À Melle, l’accueil inconditionnel des réfugiés

L’installation d’exilés dans les petites communes françaises suscite des tensions alimentées par l’extrême droite. Pourtant, certaines ont décidé de continuer à leur ouvrir leurs portes. Exemple dans cette commune des Deux-Sèvres de 3 600 habitants.

Céline Martelet  et  Alexandre Rito  • 22 novembre 2023 abonné·es
À Melle, l’accueil inconditionnel des réfugiés
© Alexandre Rito

Dans le salon, installés sur un canapé, Thierno et Sekou* regardent la télévision bloquée sur une chaîne d’information en continu. Depuis plusieurs mois, ils vivent dans cette petite maison blanche de l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (Huda) de Melle. Sekou est ivoirien, menacé de mort par sa famille en raison de son orientation sexuelle. Il est arrivé en France il y a un an. Avant d’arriver à la «campagne », comme il dit, le jeune homme est passé par plusieurs centres d’hébergement en Île-de-France. «Là-bas, tu es obligé de dormir comme un crocodile avec toujours un œil ouvert. À tout moment, on peut te voler tes affaires ou même te poignarder», raconte cet exilé.

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Les prénoms suivis d’une astérisque ont été modifiés.

«Ici, je me sens plus en sécurité.» Mais, il y a quelques jours, Sekou a été débouté de sa demande d’asile. Depuis, il est rongé par une angoisse silencieuse. « J’ai toujours mille questions qui tournent dans ma tête concernant mon avenir. Mais à tout moment je peux appeler Corinne ou Anne, et elles me rassurent. » Dans un coin de la pièce, Anne Girault sourit. « Oh oui ! Je réponds toujours, même la nuit», lance la conseillère municipale chargée de l’hébergement ­d’urgence pour les demandeurs d’asile.

Ouvert en 2019, l’Huda de Melle accueille aujourd’hui 15 personnes. Toutes ont été dirigées ici par la préfecture des Deux-Sèvres. Uniquement des hommes : ils viennent du Bangladesh, d’Afghanistan, du Venezuela, de Guinée, de Côte d’Ivoire ou encore du Tibet. Tous attendent l’examen de leur demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Ils sont hébergés dans une ancienne caserne de pompiers : trois maisons blanches fraîchement rénovées avec un grand jardin. Une pause après un parcours d’exil forcément violent et douloureux.

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«À Melle, je me sens à l’aise, comme chez moi. On a chacun notre chambre», confie Thierno. Menacé de mort pour ses prises de position politiques, le père de famille guinéen a laissé ses proches derrière lui. Il dort mal. La peur que la France rejette sa demande d’asile le paralyse. «Vous savez, ma tête chauffe souvent. Melle, c’est un peu comme un paradis pour nous. Si les autorités françaises m’acceptent, je vais rester ici pour faire venir mes quatre enfants et ma femme. »

« Un formidable échange »

Pour assurer le fonctionnement de l’Huda, l’État verse chaque année 90 000 euros de subvention à la ville de Melle. Corinne Poirier est la seule salariée de cette ­structure. «J’ai un peu carte blanche. Je travaille avec la mairie, on partage les mêmes valeurs. Ici, je peux faire un suivi très individualisé. Je ne m’occupe pas de plantes vertes, je prends soin d’êtres humains. Ces demandeurs d’asile m’apportent autant que je leur donne. C’est un formidable échange», assure l’intervenante sociale. Et quand on lui demande comment elle vit leur départ à la fin de la procédure, elle répond sans une seconde d’hésitation : «C’est un déchirement. »

Melle migrants reportage
Débouté de sa demande d’asile par l’Ofpra, Rakib attend dans l’angoisse le résultat de son recours. (Photo : Alexandre Rito.)

Dans la maison d’à côté, la télé est branchée sur une course de vélo. Personne ne la regarde mais elle reste allumée, comme pour combler le silence pesant de l’attente. Rakib* reste un peu à l’écart. Ce jeune Bangladais a l’air désorienté, épuisé. Pour arriver en France, il a traversé la Méditerranée sur une embarcation de fortune, mais il a été débouté de sa demande d’asile par l’Ofpra. Il attend aujourd’hui le résultat de son recours. « Je suis vraiment déprimé. Je n’arrive pas à accepter cette décision. » La santé mentale des 15 pensionnaires de Melle reste fragile. « Quand je vois qu’ils ne vont vraiment pas bien, un médecin généraliste les reçoit. Il le fait bénévolement », souligne Corinne Poirier.

