Priscilla Majani, en prison pour avoir voulu protéger sa fille de l’inceste
Des avocats, artistes (Emmanuelle Béart, Alex Lutz…), journalistes (Giulia Foïs…), intellectuels, scientifiques, militants, cosignent un appel demandant la libération de cette mère, incarcérée pour non-représentation d’enfant à un père présumé incestueux.

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« Jamais je n’aurais imaginé que mes enfants seraient placés chez l’agresseur » « Poursuivre un médecin est intolérable quand il s’agit de protéger les enfants »Il semblerait qu’il y ait désormais un discours unanime pour dénoncer l’inceste et la pédocriminalité comme étant des crimes majeurs contre lesquels il faut lutter. Mais le discours ne suffit pas. Il y a urgence à agir. Notre système judiciaire est tel que la plupart des viols et des agressions sexuelles sur mineurs sont impunis, que les parents qui les dénoncent finissent parfois derrière les barreaux.
L’incrédulité, le tabou, le déni sociétal et judiciaire de l’inceste et de la pédocriminalité conduit à une silenciation de la parole des victimes, alors même que les campagnes ministérielles les incitent à parler. Trop souvent, lorsque les parents croient leurs enfants lors de révélation d’inceste, ni eux ni les enfants ne sont crus.
Les plaintes sont massivement classées sans suite (+ de 73%), sans enquête sérieuse, faute de moyens, et les parents protecteurs sont alors suspectés de manipulation et qualifiés d’aliénants, sinon de fous, d’hystériques, ou encore accusés d’alimenter un conflit familial. Ils assistent alors, impuissants, au déferlement d’une machine infernale qui aboutira à une inversion des culpabilités et au désenfantement du parent protecteur privé de ses droits parentaux – le plus souvent au bénéfice du parent agresseur.
En effet, ce parent à qui l’enfant s’est confié ne pouvant se résoudre à le confier au parent qui a été désigné comme agresseur, va multiplier les démarches et se placer volontairement en position délictuelle en ne représentant pas leur enfant. C’est ainsi que, tant les services sociaux que les magistrats, vont lui signifier que cet acharnement procédural ne peut-être que la représentation d’un conflit conjugal massif et que leur comportement, assimilable à de l’acharnement judiciaire, nuit au bon développement psychique de leur enfant.
S’ensuit le placement de l’enfant et la condamnation pénale pour non représentation d’enfant s’abat sur le parent protecteur. Ce constat a déjà été pointé par l’ONU dans un rapport publié en 2003 : les multiples défaillances du système judiciaire français conduisant à la silenciation de la parole des victimes et l’inversion des culpabilités y ont été relevés.
Malheureusement, en 20 ans, rien n’a changé. À la suite de ce rapport alarmant, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU vient régulièrement en France effectuer des visites afin de formuler des recommandations et des observations dans le cadre de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le premier rapport de la Ciivise paru en octobre 2021 était d’ailleurs consacré aux mères en lutte dont nombre ont perdu la garde de leurs enfants placés chez le père après des révélations d’inceste.
Priscilla Majani a fui en Suisse pour protéger sa fille. C’était la seule solution qui s’offrait à elle.
En s’attaquant aux mères protectrices, la justice prouve, malgré le discours officiel, qu’elle dénie le droit à dénoncer l’inceste et à protéger les enfants et qu’elle manque à son devoir. Ces enfants, déjà brisés, finissent broyés. À l’heure où l’inceste revient dans l’actualité, avec le témoignage courageux d’Emmanuelle Béart et l’éventuel clap de fin de la Ciivise, Priscilla Majani est l’une de ces mères protectrices toujours derrière les barreaux.
Après des révélations d’inceste de sa fille, âgée de 5 ans, et le classement sans suite en quelques jours de sa plainte (l’aveuglement insupportable de la justice engluée dans le déni), Priscilla Majani a fui en Suisse pour protéger sa fille. C’était la seule solution qui s’offrait à elle face à l’incapacité de la justice à la croire et à la protéger.
