Handicap et logement social : comment gagner un combat perdu d’avance ?

TRIBUNE. Si le handicap est un sujet politique, le logement est un sujet de déception, selon Nassim Moussi, architecte et fondateur d’AGAV (Atelier du Grand Âge et du Vieillissement).

Nassim Moussi  • 26 septembre 2023
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Handicap et logement social : comment gagner un combat perdu d’avance ?
« Accessibilité : mode d’emploi » Craie graphite et aquarelle, 2023.
© Nassim Moussi

En 2022, la France compte près de douze millions de personnes en situation de handicap (17,8 % de la population), aux réalités très diverses. La loi du 11 février 2005 a dressé l’obligation générale d’accessibilité des bâtiments d’habitation et des lieux recevant du public à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique. Toujours est-il que le logement dans sa fabrication est aussi producteur de disparité, comme le dénonce à Nantes, Christelle Renault, souffrante d’une maladie rare et évolutive et qui vit aujourd’hui dans un appartement inadapté à son handicap ou encore à Massy faute de logement adapté, Karima Poplawski porte son fils de cinquante kilos, handicapé de 10 ans, tous les jours à bout de bras dans les escaliers, atteint d’amyotrophie spinale type 3, une maladie dégénérative qui paralyse les muscles.

Ce jusqu’au-boutisme réglementaire bride considérablement le processus d’élaboration des projets ; rampe d’accès inexistante, manque d’ascenseurs fonctionnels, qualités d’éclairages défectueux, w.-c. sous dimensionnés, balcons avec emmarchement, salle de bains exiguës, fenêtres trop hautes, couloirs trop étroits. Ces logements, qui sont non seulement de plus en plus saugrenus à crayonner, coûtent aussi plus cher à la construction du fait de nouvelles normes qui leurs sont imposées. Tel un remède de charlatan, l’invocation perpétuelle d’habitats inclusifs comme élément de langage ne correspond à aucune action ou mesure sérieuse. Elle ne peut être un objectif politique évasif. Beaucoup de débats, beaucoup d’approximations, peu de moyens donc.

35 % des personnes handicapées recherchant un logement ces cinq dernières années n’en ont pas trouvé.

Hélas, l’idéalisme du corps politique qui, se plaisant à répéter « changer le regard » et en dépit de mesures concrètes, les injustices et discriminations subies par les personnes handicapées dans leur vie quotidienne demeurent considérables, particulièrement dans l’accès au parc social. Hier comme aujourd’hui, le logement social répond peu aux désirs des personnes en situation de handicap et la diversité des offres est insuffisamment pourvue voire non adaptées. Où en est donc le signifiant d’accessibilité universelle ? Pour nécessaire qu’il soit, le choix du logement social et de sa localisation est un choix exigeant, plus ou moins contraint, plus ou moins choisi. Fruit d’arbitrages entre des aspirations personnelles initiales, ou encore du recours à une tierce personne qui peut aussi dénaturer le principe du choix, les possibilités offertes par le marché immobilier et les contraintes qui pèsent sur l’individu sont nombreuses.

Partie pour perdre

Ainsi, le choix résidentiel est toutefois à considérer non pas exclusivement comme la conséquence des seules aspirations des ménages, mais aussi comme une alternative sous obligations. Une entrave en amène une autre, puisque 35 % des personnes handicapées recherchant un logement ces cinq dernières années n’en ont pas trouvé. Déstabilisées par un effet ciseaux et écrasées par le poids des dépenses de logement en raison de la combinaison des coûts élevés de gestion/construction et du manque de logements adaptés, elles sont particulièrement touchées par cette condition d’autant que leur taux de chômage est deux fois supérieur à celui du reste de la population.

Outre la saturation du parc social entre pénurie et inadéquation, la loi Elan a baissé les « quotas » de logements accessibles. Ce projet de loi, sous couvert de vouloir créer un choc de l’offre fallacieux, traite – consentons à l’aveu – la question du logement sous une approche strictement quantitative au mépris d’une réflexion universelle sur les plans sociaux, environnementaux et architecturaux. À croire que les logiques trésorières et comptables s’adonnent aux maîtrises de peuplement des handicaps, or les situations de handicaps ne sont pas des tableaux Excel et encore moins une fatalité.

Les situations de handicaps ne sont pas des tableaux Excel et encore moins une fatalité.

