Israël-Palestine, l’abandon de la France

Alors que la réponse israélienne aux attaques terroristes du Hamas, qui ont fait plus de 1 300 morts, est considérée par certains observateurs comme le début d’un « génocide », la ministre des Affaires étrangères française a entamé son voyage au Proche-Orient et réaffirmé son soutien sans réserve à l’État hébreu, à rebours de la position diplomatique historique de la France.

Nadia Sweeny  • 18 octobre 2023 libéré
Israël-Palestine, l’abandon de la France
Quartier Tel al-Haw à Gaza, le 16 octobre, après les bombardements israéliens.
© ALI JADALLAH/AFP

Où est la France dans la tragédie en cours au Proche-Orient ? Alors que le président américain, Joe Biden, est attendu dans la région, la France a simplement envoyé sa ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna. Dimanche 15 octobre, elle s’est rendue en Israël, puis en Égypte pour finir au Liban. Contacté, le Quai d’Orsay indique que la ministre s’est rendue « à Jérusalem-Est et s’est entretenue avec son homologue palestinien, Riyad al-Malki », rappelant son objectif : « Éviter un embrasement régional ».

Alors que l’intervention terrestre israélienne se prépare dans le nord de la bande de Gaza, que l’acheminement de l’eau, de la nourriture et de l’électricité a été coupé, que près de 3 000 Palestiniens dont un millier d’enfants sont déjà morts sous les bombardements israéliens, et que plus d’un million de Gazaouis se sont déplacés vers le sud, Colonna a déclaré : « Israël a le droit de se défendre face à la monstruosité du Hamas et au danger qu’il représente, sa réponse doit être ferme et juste. »

Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie, et bon connaisseur de la région, vole au secours de la ministre : « Il y a plusieurs phases dans la gestion de crise. Nous sommes dans celle de la solidarité avec les Israéliens, même s’ils ne se comportent pas comme il faudrait. Au lendemain du 11-Septembre, aurait-on pu entendre un discours sur la retenue ? » L’émotion légitime suscitée par le massacre de civils israéliens rendrait-elle impossible la critique par la diplomatie française du massacre de civils palestiniens ?

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En 1962, au lendemain des accords d’Évian mettant un terme à la guerre d’Algérie, le général de Gaulle avait pris ses distances avec Israël, qui avait été choyé par la IVe République dans ce qu’on a appelé l’âge d’or des relations franco-israéliennes. En 1967, à la veille de la guerre des Six-Jours, De Gaulle prévenait : « Si Israël est attaqué, nous ne le laisserons pas détruire, mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative. » L’État hébreu déclenchera tout de même les hostilités et occupera des territoires arabes. De Gaulle imposera alors un embargo sur la vente d’armes.

Ligne gaullienne

Lors d’une conférence de presse de novembre 1967, il évoque « les juifs, peuple dominateur » et prend même des accents prophétiques en déclarant : « Maintenant, [Israël] organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppositions, répressions, expulsions et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme. » Georges Pompidou, puis Valéry Giscard d’Estaing s’inscriront dans la continuité avec une reconnaissance diplomatique de la réalité palestinienne. C’est également sous Giscard d’Estaing que la France pousse l’Europe à déclarer, lors de la conférence de Venise, le droit des Palestiniens « à l’autodétermination dans un État palestinien aux côtés d’Israël ».

Plus tard, François Mitterrand sera le premier chef d’État français à se rendre en Israël, après avoir levé le blocus commercial envers l’État hébreu. Il sera aussi le premier chef d’État occidental, en mai 1989, à recevoir Yasser Arafat, avec les honneurs d’un chef d’État. Et c’est en France toujours qu’Arafat inaugurera une offensive diplomatique qui conduira aux accords d’Oslo en 1993. À son arrivée, Jacques Chirac garde le cap et impose son style. Son altercation en 1996 avec un agent de sécurité israélien, dans la vieille ville de Jérusalem, l’a rendu célèbre dans le monde arabe. Une rue « Jack-Chirac » a même été inaugurée à Ramallah en 2007. Pour lui, au lendemain du 11 septembre 2001, le conflit israélo palestinien est une priorité.

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« La France a eu un rôle éminent. Nous avons poussé pour plusieurs déclarations européennes comme celle de Berlin en 1999, qui appelle pour la première fois à la création d’un État palestinien viable et démocratique, ou encore pour la reconnaissance de Jérusalem comme capitale des deux États », se souvient Yves Aubin de La Messuzière, ancien directeur Afrique et Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères et ex-ambassadeur de France en Irak et en Tunisie. Pour Michel Duclos, la réalité n’est pas si contrastée : « Nous n’avons jamais été les rois du Proche-Orient. Ce qu’on a appelé la politique arabe de la France, ce sont des formules ci et là qui enflammaient la rue arabe et qui nous valaient un grand crédit, mais il est douteux d’imaginer que la France ait eu une très grande influence dans la région. Notre marque de fabrique a surtout été le verbe. »

Ce qu’on a appelé la politique arabe de la France, ce sont des formules ci et là qui enflammaient la rue.