Elle a tout perdu : son travail, sa famille, ses attaches… Une vie normale. Mais elle l’a fait par devoir, pour Camille, sa fille de 5 ans, qui est aujourd’hui sous protectorat de l’État Suisse, plus réaliste que la France dans la nécessité de protéger les enfants. 11 ans après sa fuite, Priscilla Majani a été arrêtée lors d’un contrôle routier. À l’issue du procès en appel de janvier 2023, la justice l’a relaxée pour les faits de dénonciations calomnieuses et mensongères, reconnaissant ainsi que la plainte contre le père pour viols et agressions sexuelles était légitime et ne résultait ni d’un mensonge, ni d’une manipulation de sa part.
Or, dans le même temps, la justice a considéré qu’en l’absence de condamnation du père, présumé innocent, elle aurait dû respecter les décisions de justice et remettre Camille au potentiel agresseur. Pour ne pas l’avoir fait, elle a été condamnée à 33 mois de prison pour soustraction d’enfant.
Mais qui peut raisonner ainsi ? Qui admet de dire : « votre fille a peut-être été violée par son père mais dans le doute remettez lui votre enfant » ? Pas Priscilla Majani. Et quel choix s’offrait à elle, face à cette injonction paradoxale ? C’est pourquoi nous avons introduit un recours devant la Cour de cassation pour contester sa condamnation et la disproportion de la peine.
« Je la crois. J’aurais dû faire comme elle. » C’est par ces mots que la première épouse du père de Camille, terminait son témoignage lors de l’un des procès. Elle témoignait, tout comme les trois premiers enfants du père, du climat incestuel et extrêmement violent qui régnait dans son premier foyer, le coup de couteau à l’une de ses filles. Une enquête sérieuse au moment des premières révélations de Camille aurait pu permettre de recueillir ces éléments qui accréditaient la parole de l’enfant.
Cette première épouse du père reprenait à son compte les mots de la présidente du comité de soutien de Priscilla Majani, avec le hashtag #jauraisfaitcommeelle que des artistes, des citoyens anonymes, et des personnalités ont soutenu lors de la condamnation de Priscilla Majani.
Tout comme il était insupportable, lors du procès de Bobigny de voir une femme sur le banc des accusés, pour avoir avorté – ce qui était alors illégal – après un viol. Nous ne pouvons pas accepter qu’une mère qui a fui pour protéger sa fille de l’inceste soit en prison depuis 18 mois. Camille, 5 ans, a parlé aux autorités judiciaires, aux experts, aux institutions. Mais ils ne l’ont pas crue. Et c’est Priscilla Majani qui a été condamnée. Camille a de nouveau porté plainte en 2022 et la justice ne traite toujours pas sa plainte mais maintient sa mère en prison.
Il y en a tant d’autres, des paroles qui se sont heurtées au déni, des paroles qui une fois prononcées ont fait passer ceux qui les prononçaient du banc des victimes à celui des accusés. La prise de conscience doit être collective et elle doit être égalitaire : l’inceste et la pédocriminalité ne sont pas des crimes de classe et il faut arrêter de croire qu’ils ne concernent que certains milieux.
L’histoire de Priscilla Majani confirme encore la force de l’incrédulité du tabou et la continuité du déni sociétal et judiciaire de l’inceste et de la pédocriminalité. Son affaire est loin d’être un cas isolé. Ainsi, trois commissions des droits de l’homme de l’ONU se sont saisies et après analyse du dossier de Priscilla ont écrit à la France le 26 juillet 2023, alertées par sa situation.
On ne peut cautionner une justice qui inverse les culpabilités.
On ne peut cautionner une justice qui inverse les culpabilités et condamne une mère qui a agi comme tout parent aurait le souffle de le faire : Priscilla Majani n’est pas la seule à être sanctionnée pour avoir simplement cru son enfant et voulu la protéger. Aujourd’hui, grâce à la présomption d’innocence, le doute profite uniquement à celui qui est désigné comme l’agresseur.
Mais pour la protection et l’intérêt supérieur de l’enfant, il n’y a pas de place au doute et au risque. Le doute doit bénéficier à l’enfant, c’est lui le plus fragile, il doit être mis à l’abri et protégé. Monsieur Emmanuel Macron leur a dit lors de la création de la Ciivise : « On vous croit et vous ne serez plus jamais seuls ». La justice doit leur dire : « Je te crois. Je te protège ».
Pour la protection et l’intérêt supérieur de l’enfant, il n’y a pas de place au doute et au risque.