La question vient donc du cumul de plusieurs facteurs et de l’imprécision du texte laissant la porte ouverte à nombre d’interprétations de la part des bureaux de contrôle, qui ont chacun leur propre dogme : application de la norme d’accessibilité, réduction des surfaces m² des logements, et atteinte de nouvelles performances thermiques qui grossissent les dimensions des enveloppes extérieures des bâtiments. Le respect de ces normes aboutit à l’obtention d’innombrables labels certifiant la bonne ou mauvaise qualité des logements construits. Ces certifications deviennent le but premier de chaque maître d’ouvrage ouvrant droit à de juteuses subventions, en faisant fi d’une quelconque vertu architecturale dans son insertion urbaine et paysagère, ou de la qualité de vie et de bien-être des personnes.

Barèmes, quotas, compensations, des solutions de bric et de broc

Si les évidences morales ne font pas projet, peut-on espérer des organismes HLM une meilleure réorganisation foncière de leurs parcs ? Ainsi, le piège du « dodu dormant » ne fait-il pas obstacle à l’accessibilité à tout pour tous ? Cette expression qui désigne un organisme HLM aux trésors de guerres financières confortables, peu empressé de les entamer pour produire de nouveaux logements et se contentant de vivre de ses rentes, c’est-à-dire des loyers tirés de son parc largement amorti. Les fonds propres sont ainsi thésaurisés sans qu’un usage pertinent ne soit envisagé.

Entre crise de l’inaccessibilité et crise de l’inadaptabilité des logements sociaux, les personnes en situation de handicap se retrouvent parfois à vivre un supplice dans leur appartement et ont des répercussions bien concrètes dans la manière dont les personnes vivent et se sentent niées ou reconnues dans leur quotidienneté. Ces obstacles de ségrégations par omission n’ont rien de naturel et à l’évidence, le côté systémique de ces situations impose un devoir d’équité et d’accessibilité universelle.

À titre historique, dans les années 1990, un logement social de 3 pièces mesurait entre 65 et 70 m2 aujourd’hui il n’atteint plus que 60 à 64 m2 afin de minimiser le montant des loyers, réduire les coûts fonciers et de constructions. La loi sur l’égalité des droits et des chances, qui a débouché entre autres sur la réglementation d’accessibilité, impose que tous les logements construits ou réhabilités respectent un certain nombre de prescriptions dimensionnelles (1). Hélas, ces impositions chiffrées font aboutir à une banalisation des conceptions urbaines et à un appauvrissement de la solution architecturale, qui incarcère tout en invisibilisant avec violence, les personnes dans leur propre lieu de « vie ».

1

Catherine Carpentier & Emmanuelle Colboc, « Construire des logements en 2010 : une loi handicapante », Métropolitiques, 25 novembre 2010.

L’accessibilité n’est pas une faveur, c’est un droit fondamental

Les perspectives démographiques ne doivent pas sous-estimer le pouvoir du statu quo du monde HLM, car le changement de politique est toujours plus difficile que la stabilité des politiques. Les majors traditionnels de la politique immobilière du logement social, tels que les fonctionnaires ministériels, élus locaux qui président les offices publics et les associations affiliées, sont d’ordinaires partagés aux nouvelles structures et procédures. Cela est particulièrement vrai dans un domaine politique avec de fortes dépendances de parcours telles que la politique du logement : les réglementations de construction et les incitations économiques créent des effets long-termistes.

Comment limiter la dépendance à des textes de loi imposés par un environnement conçu par des personnes valides ?

Ces épreuves de force soulèvent plusieurs interrogations : faute de pouvoir institutionnel et organisationnel peut-on alors regretter la faible influence politique des lobbyistes du handicap ? L’architecture comme réponse universelle, peut-elle tout résoudre ? Comment limiter la dépendance à des textes de loi imposés par un environnement conçu par des personnes valides ? Ainsi, comme le souligne justement Deza Nguembock conférencière et présidente du fonds AHADI, « Si le handicap est un enjeu sociétal indéniable, il est aussi une source d’innovation infinie. Une invitation à faire un pas de côté pour explorer des solutions améliorant nécessairement le confort de tous. » Politisons ce combat, car nul ne devrait ignorer que le handicap existe, qu’il interpelle la citoyenneté, la différence et la solidarité, aujourd’hui si malmenées, en sont une preuve parlant à tous les yeux.

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