Quatre visages d’une jeunesse qui ne se laisse pas faire

Ils et elles sont déterminé·es. Militants et militantes dans des mouvements écologistes, féministes, queers, antiracistes, en faveur des droits des exilé·es. Ils luttent pour que le monde de demain soit plus juste, plus égalitaire. Portrait de quatre d’entre elles et eux.

Pierre Jequier-Zalc  • 13 décembre 2023 abonné·es
Quatre visages d’une jeunesse qui ne se laisse pas faire
À Paris, le 8 mars 2023.
© Maxime Sirvins

C’est une génération qui n’est pas épargnée. Une génération qui hérite des grands désordres et dérèglements mondiaux. Le covid-19, le réchauffement climatique, la montée des idées réactionnaires, la précarité galopante – la liste n’est, hélas, pas exhaustive. Et ils sont nombreux, au sein de cette jeunesse diverse, à ne pas se résigner. C’est le message qui ressort de l’étude de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) dans son baromètre « Moral, état d’esprit et engagement des jeunes en 2023 ». Ainsi, 67 % des 18-30 ans se disent confiants face à l’avenir. Soit plus de 23 points de plus que leurs contemporains plus âgés.

Les quatre jeunes que nous vous présentons ici ont chacun leur parcours et leur sensibilité, mais ils ont en commun de s’engager pour rendre notre monde, dans lequel ils vivront encore longtemps, plus juste et plus respirable. Ces visages incarnent ceux d’une génération qui ne se laisse pas faire. Une jeunesse qui ne veut pas qu’on parle pour elle. Une jeunesse qui s’engage ! « Les jeunes se déclarent plus mobilisés au cours des douze derniers mois que les plus âgés », note l’Injep, à rebours des a priorisur une génération dépolitisée, abrutie par les réseaux sociaux.

Bataille commune

Quatre jeunes, quatre luttes : de l’écologie au féminisme, en passant par l’antiracisme et les droits des travailleurs sans papiers. Et une bataille commune : la lutte des classes. Pour beaucoup, tous ces combats se mélangent et s’entrecroisent. C’est peut-être cela qu’il faut retenir de ces quatre portraits : une ouverture aux autres quand le repli sur soi et la haine de l’étranger gagnent du terrain. Depuis la création de ce baromètre en 2017, jamais l’Injep n’avait mesuré un tel niveau d’engagement.

Que ce soit sur l’adhésion à un parti politique ou à un syndicat (18 %, soit près d’un jeune sur cinq, se déclarent adhérents) ou sur la participation à une manifestation ou à une grève : plus d’un jeune sur quatre (28 %) en 2023. Des courbes en hausse qui se croisent avec celles des sentiments négatifs, en recul. La part des jeunes exprimant « inquiétude, angoisse et peur de l’avenir » a baissé de deux points par rapport à l’an passé.

Nos témoins font passer un message limpide : l’engagement, quel qu’il soit, émancipe.

Tous ces jeunes ont eu un jour, un déclic : la mort d’Adama Traoré, tué par des policiers en juin 2016, celle de Nahel en 2023, les grèves mondiales pour le climat, l’inaction climatique du gouvernement, la mobilisation historique contre la réforme des retraites, celle contre la loi sécurité globale, le conflit israélo-palestinien. Les sujets d’engagement n’ont pas manqué ces dernières années. Et leur diversité se retrouve dans les statistiques. Ainsi, les 18-30 ans investissent bien plus la lutte contre les discriminations, pour la santé, pour la défense des droits humains et des minorités, ou encore pour l’insertion et la formation que leurs aînés.

Outre ces chiffres marquants, nos témoins font passer un message limpide : l’engagement, quel qu’il soit, émancipe. Il donne un sens à leur existence. Une direction. Qu’ils ne semblent pas près d’abandonner.


« Je me sentais impuissante, j’ai cherché à avoir un impact concret. »

Asma 22 ans, militante antiraciste

(Photo : Maxime Sirvins.)

Je viens d’une famille d’immigrés marocains. Je suis de la deuxième génération. La première à être née en France. Chez mes parents, le militantisme n’était pas développé. Pour eux, la France leur a tellement donné qu’ils ne veulent pas passer pour des ingrats en s’engageant contre le pouvoir. Quand je suis partie de chez eux, j’ai commencé à développer mes idées politiques, sans pour autant m’engager réellement. J’avais 17 ans. C’est à partir de la lutte contre la réforme des retraites que j’ai vraiment commencé à m’engager. Mon frère, qui est très informé politiquement, m’a emmenée en manifestation. Voir tous ces gens se battre pour la même cause, quels que soient leur âge, leur couleur de peau, leur religion, leur origine sociale, ça m’a beaucoup plu. Puis il y a eu le 7 octobre, qui a été un tournant crucial, confrontant mes convictions à des horreurs partagées sur les réseaux sociaux.

Je me sentais impuissante, j’ai cherché à avoir un impact concret. Je me suis renseignée pour essayer d’avoir plus d’utilité. Plein de luttes me tiennent à cœur, mais la Palestine est un sujet qui m’a particulièrement touchée. C’était le seul combat présent dans ma famille, même s’il était silencieux. Au vu des événements, je n’ai pas hésité.  J’ai rencontré le collectif Urgence Palestine et j’ai décidé de mettre mes compétences à son service. Je suis en dernière année d’école d’ingénieurs. Concrètement, cela veut dire qu’on aide les militants à avoir des plateformes sécurisées, on fait de l’analyse des réseaux sociaux. Je vais aussi en manifestation, mais je sens que je suis plus utile grâce à mon domaine d’expertise. Cet engagement m’a permis de transcender mon sentiment d’impuissance, de trouver une utilité significative à mon échelle dans le militantisme.


