Services publics : vive le monopole !

Le monopole du service public dans l’éducation n’a aucune chance de voir le jour. Il serait pourtant, avec ses pendants dans l’énergie et les transports, la condition nécessaire d’une « société » digne de ce nom.

Gilles Raveaud  • 23 août 2023
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Services publics : vive le monopole !
Mobilisation à Paris, dans le 18e, contre les fermetures de classes à la rentrée prochaine.
© Guillaume Deleurence.

Des rattrapages de factures d’électricité de plusieurs milliers d’euros envoyés par Engie à ses clients ; un « séparatisme scolaire » croissant qui permet aux catégories sociales aisées de placer leur enfant dans le privé ; des vols aériens à prix cassés, deux fois moins chers que le train en moyenne en Europe… Le point commun de tous ces phénomènes ? La liberté de choix. La possibilité de choisir notre compagnie aérienne, notre fournisseur d’énergie, l’école de nos enfants est essentielle à beaucoup d’entre nous. Elle est au fondement de notre société de marché, à tort qualifiée de « libérale » alors qu’elle réduit chaque jour nos libertés, comme la liberté de se soigner gratuitement. Cette société de marché attente même à nos vies, les fermetures de services d’urgence réduisant nos chances de survie à la suite d’un accident de la route ou d’un AVC.

En quoi la liberté de choix est-elle néfaste aux services publics ? Parce qu’elle diminue leur qualité. La carte scolaire obligeait la fille de médecin à fréquenter la même école que le fils de magasinier. Cette mixité sociale, humaine, conduisait à ce que le médecin, la cheffe d’entreprise ou le professeur d’université aient leurs enfants « dans le public ». La présence de ces parents exigeants mettait une pression sur l’institution, désireuse de bien les servir. De leur côté, ainsi que de nombreux travaux de sociologie l’ont montré, les maîtresses et les maîtres se sentaient valorisés d’avoir des enfants de notables dans leurs classes.

La carte scolaire obligeait la fille de médecin à fréquenter la même école que le fils de magasinier.

Le même service public pour tous pousse donc sa qualité à la hausse – ou, plus exactement, évite sa dégradation. Un phénomène bien sûr partiel : dans les territoires maltraités par la République, ruraux ou banlieusards, la carte scolaire n’a pas empêché l’effondrement de la qualité des études. Mais la fuite désormais massive des enfants de catégories sociales supérieures vers le privé dégrade l’école pour celles et ceux qui restent prisonniers du public : l’école pour les pauvres est une pauvre école.

Sur le même sujet : Est-il possible d’enseigner autrement dans l’école publique ?

La solution est simple : interdire le financement public de l’école privée et revenir à une carte scolaire contraignante. Rassurons le bourgeois qui dort en chacun de nous : de telles mesures ne priveraient en rien le petit Gabriel né dans le cinquième arrondissement de Paris de cours de soutien, de voyages aux États-Unis, d’études à Cambridge, du réseau professionnel de maman, des héritages qui l’attendent, etc.

Seulement voilà : rejetées par les gens de droite, ces propositions le sont aussi par un nombre élevé de personnes « de gauche », attirées par exemple, face au monolithisme de l’Éducation nationale, par les très intéressantes expériences pédagogiques proposées par certains établissements privés. Le monopole du service public dans l’éducation, qui n’a jamais existé, n’a donc aucune chance de voir le jour. Il serait pourtant, avec ses pendants dans l’énergie et les transports, la condition nécessaire d’une « société » digne de ce nom.

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