Du sens au travail

Le mouvement contre la réforme des retraites l’a montré : les salariés ne veulent plus d’un travail pénible, intense et dénué de sens. Certains résultats de recherches suggèrent des pistes de réflexion pour y parvenir.

Thomas Coutrot  • 30 août 2023
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Du sens au travail
© Paul Einerhand / Unsplash

En France, personne ou presque ne peut nier cette évidence : la puissance du mouvement contre la retraite à 64 ans s’enracine dans le rejet du travail tel qu’il est organisé aujourd’hui. Ce rejet s’exprimait d’ailleurs déjà, au lendemain de la crise du covid, par la « grande démission » et les difficultés de recrutement inédites dont se plaint le patronat. Pour le dire vite, les salariés ne veulent plus d’un travail pénible, intense et dénué de sens.

Ce constat remonte du terrain et les travaux de recherche le confirment. Le mouvement syndical a bien compris qu’il doit s’emparer de l’organisation et du sens du travail, mais il n’est pas bien équipé pour le faire : il est historiquement plus focalisé sur la négociation du travail abstrait que sur la promotion du travail vivant. Le patronat, quant à lui, considère que l’organisation du travail est sa chasse gardée. Peut-être certains résultats de recherches peuvent-ils suggérer des pistes de réflexion (1).

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Thomas Coutrot et Coralie Perez, Redonner du sens au travail : une aspiration révolutionnaire, Seuil, 2022.

Premier résultat : la perte de sens du travail n’est pas un déclencheur de l’adhésion à un syndicat. Une personne salariée peut adhérer quand elle craint pour son emploi ou a de mauvais rapports avec ses collègues ou ses chefs, mais pas quand elle éprouve le sentiment de ne pas pouvoir faire correctement son travail. Deuxième résultat : les objectifs chiffrés ou les changements organisationnels permanents ont un impact très négatif sur le sens du travail et la santé mentale, sauf quand les salariés disent qu’ils ou elles ont pu peser sur ces décisions. Cela montre l’importance de développer le pouvoir des salariés sur l’organisation de leur travail. La démocratisation du travail est désormais clairement un enjeu de santé publique et environnementale.

La démocratisation du travail est un enjeu de santé publique et environnementale.

Redonner du sens au travail : une aspiration révolutionnaire

Troisième résultat : le fait d’avoir un entretien annuel d’évaluation avec son supérieur permet, dans la majorité des cas, de renforcer le sens du travail et la santé mentale des salariés. À condition que l’évaluation se déroule sur la base de critères précis et sans imposer des objectifs chiffrés. Ces entretiens peuvent alors constituer une occasion pour les salariés de discuter un peu en détail de ce qu’ils peuvent ou non faire dans leur travail, et des améliorations à apporter. Bien sûr, ils sont aussi un moyen pour le management d’individualiser la relation d’emploi et de s’approprier les connaissances des salariés sur leur travail réel.

La question pour les syndicats et les élus du personnel est alors la suivante : est-il possible de construire, avec les salariés, des espaces de discussion sur le travail qui concurrencent les dispositifs managériaux, mettent en question l’organisation et les finalités du travail, réfléchissent à ses conséquences écologiques, et renforcent l’unité, l’autonomie et les capacités d’action collective des travailleurs ? Peut-être y a-t-il là une voie importante pour renforcer ou reconstruire les collectifs de travail, dont l’affaiblissement au fil des décennies est une cause majeure du déclin des grèves et de notre échec répété à les généraliser. 

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