseil des ministres, sur proposition du ministre de l’Intérieur. » La LDH a aussi été prise à partie directement par Gérald Darmanin lors de son audition du 5 avril au Sénat. Le ministre de l’Intérieur a indiqué qu’il fallait porter une attention particulière aux « subventions à cette association ».

Une conclusion amère

Une rhétorique guerrière et fallacieuse, sous la houlette du ministère de l’Intérieur. 

Le rapport de la LDH

Pour terminer son long rapport, la LDH tire une conclusion de près de deux pages. « Ainsi, la volonté politique était claire ; la manifestation de Sainte-Soline ne devait pas avoir lieu, et toute personne qui bravait l’autorisation préfectorale s’exposait à des risques pour son intégrité tant physique que morale. […] L’ensemble de la communication officielle, portant sur le déroulé de la manifestation [a été] alimenté par une rhétorique guerrière et fallacieuse, sous la houlette du ministère de l’Intérieur. » « Nous ne sommes pas les seuls à le dire. »

La Ligue des Droits de l’Homme rappelle que le gouvernement français a été épinglé par plusieurs institutions internationales comme l’ONU et le Conseil de l’Europe. Des experts des Nations unies ont ainsi communiqué que le nombre de blessés enregistré et la gravité des violences étaient « alarmants. » Pour le président de la LDH, « depuis, rien ne s’est arrangé. Il y a une poursuite des violences policières avec des illustrations récentes comme la mort du jeune Nahel et ce qu’il s’est passé encore ce week-end à Paris avec le comportement des BRAV-M sur le frère d’Assa Traoré et sur des journalistes. »

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