C’est pourquoi, aujourd’hui, nous, avocats, artistes, intellectuels, scientifiques, militants, exigeons la libération de Priscilla Majani ainsi que la protection immédiate des enfants qui dénoncent des faits de violence et la fin des poursuites pour non représentation d’enfants lorsqu’il y a des suspicions d’inceste.
Sophie Benayoun, avocat au barreau de Bordeaux et Myriam Guedj Benayoun, avocat au barreau de Toulouse.
Signataires (au 23 septembre 2023)
Emmanuelle BEART Actrice et réalisatrice
Catherine MARCHAL Actrice
Isabelle SANTIAGO Députée
Anastasia MIKOVA Réalisatrice, scénariste et journaliste franco-ukrainienne
Giulia FOÏS Journaliste
Emmanuelle PIET Présidente du CFCV
Lyes LOUFFOK Militant des droits des enfants
Elsa WOLINSKI Journaliste et militante féministe
Judith CHEMLA, Actrice
Alex LUTZ Artiste
Marie PAUL BELLE Auteure, Compositrice, Interprète
Marc MELKI Photographe
NORMA Comédienne, Victime d’Inceste
Anna MOUGLALIS Actrice
Ariane LABED Actrice
Caroline DERUAS Cinéaste
Ernestine RONAI Responsable Observatoire Départemental des violences envers les femmes
Estelle MEYER Chanteuse actrice auteur
Mélanie BODY Autrice, illustratrice, féministe
Séverine WARNEYS Réalisatrice, actrice
Aline CHASSAGNE Adjoint à la Culture, Besançon
Caroline BREHAT Autrice, psychothérapeute et psychanalyste
Homayra SELLIER Présidente association Innocence en Danger
Florence ELIE Fondatrice & Présidente Elien Rebirth
Céline Présidente association Protéger l’enfant
Marie RABATEL Membre de la CIIVISE ; Présidente de l’Association Francophone de Femmes Autistes
Arnaud GALLAIS Membre de la CIIVISE ; Dirigeant associatif et entrepreneur engagé – Cofondateur du collectif Prévenir et Protéger et du mouvement #BeBraveFrance
Illel Kieser EL BAZ Directeur du CAVACS (Les Centres d’aide aux victimes d’actes criminels) -France
Virginie PEYRE Conférencière sur les violences sexuelles et sur l’inceste Présidente de l’association « Les Ami(e)s de Romy »
Violaine DE FILIPPIS-ABATE Porte-parole et membre du bureau national d’Osez le féminisme
Conseil d’administration Osez le Féminisme 31
Gazette Féministe
Pierre BARNERIAS Réalisateur et journaliste
Kathya DE BRION Présidente association SOS Violence
Jacques THOMET Journaliste et essayiste
Jessica STEPHAN Référente parcours victimes – Association des Familles de Victimes de Féminicides ; Formatrice/consultante PEC VC VIF VSS
Muriel REUS Présidente de Femmes avec…
Nath-Apolline Autrice
Nadège DUBUS Consultante
Françoise FERICELLI Pédopsychiatre, expert judiciaire (2010-2022) Co-fondatrice du collectif Médecins Stop Violences
Muriel SALMONA Psychiatre, psychotraumatologue ; Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
Docteur Jean-Michel FLAMERION Membre du conseil départemental de l’ordre des médecins de HAUTE-MARNE.