Régulièrement, des volontaires se relaient auprès des exilés. Tous sont des habitants de Melle. Tous font de leur accueil une priorité. « C’est important de se rencontrer, de vivre des choses ensemble, se réjouit Léa. Vraiment, on passe de chouettes moments ! Je sais bien que ce n’est pas le cas dans toutes les villes de France. » Depuis quelques mois, Corinne Poirier a de plus en plus de mal à trouver des bénévoles comme Léa. « Il y a une forme de lassitude, confie-t-elle. Certains sont un peu désespérés parce que, malgré tous leurs efforts, beaucoup des étrangers qu’ils aident sont finalement déboutés par les autorités françaises. Alors ils ont besoin de prendre du recul parfois, pour se protéger, je pense. »

La façon dont on traite les étrangers en France me met en colère.

C. Poirier

Résistants

Aujourd’hui, la ville des Deux-Sèvres est le premier témoin du durcissement de la politique migratoire en France. L’an dernier, sur les 22 demandeurs d’asile accueillis ici, un seul a obtenu le statut de réfugié. « On passe pour des résistants, des irréductibles Gaulois. Moi, je l’assume, s’insurge Corinne Poirier. La façon dont on traite les étrangers en France me met en colère. L’immigration a fait la richesse de notre pays et tout cela est en train de s’écrouler. » Dans la commune, une autre structure héberge des mineurs non accompagnés. Quinze adolescents sont pris en charge par l’association Toits, etc. Des enfants jetés sur la route de l’exil pour fuir la guerre ou travailler en Europe afin de soutenir leurs familles. «C’est indiscutable, il y a une énergie particulière à Melle, affirme Sylvain Piat, le directeur de l’association. Il y a tout un réseau ici qui nous aide à accueillir ces mineurs étrangers. Aucun habitant ne s’est jamais plaint. »

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L’accueil inconditionnel, le maire de Melle et les élus concernés en ont fait une priorité dès leur arrivée aux commandes de la commune en 2020. Sylvain Griffault, regard jovial, cheveux un peu en bataille, se déplace depuis peu dans sa commune sur son vélo électrique. Sac toujours sur le dos, il enchaîne les rendez-vous avec une énergie débordante. « Moi, je ne suis rattaché à aucun parti, s’amuse le premier édile. Vous n’avez qu’à écrire que je suis éco­citoyen ou bien libertaire. » La mairie a bien reçu quelques commentaires désagréables sur son compte Facebook, mais rien de plus. Pas de menace de mort, pas de lettre d’insultes pour dénoncer l’accueil d’étrangers.

Accueillir quelqu’un en détresse, qui se retrouve à des milliers de kilomètres de chez lui, c’est juste normal, humain.

S. Griffault

«Au conseil municipal, on a une opposition, mais elle est de gauche, c’est presque frustrant», plaisante Sylvain Griffault. Il y a quelques années, en famille, il a ouvert les portes de sa maison à un mineur qui était sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Un acte fort. « Quand on a de la place chez soi, accueillir quelqu’un en détresse, qui se retrouve à des milliers de kilomètres de chez lui, c’est juste normal, humain, lâche Sylvain Griffault comme une évidence. Aujourd’hui, ce jeune homme a finalement eu un titre de séjour, et pour cela il aura fallu que lui et toute ma famille, à un moment, on soit dans l’illégalité. »

Des habitants de Melle continuent d’accueillir aujourd’hui des exilés en situation irrégulière. Depuis plusieurs mois, trois familles et un homme seul sont ainsi protégés par des citoyens. «Si je n’avais pas été accueillie, je serais certainement dans la rue avec mon enfant», raconte Héléna*. Originaire d’un pays d’Afrique dont elle préfère taire le nom pour préserver son anonymat, cette mère de famille a trouvé un peu de sérénité : «J’ai plus qu’un toit, grâce aux gens qui nous entourent. » Juste à côté d’elle, Jean Bernard la regarde avec bienveillance. «On ne peut pas laisser des gens sans solution», lance le sexagénaire.

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Avec d’autres habitants, il a créé une association, « Ça passe par toi », pour prendre le relais lorsque les déboutés sont jetés à la rue par les autorités françaises. «Nous ne sommes pas une grande structure, mais on héberge les gens sur une longue période. On a des bénévoles qui nous sont fidèles. On leur demande de nous donner cinq ou dix euros par mois pour payer la nourriture ou un loyer si besoin, explique Nathalie, l’une des membres de cette association. Au début, on n’était pas très sereins. On pensait vraiment que les gendarmes allaient débarquer chez nous. Mais, au fur et à mesure, on s’est détendus. Et on ne prend pas plus de précautions que cela. » Pour le moment, aucun des exilés réfugiés dans la ville de Melle n’a été arrêté par les forces de l’ordre. « Qu’ils viennent ! Je les attends. Comme tout le conseil municipal, je suis élu par les habitants de la commune de Melle, assume fièrement le maire Sylvain Griffault. Qu’ils en fassent autant que nous, et après on pourra peut-être discuter. »



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