« On provoque des électrochocs dans l’opinion. »

Angelo, surnommé « Leaf » 17 ans, militant écologiste

(Photo : Maxime Sirvins.)

J’ai commencé à militer à 15 ans. Le déclencheur a été les prises de parole de Greta Thunberg et les grèves pour le climat. Cela m’a intéressé, alors je me suis documenté sur l’écologie. Je me suis penché sur Youth for Climate, qui est la déclinaison en France de Friday for Future. Je voulais voir comment ça marchait. J’ai découvert un mouvement très horizontal. Je suis entré dans des conversations en ligne, mais je n’osais pas trop m’engager, discuter. En mars 2021, je suis allé à la marche mondiale pour le climat. C’était ma première. J’ai été impres-sionné par le monde qu’il y avait et le dynamisme qui en est sorti. J’ai aussi pu rencontrer d’autres militants. Cela m’a poussé à m’engager pleinement.

Ma première action de désobéissance civile, je l’ai réalisée durant l’été suivant. C’était pour dénoncer la fast fashion et le génocide des Ouïgours. On s’était postés devant un magasin Zara. C’était une petite action, mais je me rappelle encore la montée d’adrénaline. J’aime cette manière de militer. Je trouve que c’est impactant. On provoque des électrochocs dans l’opinion. Surtout, face à l’écoanxiété, cet engagement permet de trouver un sens à sa vie, de se dire qu’on vit quand même pour quelque chose. À mon sens, plutôt que de parler en permanence d’éco-anxiété, il faudrait laisser la parole des jeunes émerger sur ce sujet. Aujourd’hui, elle est bien trop décrédibilisée dans l’espace public. Mais le combat écologique, on le mène pour notre avenir. Écoutez-nous !


« Lutter pour avoir des papiers, c’est lutter pour sa vie. »

Sow Hamady, 28 ans, travailleur sans papiers

(Photo : Pierre Jequier-Zalc.)

Je suis arrivé en France début 2019. Je viens du Sénégal. Je suis venu chercher une meilleure vie. Là-bas, malgré mes études, je n’avais accès à aucun emploi. Depuis, je travaille ici, dans le BTP, via une agence d’intérim, donc à droite, à gauche, un peu partout en Île-de-France. Ce n’est pas facile mais je n’ai pas le choix : je suis sans papiers, tout est compliqué. Je vis dans la crainte permanente d’être contrôlé. Donc je fais attention à respecter toutes les règles. L’an passé, j’ai décidé de me rendre à la manifestation du 18 décembre, pour la journée internationale des migrant·es. C’était la première fois, je ne savais pas comment cela fonctionnait. En arrivant sur la place de la République, une dame m’a abordée. Elle m’a dit que si je voulais entrer dans la Coordination 75 des sans-papiers (CSP75), je pouvais venir ici, à République, tous les vendredis à 14 heures.

La semaine suivante, je m’y suis rendu. Ils ont parlé de beaucoup de choses et je me suis rendu compte qu’en étant sans papiers, c’était important que je sois entouré grâce à ce collectif. Je ne pouvais pas rester sans information. Depuis, j’ai aussi rencontré La Marche des solidarités. Désormais, je suis dans toutes les boucles. À chaque annonce, je suis toujours présent. C’est une motivation énorme de se mobiliser. Dès que je sors du travail, je vais direct aux réunions. Ça permet de se sentir moins seul et d’être informé. Ce n’est pas facile, mais je n’ai pas le choix. Je veux avoir une vie normale, avoir les mêmes droits que tout le monde, pouvoir voyager, revoir mes parents. Aujourd’hui, sans papiers, je ne peux pas. Lutter pour avoir des papiers, c’est lutter pour sa vie.


« J’ai fait la rencontre du collectif féministe Du pain et des roses. »

Savannah, 24 ans, militant féministe et queer révolutionnaire

(Photo : Carolsibony)

Je suis de la génération Adama. Le confinement m’a permis de développer mes sensibilités féministe et écologiste via les réseaux sociaux. Quand il a pris fin, je suis allé à ma première manifestation, seul. C’était celle pour Adama Traoré, où j’ai rencontré plein de jeunes en colère mais déterminés, comme moi. Avec elles et eux, je suis retourné en pride radicale, en manifestation contre la loi sécurité globale ou encore contre la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur. En 2021, je me suis engagé dans la primaire écologiste auprès de Sandrine Rousseau parce que j’étais curieux de l’écoféminisme, mais cette expérience m’a énormément déçu. J’ai découvert un féminisme ultralibéral qui finissait par effacer d’autres oppressions comme le racisme ou la lutte des classes.

Puis j’ai fait la rencontre du collectif féministe Du pain et des roses, rattaché à Révolution permanente. C’était il y a un an et demi et, depuis, je ne l’ai plus quitté. J’y ai trouvé une organisation qui permet de faire la synthèse de toutes mes sensibilités, écolo, LGBT, anti-impérialiste, lutte de classes, mais qui m’offre aussi une stratégie et des outils organisationnels pour affronter le capitalisme. Alors qu’il y a une montée importante de l’extrême droite et des attaques contre les droits reproductifs et trans, je ne suis pas démoralisé ou désarmé face à ces offensives car je suis organisé politiquement aux côtés des étudiant·es et des travailleur·euses. Je suis fier de mon cheminement politique : en trois ans, je suis passé d’une personne qui manifeste pour la première fois de sa vie à un militant d’une organisation révolutionnaire internationale que je participe moi aussi à construire.


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Société
Publié dans le dossier
Une jeunesse qui s'organise
Temps de lecture : 10 minutes