Stéphanie GATEAU Présidente Handiroad #metoohandicap
Jean SANNIER Avocat au Barreau de Lyon
Djamel BOUGUESSA Avocat au Barreau de Toulouse
Pierre VERDIER Avocat au Barreau de Paris
Pauline LOIRAT Avocat au Barreau de Nantes
Isabelle PINTO Avocat au Barreau de Paris
Aude GOUILLARD Avocat au Barreau de Bordeaux
Vanessa FRASSON Avocat au Barreau de l’Essonne
Marie SABLON Avocat au Barreau de Lyon
Besma MAGHREBI Avocat au Barreau de Paris et de Marseille
Claire DAUBREY Avocat au Barreau de Paris
Florence BOUCHET Avocat au Barreau de Paris
Sarah KOHANE Avocat au Barreau de Paris
Flore ABADIE O’LOUGHLIN Avocat au Barreau de Grenoble
Pascal CUSSIGH Avocat au Barreau de Paris
Sandra HERNANDEZ CUSSIGH Docteur en physiologie et physiopathologie Vice-Présidente de CDP Enfance
Olivier BEREZIAT Secrétaire Général de CDP Enfance
Sarah THIRRIEE-BAKER Psychologue Enseignante Chercheure en neurosciences
Catherine PERELMUTTER Avocat au Barreau de Paris
Meriem ABKOUI Avocat au Barreau de La Roche-sur-Yon
Émilie SGUAGLIA Avocat au Barreau de Lyon
Alexandra DURAND Directrice et psychologue à l’Association de Prévention du Psychotrauma chez l’Enfant en Limousin
Vanessa ABOUT Avocat à la Cour, Saint-Paul Réunion
Jacques PUJOL Psychologue EN, Toulouse
Kérel PROUST Psychologue clinicienne, Nîmes
Lionel BAUCHOT Psychologue clinicien /Psychanalyste ; Praticien Chercheur en Protection de l’Enfance
Marine ARMENGAUD Psychologue Clinicienne, Psychothérapeute
Guillaume FERRE Psychologue / Psychothérapeute, Challans
Christel MEYER Psychologue Clinicienne
Benoît VANTOMME Psychologue Clinicienne
Galia YEHEZKIELI Pédopsychiatre
Ericka WEIDMANN Journaliste
Lydie DRAME Journaliste ; Présidente CTV productions
Alison BLONDY Militante engagée
Pauline BOURGOIN Vice-Presidente WeToo Stop Child Abuse
Sarah KADI Aide-Soignante Maman protectrice
Hanna DAM-STOKHOLM Directrice ; Maman protectrice
Jade Victime/militante
Lucien DOUIB Papa de Julie Douib
Pegah HOSSEINI Journaliste et maman protectrice
Farah GUEROUAOU Interne en psychiatrie
Julie DENES Éditrice, autrice et militante féministe
Manon BAKOUR Journaliste
Haleh CHINIKAR Artiste
Pascal BROCARD Archéologue
Loumëa FERNANDEZ Victime d’inceste
Gwendolyne HOURIEZ Victime d’inceste
Mylène BAURI Assistante maternelle et maman protectrice
Aurélie PAUQUET Maman Protectrice
Martine FAVROT Enseignante et Grand-Mère Protectrice
Jacques FAVROT Médecin et Grand-Père Protectrice
Prisca RIEHL Belle-mère protectrice
Souad AHJIJ Présidente de La Tanière et Maman protectrice
Laure OUALANE Assistante administrative et commerciale et Maman protectrice
Angèle ROUSSEAU Elève Infirmière
Carine HERREYRE Géomètre
Sandrine LE ROUX Responsable de pôle accueil Violences Faites aux Femmes – secteur associatif
Djemila BEL LAMINE Infirmière
Sandrine BURGHOFFER Militante féministe
Enora LAMY Militante Féministe
Maria Rosa DUARTE Enseignante Enseignement Supérieur ; Mère protectrice
Jessica LEDUC Formatrice
Pascale HARDY Enseignante – Victime d’inceste
Laurie GONZALEZ Chanteuse professionnelle et coordinatrice culturelle et mère protectrice en lutte
Alison RENAUD-LAFARGE Chargée d’affaires
Camille CLARIS Actrice
Clémentine POIDATZ Actrice
Lilith GRASMUG Actrice
Louise CHEVILLOTTE Comédienne
Élise MAUREIN Autrice
Gabrielle Moussia PERRAUDIN Maman protectrice ; Co-fondatrice de l’ONG MAPIF38
ONG MAPIF
Association Peau d’âme
Laura RAPP Auteure
Elsa VIARD GAUDIN Avocate au Barreau de Grenoble
Maritza RIGOU Avocat, droit pénal
Sonia SANCHEZ Psychologue clinicienne
Aurélie MARTIN Maman Protectrice
Sephora WEISSMULLER Formatrice
Jenna THIAM Comédienne
Pierre MARGERIT Ex-compagnon d’une assistante maternelle – famille d’accueil
Paloma PAVAN NUNEZ Militante féministe et étudiante psychologue
Ana MADET Artiste engagée
Elisabeth LOBO Psychologue clinicienne
Françoise PHELIPOT Puéricultrice, militante Nous Toutes
Delphine B Militante Nous Toutes
Alison CAILLE Militante féministe Nous Toutes
Thierry MAILLET Ingénieur Industrie – Bordeaux
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