« Les femmes subissent dans le rugby une inégalité de traitement »

Alice Evlachev, joueuse de rugby, revient sur les combat que les femmes doivent mener pour pratiquer ce sport comme les hommes.

• 6 septembre 2023
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« Les femmes subissent dans le rugby une inégalité de traitement »
© Photo de Quino Al sur Unsplash

Longtemps les matchs de rugby féminin devaient se jouer sur demi-terrain, comme c’est le cas pour les enfants. Pour protester contre cette règle, les RugbyBirds de Sciences Po Paris ont milité pendant des mois jusqu’à obtenir gain de cause. Alors que la Coupe du monde masculine commence le 8 septembre, l’une des cocapitaines revient sur ce combat.


J’ai 23 ans, j’étais cocapitaine, avec Léa Chaupin, de l’équipe de rugby féminine de Sciences Po Paris, les RugbyBirds, lors de la saison 2021-2022, après avoir commencé ce sport en deuxième année. La plupart des joueuses commencent le rugby à travers le sport universitaire, donc nous sommes très soudées et la bonne ambiance est garantie. Il s’agit de la plus grosse équipe de sport de Sciences Po, avec soixante inscriptions par semestre. Mais une spécificité française inscrite dans le règlement de la Fédération française du sport universitaire (FFSU) était très frustrante à nos yeux. Elle stipulait que les matchs officiels des féminines se jouaient sur un demi-terrain et non un terrain conventionnel. C’est infantilisant et humiliant car cette pratique, s’agissant du rugby, est réservée aux enfants. Lors de nos voyages respectifs à l’étranger, nous nous sommes trouvées dans des pays comme la Colombie, où le rugby n’est pas aussi développé qu’en France mais où les joueuses jouaient quand même sur un terrain conventionnel.

Lors de mon premier tournoi de rugby universitaire, celui des grandes écoles (TGE) organisé par l’Essec à La Rochelle, je me suis rendu compte de cette inégalité. Il pleuvait beaucoup et le terrain était très boueux. Notre terrain l’était forcément beaucoup plus que chez les garçons. Ça ne ressemblait pas vraiment à du sport, on se roulait dans la boue et un camarade de l’équipe masculine m’avait dit : « Ce que vous faites, ça ressemble plus au jeu du béret qu’à du rugby », et c’était vrai. D’un point de vue extérieur, c’est ridicule, il n’y a aucune crédibilité. Je pense aussi au tournoi Top Eight de Neoma organisé à Marcoussis, le Clairefontaine du rugby, il y a deux ans. On nous a fait jouer sur les demi-terrains du terrain d’échauffement, qui lui-même n’est pas conventionnel. On paie le même prix (élevé) que les garçons, mais on subit une inégalité de traitement.

Beaucoup de filles sont opposées au changement parce qu’elles essentialisent cette différence en pensant qu’elles n’ont pas le niveau.

Malheureusement, beaucoup de filles sont opposées au changement parce qu’elles essentialisent cette différence en pensant qu’elles n’ont pas le niveau, ou que leur condition physique n’est pas assez bonne. L’argument du manque d’effectifs revient aussi souvent : dans le sport universitaire, il faut dix joueuses par équipe sur un terrain conventionnel contre sept sur demi-terrain. Pendant le covid, nous avons lancé un mouvement de protestation en rédigeant une lettre ouverte avec une liste d’arguments appuyant notre revendication : passer du demi-terrain au terrain conventionnel. D’abord laissée de côté, la lettre a été reprise par une joueuse de l’équipe, Inès Dollé, qui était en service civique à la FFSU. Elle l’a soumise au nouveau responsable rugby, Jean-Philippe Martinod, qui m’a accordé un entretien en mai 2022. Je le remercie énormément car, quelques mois après, le règlement universitaire était modifié et le championnat féminin des écoles a pu se dérouler sur terrain conventionnel.

Mais les effets sont contrastés. Pour l’édition 2022 du tournoi inter-IEP, qui n’est pas soumis aux règles du championnat universitaire, toutes les capitaines étaient contre le changement de format. Un accord avait été conclu avec la capitaine de Bordeaux : si la finale opposait Paris à Bordeaux comme c’était le cas depuis dix ans, on jouerait sur terrain conventionnel. La veille de la finale attendue, elle se rétracte en me disant que son équipe s’entraîne toute l’année pour nous battre et que ça l’emporte sur le reste. Elles ont préféré se focaliser sur un résultat plutôt que sur l’avancée de notre discipline. Cela n’a pas été payant puisqu’on a gagné au terme d’un match particulièrement rugueux.

Pour moi, cette saison de capitanat a été éreintante. C’était comme une sorte de double diplôme. J’ai consacré plus de temps à cette lutte qu’à mes cours. La saison suivante, pendant que j’étais en année de césure, l’équipe est allée aux championnats de France à Aix-en-Provence. Les filles ont atteint la finale en jouant dans des conditions optimales sur terrain conventionnel. La joie était immense. Jean-Philippe Martinod a décerné une médaille aux RugbyBirds en leur disant que c’était grâce à leur engagement que ce tournoi avait eu lieu dans ce format. Quelle fierté !

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Carte blanche

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