De quoi le tweet de Jean-Luc Mélenchon contre Ruth Elkrief est-il le nom ?

Le patron des insoumis use des réseaux sociaux pour dominer le débat public. Une stratégie non sans risques pour sa crédibilité et celle de LFI.

Nils Wilcke  • 5 décembre 2023
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De quoi le tweet de Jean-Luc Mélenchon contre Ruth Elkrief est-il le nom ?
Jean-Luc Mélenchon à Bordeaux, le 11 octobre 2023.
© Christophe ARCHAMBAULT / AFP.

Le serial-twitteur Jean-Luc Mélenchon a encore frappé. Le patron de LFI a déclenché une nouvelle tempête politico-médiatique dimanche en ciblant la journaliste Ruth Elkrief, la qualifiant de « fanatique » qui « méprise les musulmans », suite à un échange des plus vifs entre la journaliste et Manuel Bompard sur LCI. La petite phrase fait l’effet d’une bombe. LFI se retrouve à nouveau soupçonnée d’antisémitisme par toute l’éditocratie, d’Apolline de Malherbe (BFM) à Pascal Praud (News) ou encore Frédéric Haziza (Radio J), ce dernier allant jusqu’à le comparer à Jean-Marie Le Pen. Un réquisitoire qui ulcère le premier cercle de Jean-Luc Mélenchon : « Critiquer le travail d’une journaliste, c’est être antisémite, désormais ? Jean-Luc n’a jamais été condamné, contrairement à Jean-Marie Le Pen, c’est ignoble de faire ce lien », s’indigne son entourage, sollicité par Politis.

Ses proches sont d’autant plus furieux qu’au même moment, Jordan Bardella, en week-end avec le gratin de l’extrême droite européenne en Italie, n’a pas eu droit au même traitement médiatique, selon eux. « Le RN a côtoyé des antisémites, vous l’avez vu où ? », fulmine un éminent élu. Un « deux poids, deux mesures », également dénoncé par la direction du parti. Peu importe que le déplacement de M. Bardella ait été couvert par Le Monde, Mediapart et Le Figaro, que Quotidien ait filmé l’embarras du patron du RN face à ses liens avec des antisémites notoires, la meilleure défense, c’est l’attaque.

À peine Ruth Elkrief a-t-elle été placée « sous protection policière » par Gérald Darmanin que Mathilde Panot l’accuse d’ignorer les menaces visant Jean-Luc Mélenchon. « C’est du délire, s’étrangle-t-on Place Beauvau. Nous avons tenté de joindre M. Mélenchon et son état-major pour connaître ses besoins en matière de sécurité à plusieurs reprises ces derniers mois ». Plusieurs élus LFI ont déjà été placés sous protection policière, comme le député Louis Boyard, lors des débats sur la réforme des retraites en février dernier, rappelle le ministère. « Ni M. Mélenchon ni ses proches n’ont daigné répondre », s’agace l’Intérieur, SMS à l’appui, que nous avons pu consulter.

Sur le même sujet : LFI : Raquel Garrido, condamnée au silence pour cause de divergence

Cette dernière polémique intervient après plusieurs mois de tensions au sein de LFI. Jean-Luc Mélenchon fait face à une contestation interne qui a abouti à sanctionner la députée Raquel Garrido le 6 novembre, pour l’avoir critiqué. La fronde a débuté bien plus tôt, en 2022, là encore, sur X (ex-Twitter), quand M. Mélenchon écrit « la police tue » après la mort du jeune Nahel à Nanterre lors d’un contrôle policier, provoquant la fureur de son homologue du PCF, Fabien Roussel. Il choque ensuite toute la gauche en volant au secours de son ancien poulain Adrien Quatennens, condamné pour violences conjugales. Enfin, ce 2 décembre, il achève la Nupes, accusé par ses partenaires de la gauche de trouver des justifications à l’attaque du Hamas, en dénonçant d’une même voix le mouvement islamiste et la colonisation israélienne depuis l’attaque terroriste sur l’État hébreu le 7 octobre.

Stratégie du clivage

Cette stratégie du clivage, théorisée par Jean-Luc Mélenchon avec son pamphlet « Qu’ils s’en aillent tous » lors du lancement du parti de gauche, l’ancêtre de LFI, il y a dix ans, prend des proportions inédites qui n’en finissent plus de diviser en interne. « Le bruit et la fureur sont utiles pour percer le mur du son mais quand on est la première force de gauche dans un climat préfasciste, notre responsabilité devrait être de chercher à rassembler », désespère une députée qui réclame l’anonymat pour ne pas connaître le même sort que Mme Garrido. « Les tweets de Jean-Luc Mélenchon sont une manière de rester au centre du jeu en se posant comme candidat antisystème tout en terrorisant les siens, c’est assez toxique en réalité », grince un parlementaire du PS.

