Capitalisme ou néolibéralisme ?

Dans son dernier ouvrage, Jean-Luc Mélenchon met au centre de la conflictualité contemporaine « l’oligarchie », qui s’oppose au peuple. Un terme qui risque d’obscurcir plus que de clarifier la question de savoir contre qui l’on se bat.

Aurore Koechlin  • 29 novembre 2023
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Capitalisme ou néolibéralisme ?
© Mike Erskine / Unsplash

Le dernier ouvrage de Jean-Luc Mélenchon, Faites mieux ! Vers la révolution citoyenne, met au centre de sa compréhension du monde social le sujet politique du « peuple », que j’ai interrogé dans une précédente chronique à partir des outils intersectionnels. Je souhaite ici revenir sur l’autre élément qu’il met au centre de la conflictualité contemporaine : « l’oligarchie », qui s’oppose donc au peuple.

Étymologiquement, ce terme désigne un mode de gouvernement où le pouvoir est détenu par un petit nombre, et c’est bien en ce sens que Jean-Luc Mélenchon reprend cette notion, afin de souligner ce qu’il perçoit comme une importante évolution du capitalisme : les richesses, tout comme le pouvoir politique, seraient de plus en plus concentrés entre les mains d’un petit nombre de personnes qui « forment une classe dominante, détiennent les moyens de production, le monopole des réseaux et de l’information ». À certains moments, il précise qu’il s’agit d’une « oligarchie financière », qui « se distingue de la bourgeoisie traditionnelle même si elle la contient parce que son nombre est plus faible, sa propriété, plus diffuse ».

Il est indéniable que l’analyse du capitalisme doit être actualisée à l’aune des évolutions engendrées par l’offensive néolibérale des années 1980. Pour autant, la rupture peut être nuancée : le fait que la richesse soit détenue par un petit nombre n’est pas un phénomène nouveau ; que le secteur financier soit un élément déterminant de l’économie non plus. Mais au-delà de ces questions de l’ordre de l’analyse, on ne peut s’empêcher d’y voir aussi un enjeu plus stratégique. Ne serait-ce pas là un moyen de distinguer le néolibéralisme du capitalisme, pour défendre une perspective plus antilibérale qu’anticapitaliste, en maintenant la possibilité d’un capitalisme « à visage humain » ? Il ne s’agit pas de trancher le débat, mais de souligner son importance.

En désignant l’ennemi à combattre comme un groupe « invisible », nous risquons de nourrir le discours conspirationniste et reproduire l’effacement de l’analyse en termes de classe.

Par ailleurs, l’usage du terme « oligarchie » risque d’obscurcir plus que de clarifier la question de savoir contre qui l’on se bat. L’intersectionnalité a pu être confrontée au même type de problèmes : en analysant finement les dominations à l’échelle interindividuelle, elle a pu perdre de vue qui avait le pouvoir économique et politique de (re)produire les dominations à une échelle structurelle, et de décider pour tou·tes les autres. Ici, en désignant l’ennemi à combattre comme un groupe « invisible », toujours plus petit, toujours plus insaisissable, un « eux » aux contours flous, nous risquons de nourrir le discours conspirationniste, mais aussi de reproduire ce que précisément le néolibéralisme a produit : l’effacement de l’analyse en termes de classe (qui doit toujours être lue en lien avec le genre, la race, etc.), la fin de l’histoire et des alternatives au capitalisme.

Nous avons au contraire besoin de retrouver clairement qui nous sommes et contre qui nous nous battons, dans des termes renouvelés et précis, qui montrent à la fois la continuité de la domination sous le capitalisme et ses renouvellements partiels. Une solution pourrait être ainsi de parler de « bourgeoisie néolibérale ». Mais, on l’a vu avec les deux articles consacrés à ce sujet, ce que j’essaye de discuter ici sont moins les mots en tant que tels que les idées qu’ils diffusent, consciemment ou inconsciemment – et qui sont éminemment politiques.



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