Michel Duclos, ex-ambassadeur

Depuis Nicolas Sarkozy, même le verbe s’est progressivement éteint. Celui qui se qualifiait d’« ami d’Israël », et qui fut le second président français à s’exprimer devant la Knesset, avait misé sur sa popularité en Israël – 90 % des Franco-Israéliens ont voté pour lui – pour tenter de relancer le processus de Paix. En 2007, l’Élysée a donné son feu vert à une mission de contact avec l’aile politique du Hamas, confiée à un diplomate français à la retraite. «C’était important pour connaître, comprendre et consolider cette aile politique. Les Israéliens étaient aussi très intéressés mais, en France, on nous a parfois traités d’antisémites », regrette Yves Aubin de La Messuzière, qui était ce diplomate-là. Malgré sa proximité avec Israël, Nicolas Sarkozy est accusé de reprendre la ligne politique du Quai d’Orsay, celle de la direction Afrique et Moyen-Orient. Surnommée « la rue arabe », parfois « la secte », cette direction composée de diplomates arabisants et hébraïsants a longtemps maintenu la ligne gaullienne.

L’influence des « occidentalistes »

Avec François Hollande, une forme de rupture avec cette ligne s’engage. « À sa première conférence des ambassadeurs, il a parlé du “droit des Palestiniens à l’autodétermination” sans évoquer la perspective d’un État, se souvient Yves Aubin de La Messuzière. On s’est dit : il parle comme dans les années 1980 ! » Facilement impressionné par les Israéliens, il oublie sa promesse de reconnaissance d’un État palestinien et cafouille dès qu’une nouvelle crise éclate en 2014. Sous pression du cabinet de Benyamin Netanyahou, il soutient sans réserve l’État hébreu quelques heures avant qu’un raid israélien ne tue neuf Palestiniens attablés dans un café de Gaza. L’universitaire Julien Salingue, cité par Le Monde, y voit le signe de l’«autonomisation de la parole élyséenne par rapport à celle du Quai d’Orsay ».

La mécanique s’accentue sous Macron. En 2019, à l’occasion de la conférence des ambassadeurs, le nouveau président fustige l’existence d’un « État profond », visant directement les hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay. Pour autant, d’après le journaliste Marc Endeweld, le fléchissement de la politique française dans le monde arabe serait dû à l’influence d’un groupe de diplomates néoconservateurs « occidentalistes » (1). « La noblesse du Quai, c’était les arabisants, maintenant, ce sont les énarques qui font carrière », note le chercheur Christian Lequesne en 2020.

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« Qui pilote vraiment le Quai d’Orsay ? Emmanuel Macron et l’“État profond” », Le Monde diplomatique, septembre 2020. 

Depuis la tentative de conférence de paix lancée par Laurent Fabius en 2016, la France est absente du dossier israélo- palestinien. « La voix de la France s’est éteinte : il n’y a plus de déclaration ambitieuse, plus d’intérêt. Les diplomaties occidentales et française ont considéré que le dossier israélo-palestinien n’était plus central, qu’il était devenu un conflit de basse intensité et que ça pouvait être géré par Israël sur le plan sécuritaire », regrette Yves Aubin de La Messuzière. La France n’est même pas associée aux accords d’Abraham de 2020 entre Israël et plusieurs pays arabes, dont le Maroc.

La voix de la France s’est éteinte : il n’y a plus de déclaration ambitieuse, plus d’intérêt.

Yves Aubin de La Messuzière, ex-ambassadeur

Rattrapée par ses abandons, la France s’agite sans ancrage profond auprès des acteurs de la région. « Il est certain que si nous avions déployé suffisamment d’efforts, nous aurions plus voix au chapitre aujourd’hui, reconnaît Michel Duclos. La France doit réinvestir la question israélo-palestinienne. » Pour l’ancien diplomate Gérard Araud, dans un entretien au Grand Continent, la priorité est de défendre le droit des Palestiniens en Cisjordanie : « Nous assistons à une situation d’apartheid où deux populations vivent sur la même terre, avec des droits absolument inégaux. Au nom de nos intérêts et de nos valeurs, nous pourrions au moins élever la voix sur cette question. » Il serait temps !


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