C’est la prime à celui qui gueule le plus fort.

Un parlementaire LFI

Les proches de M. Mélenchon reproduisent-ils cette technique éprouvée ? Le député Ugo Bernalicis a été sanctionné il y a trois jours pour avoir provoqué une altercation en commission des lois. « On avait réussi à faire adopter deux belles mesures avec notre niche parlementaire et le lendemain, le seul truc dont on parle, c’est de ce clash à la con », fulmine l’une de ses collègues. Mathilde Panot crie à la manipulation mais les images font le tour des réseaux sociaux, assurant aux insoumis une large couverture médiatique. Sur la boucle interne réservée aux élus, Sophia Chikirou « fait des éloges » à l’intéressé, selon les informations de Politis. « C’est la prime à celui qui gueule le plus fort », observe, fataliste, un vieux routard du parti.

Cette méthode a-t-elle atteint ses limites ? « Vous rigolez, vous avez vu ses chiffres ? Chacun de ses tweets fait plus de vues que certaines émissions politiques », se gargarise l’un de ses proches. Son tweet sur Ruth Elkrief a été vu près de 8 millions de fois ». Une politique du like qui exaspère les élus, préoccupés par la dégringolade de leur leader dans les sondages d’opinion. « Jean-Luc est déjà connu des Français, il devrait s’occuper de rassembler le plus largement possible plutôt que de chercher à faire de l’audience », observe un autre député. Au sein de LFI, il se dit que Jean-Luc Mélenchon aurait trouvé ce seul moyen pour conserver son emprise sur le parti d’ici 2027. Ses proches hurlent à la calomnie… sans vraiment démentir.

À couteaux tirés

Reste la question de l’avenir de la Nupes, sans le leader charismatique de LFI. Un premier meeting commun organisé par le mouvement Génération.s ce mardi à la Bellevilloise à Paris permet d’en dessiner les contours. « Il paraît que la Nupes est morte, ce n’est pas la question. La seule question c’est : serons-nous à la hauteur de nos valeurs ? », a déclaré Cyrielle Chatelain, la présidente du groupe EELV à l’Assemblée lors de cette soirée, entourée notamment des députés Elsa Faucillon (PCF), Boris Vallaud (PS), Benjamin Lucas (écologiste-Nupes) et Andy Kerbrat (LFI). 

Il paraît que la Nupes est morte, ce n’est pas la question. La seule question c’est : serons-nous à la hauteur de nos valeurs ?

C. Chatelain, EELV

« C’était une soirée test », reconnaît un participant. Les socialistes tentent de se positionner en garants de la promesse originelle de la Nupes. « Nous devons poursuivre le rassemblement de la gauche et des écologistes. Nous ne trahirons pas nos engagements », déclare Pierre Jouvet, le secrétaire national du PS en charge des élections et proche d’Olivier Faure. Les partisans de l’union marchent sur des œufs. « Il faut continuer à communiquer entre nous », prévient une députée écolo, qui ne veut surtout pas « mettre de l’huile sur le feu ». D’autant qu’ils le savent, toute tentative de rapprochement sans Jean-Luc Mélenchon risque de leur attirer les foudres du patron de LFI.

Sur le même sujet : Fin de la Nupes : vers une union sans Mélenchon

Ce dernier a senti le danger, critiquant « des cadres fainéants » en visant Raquel Garrido et François Ruffin ou un « Faure qui n’influence plus personne ». « Mélenchon a décidé de s’écarter de la Nupes et d’en trahir l’engagement collectif », ajoute sévèrement Pierre Jouvet. Les couteaux sont à nouveau tirés. Un nouveau meeting est d’ores et déjà prévu à Saint-Ouen jeudi 7 décembre, pour le plus grand déplaisir de la direction de LFI. « Jean-Luc Mélenchon est un homme libre, personne ne peut lui dire ce qu’il doit faire », assume l’un de ses proches. « La preuve du pudding, c’est qu’on le mange, donc en verra après les élections européennes », soupire un député LFI. La digestion de l’après-Nupes s’annonce difficile.

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