« Classified people », le délire de la ségrégation

Dans ce film, tourné en 1987, Yolande Zauberman montrait la réalité de l’apartheid à travers l’histoire d’un couple.

Christophe Kantcheff  • 19 septembre 2023 abonné·es
« Classified people », le délire de la ségrégation
Plus de trente-cinq ans après, Classified People a gardé toute sa force.
© Shellac

Classified People / Yolande Zauberman / 53 min.

D’un côté, le système d’apartheid mis en place en Afrique du Sud par le régime afrikaner depuis des décennies. De l’autre, un grand amour entre Robert, 91 ans, et Doris, 71 ans, mariés depuis vingt et un ans. Robert eut une mère allemande, donc blanche, une première femme française, donc blanche, et a deux fils considérés comme blancs. Mais lui a été classé parmi les personnes de couleur parce que, dans sa jeunesse, il a participé à la Première Guerre mondiale dans un régiment de métis. Avec Doris, métisse également, il se confronte à toutes les difficultés que provoque leur situation dans ce pays.

Premier film réalisé par Yolande Zauberman (Would You Have Sex With an Arab, M), Classified People, qui date de 1987 et ressort sur les écrans dans une version restaurée, n’a pas le ton de la dénonciation. Ainsi peut éclater au premier plan ce qui fait la force de résistance de ce couple. Autrement dit leur amour qui passe par beaucoup de tendresse et de compréhension, de pudeur et de rires, de courage et de lucidité. La cinéaste les a filmés chez eux, dans l’humble maison faite de bois et de taules où ils vivent avec leur chien, une maison accueillante malgré tout.

Scènes d’humiliation

La preuve : tous les mercredis, les fils de Robert viennent y déjeuner, eux qui, avec leur mère, avaient rejeté leur père et continuent à lui interdire de se rendre dans le quartier blanc où ils résident. Dans les quelques séquences montrant l’un de ces déjeuners, les fils s’avèrent odieux. Ils ne cessent de réprimander leur père et n’adressent pas la parole à Doris. C’est pourtant grâce à elle s’ils ont table ouverte. Parce que ce sont les enfants de Robert, dit-elle, alors que celui-ci incline à rompre avec eux. Ces scènes d’humiliation font l’ordinaire d’un système d’apartheid, dont les fondements racistes sont énoncés dans le film par un alcoolique. Comme s’il s’agissait d’un délire, et pourtant ce qu’il raconte n’a rien d’exagéré : voilà une idée de cinéma qui rend tout commentaire superflu.

Le flou s’est glissé dans le film. Le flou comme opposé à la précision maniaque de l’apartheid.

Yolande Zauberman

L’image, parfois, est floue. Un objectif de la caméra était en effet cassé. Mais, outre qu’il ne pouvait être question de prendre le temps de le remplacer – un tel tournage était clandestin et risqué –, Yolande Zauberman écrit dans le dossier de presse à ce propos : « Le flou s’est glissé dans le film. Le flou comme opposé à la précision maniaque de l’apartheid ». Plus de trente-cinq ans après, Classified People a gardé toute sa force, quand, de par le monde, des régimes sont fondés sur la ségrégation et la ­discrimination. 

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Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes