Trente ans après Oslo, la victoire des assassins de Rabin

Le 13 septembre 1993, dans les jardins de la Maison Blanche, la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, sous les yeux de Bill Clinton, symbolisait les accords d’Oslo. Qui, en trente ans, sont morts lentement et sûrement.

Denis Sieffert  • 20 septembre 2023
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Trente ans après Oslo, la victoire des assassins de Rabin
© Benjamin Rascoe

Que reste-t-il des accords d’Oslo, trente ans après la poignée de main historique entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, sous le regard de Bill Clinton, dans les jardins de la Maison Blanche, le 13 septembre 1993 ? Il faut oser énoncer la réponse dans sa tragique brutalité : rien. Pire, Oslo s’est refermé comme autant de pièges sur les Palestiniens. La division de la Cisjordanie en trois zones est devenue l’esquisse de l’apartheid ; et l’Autorité palestinienne s’est transformée, avec Mahmoud Abbas, en auxiliaire sécuritaire d’Israël. Certes, le ver était dans le fruit d’un accord asymétrique entre un État et l’OLP, et les objectifs étaient soigneusement dissimulés. Pas question d’un État palestinien. Arafat pouvait-il, pour autant, refuser une poignée de main qu’il sollicitait depuis dix ans ? L’histoire n’est jamais écrite. Disons qu’elle était mal partie. Mais qui aurait pu prévoir l’assassinat d’Yitzhak Rabin, le massacre de musulmans à Hébron, le sabotage de l’accord par Shimon Peres, faux apôtre de la paix ? La vérité, c’est que la classe politique israélienne, enracinée dans une culture sioniste d’extension territoriale, était au minimum sceptique, et au pire violemment hostile. Se souvient-on des affiches de Rabin paré d’un uniforme nazi ? Sa mort, comme celle du processus, était programmée. Mais aucun de ces drames n’explique à lui seul la faillite d’Oslo. Aucune date n’y suffit.

Ni Washington ni Paris n’ont voulu condamner la colonisation autrement que par le verbe.

C’est un processus qui a tué Oslo à mort lente. Il tient en un mot : colonisation. Entre 1993 et 2000, Israël n’a jamais cessé de construire sur le territoire palestinien, d’exproprier et de détruire. C’est ce constat qui a fait refluer l’opinion palestinienne et permis la montée en puissance du Hamas. Le mouvement islamiste, groupusculaire en 1993, est devenu dominant en moins de dix ans. La terrible campagne d’attentats dans les villes israéliennes de mars-avril 1996 a fini par retourner une opinion publique plutôt favorable à Oslo. Et c’est ici qu’il faut pointer l’accablante responsabilité des États-Unis en premier lieu, et de l’Union européenne. Les grands parrains d’Oslo n’ont jamais voulu voir que les crimes de sang. Ceux du Hamas, et parfois ceux d’Israël, timidement invité à la « retenue » quand les bombes pleuvaient sur Gaza. Mais ni Washington ni Paris n’ont voulu condamner la colonisation autrement que par le verbe. C’est pourtant là que la diplomatie internationale aurait dû frapper par des sanctions réellement dissuasives. Au contraire, on a le sentiment que l’ascension du Hamas, aux dépens du Fatah d’Arafat, a été accueillie comme une aubaine. On ne parle pas avec des terroristes !

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Avec la colonisation, c’est l’esprit d’Oslo, sinon sa lettre, qui a été trahi. Mais s’il fallait vraiment trouver une date pour la fin de l’accord, ce serait sans doute juillet 2000. Toutes les contradictions ont convergé sur le rendez-vous de Camp David quand Bill Clinton et le Premier ministre israélien, Ehud Barak, ont convoqué (il n’y a pas d’autre mot) Arafat, le sommant de signer un nouvel accord en recul par rapport à Oslo, et d’entériner l’extension massive des colonies (195 000 colons au lieu de 115 000, 200 000 à Jérusalem-Est). Il lui fallait accepter la mystification du « partage » de Jérusalem. C’est le fameux slogan, lancé par le ministre israélien Shlomo Ben-Ami, de « l’offre généreuse ». Des négociateurs proches de Clinton ont ensuite vendu la mèche : il ne s’agissait nullement de céder une partie de Jérusalem, mais Abu Dis, une banlieue, déjà entièrement palestinienne… On vous donne ce que vous avez déjà !

Le ralliement de Peres, en février 2001, au gouvernement de droite d’Ariel Sharon, tourna définitivement la page d’Oslo.

L’autre discours qui a fait mouche, c’est celui de l’absence d’un « partenaire de paix » côté palestinien. On ne tarda pas à accuser Arafat d’être l’organisateur de la deuxième Intifada dominée par le Hamas. Le ralliement de Peres, en février 2001, au gouvernement de droite d’Ariel Sharon, tourna définitivement la page d’Oslo. Et une autre page, plus historique encore : celle de la gauche israélienne fondatrice de l’État hébreu. Il n’y aurait plus guère, désormais, qu’une droite et une extrême droite. Mais pour aller au bout de leur projet d’annexion, les colons doivent s’attaquer aux fondements juridiques d’Israël. Les manifestations actuelles montrent qu’une partie de la société a pris conscience que colonialisme et démocratie étaient décidément incompatibles. Quant aux Palestiniens, envahis par les colons en Cisjordanie ou asphyxiés par un terrible blocus à Gaza, ils cherchent les voies et les moyens de poursuivre leur combat dans un conflit reconfiguré.

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