En cas de dissolution, une Nupes bis ou chacun pour soi ?

L’hypothèse d’une dissolution après l’adoption de la motion de rejet contre le projet de loi immigration pousse les forces de gauche à se poser une question : seraient-elles capables de dépasser leurs fractures pour faire campagne ensemble en cas de législatives anticipées ?

Lucas Sarafian  • 14 décembre 2023
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En cas de dissolution, une Nupes bis ou chacun pour soi ?
© Lily Chavance

Mardi 12 décembre au soir, plusieurs ministres et pontes de la majorité se retrouvent à la table d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Le dîner ressemble étrangement à une réunion de crise. La veille, l’Assemblée nationale avait adopté la motion de rejet préalable portée par les écologistes contre le projet de loi immigration. Le président doit balayer les solutions qu’il lui reste. Le retrait du texte ? Hors de question. Le passage du texte au 49.3 ? Pas cette fois. Il ne lui resterait donc plus qu’une option : la dissolution de l’Assemblée nationale. Selon un participant à ce dîner, Emmanuel Macron aurait néanmoins fustigé ceux « autour de la table qui imaginent une dissolution, alors qu’il n’y a même pas lieu de tirer de conclusion générale de cette séquence ». En clair, il souhaite que sa majorité deale un texte avec la droite en commission mixte paritaire (CMP) qui se tiendra lundi 18 décembre.

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L’hypothèse de la dissolution semble perdre en crédibilité. Toutefois, certaines voix au sein de la majorité présidentielle l’évoquent toujours. Et lundi soir, Gérald Darmanin s’est dangereusement avancé sur TF1 : « La majorité des députés ne représente pas la majorité de l’opinion. » Si Emmanuel Macron utilise cette cartouche, les gauches devraient donc rapidement trouver une réponse à cette question : accepteraient-elles de faire campagne ensemble pour des législatives anticipées ?

Mort cérébrale

Au sein des quatre groupes ayant défendu les couleurs de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) en juin 2022, certains répondent timidement. « Je ne crois pas utile de digresser sur une hypothèse politique dépourvue de réalité », évacue Laurent Baumel, conseiller du Premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure. « Nous ne faisons pas de politique-fiction. La dissolution paraît peu probable pour l’heure. Mais nous sommes néanmoins parés à toute éventualité », glisse Aminata Niakaté, porte-parole des Écologistes (ex-EELV).

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Depuis octobre, la gauche s’est très vivement fracturée sur le conflit israélo-palestinien. Et chaque tweet de Jean-Luc Mélenchon crispe les relations entre les insoumis et les autres partenaires. Au point que, depuis plusieurs semaines, l’union au Palais Bourbon est en état de mort cérébrale. La réunion hebdomadaire de l’intergroupes parlementaire ne se tient plus « officiellement ». Dans cette situation, il est difficile d’imaginer socialistes, écologistes, communistes et insoumis s’accorder pour repartir soudainement en campagne unis. « C’est impossible d’affirmer quelque chose. En tout cas, on doit au moins obtenir un accord entre les Verts, le Parti communiste et le Parti socialiste. Il n’y aura pas de difficulté pour s’entendre avec eux », juge le député socialiste Philippe Brun, qui souhaiterait tout de même que la France insoumise intègre cette alliance hypothétique.

« Je ne sais pas si la gauche est capable de se réunir. Il faut demander aux partenaires, ce sont les insoumis qui se font envoyer bouler parce que nous défendons l’union à chaque élection, répond la députée insoumise Aurélie Trouvé. Depuis le début, nous disons qu’il peut y avoir une dissolution à tout moment, Emmanuel Macron agite cette menace depuis un an et demi. La donne à gauche actuellement, c’est que nous sommes divisés pour les européennes. Et là, nous partirions soudainement unis pour des législatives ? Il faut que nos partenaires retrouvent la raison et jouent le jeu de l’unité du début à la fin. »

Nous sommes divisés pour les européennes. Et là, nous partirions soudainement unis pour des législatives ?

A. Trouvé

Mais certains sont un peu plus optimistes. « Partir chacun dans notre couloir, c’est le crash à l’arrivée pour nous. Et ce serait une victoire énorme du RN. Même si on avait 24 heures pour désigner les candidats, il faut qu’on y arrive. Quitte à tirer au sort ou choisir nos candidats avec une autre méthode. On aurait l’obligation collective de s’entendre », affirme Olivier Bertrand, le « Monsieur élections »des Écologistes, qui souhaite qu’une réunion soit organisée avant Noël avec les autres partis de la Nupes pour discuter de ce scénario.

Appel du pied

Dans le même temps, Marine Tondelier, la patronne des écolos, déclare qu’une candidature commune de la gauche « se prépare » dans une interview au Figaro. Si la secrétaire nationale a pour perspective 2027, ces propos sonnent comme un appel du pied à l’unité. « On est en train de discuter avec tous nos partenaires. On a vu les socialistes et les communistes récemment, on est en contact avec plusieurs personnes de la France insoumise. On parle toujours, on a toujours nos boucles Whatsapp », raconte un membre de l’exécutif du parti.

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« Au pied du mur, on est toujours amené à prendre ses responsabilités et revenir à la raison. Tout le monde a eu des mots durs. Mais acceptons-nous de rayer la gauche de la carte ou voulons-nous incarner une alternative ? », expose Arthur Delaporte, porte-parole des députés socialistes. La gauche est-elle capable de mettre un peu d’eau dans son vin ? « La perspective de la dissolution nous pousse à nous poser cette question : veut-on changer la vie et vraiment gouverner le pays ? Si la réponse est ‘oui’, il faut qu’on présente aux Français une coalition unie autour d’un programme de rupture comme en juin 2022 », tente de répondre Benjamin Lucas, député Génération.s. Avant d’énoncer la condition nécessaire à cette entente : « Il faut que la moindre tentative de division soit mise de côté pour cette bataille. » Sur ce point, il y a encore du chemin à parcourir.

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Politique
Publié dans le dossier
La loi Darmanin réveille la gauche
Temps de lecture : 5 minutes
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