« Maréchal toujours là ! » : au Puy-en-Velay, la construction d’un antifascisme rural

Dans la petite ville de Haute-Loire, des jeunes se mobilisent contre les velléités d’implantation de groupuscules d’extrême droite radicale qui gravitent autour d’une librairie installée depuis deux ans.

Oriane Mollaret  • 13 décembre 2023 abonné·es
« Maréchal toujours là ! » : au Puy-en-Velay, la construction d’un antifascisme rural
© Rafahl

Le Puy-en-Velay, son piton volcanique surmonté d’une Vierge monumentale, ses ruelles pentues, sa dentelle, ses lentilles, sa verveine et ses affiches du maréchal Pétain. Cette petite ville médiévale d’à peine 20 000 habitants, préfecture de la Haute-Loire, est un haut lieu de pèlerinage et le fief de Laurent Wauquiez, l’actuel président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il y a toujours régné une ambiance vieille France, ancrée à droite et imprégnée d’un catholicisme conservateur, mais, depuis deux ans, le Puy-en-Velay penche dangereusement à l’extrême droite, avec l’ouverture d’une librairie qui semble attirer tous les nervis du coin. En réaction, les habitants s’organisent, en particulier les jeunes, bien décidés à ne pas les laisser occuper le terrain.

Drapeau français et révolver

La collection de la librairie des Arts enracinés, qui a ouvert en juin 2021 dans le centre-ville, laisse peu de doute quant aux opinions politiques de son gérant. Les ouvrages de Renaud Camus et les mémoires de Jean-Marie Le Pen côtoient des traités sur l’ésotérisme nazi, des essais complotistes, les revues Rivarol ou Éléments et, depuis peu, des tee-shirts floqués d’un drapeau français, d’un révolver et de la mention « légitime défense ». Confectionnés « en réaction à l’attaque de Crépol », précise le site web du commerce.

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Dans sa librairie, Maxime Sanial organise régulièrement des conférences qui attirent la fine fleur de l’extrême droite régionale. Les Arts enracinés ont ainsi reçu l’écrivain d’extrême droite Georges Feltin-Tracol, l’ancien du Front national Christian Bouchet, figure des milieux nationalistes-révolutionnaires, l’historienne et ex-membre d’Égalité et Réconciliation Marion Sigaut et le nationaliste Yvan Benedetti, pour ne citer qu’eux. À plusieurs reprises, les riverains ont signalé les activités de la librairie aux autorités et exigé sa fermeture, en vain (1). Alors, en août 2021, des habitants ont décidé de monter le Réseau antifasciste de Haute-Loire (Rafahl).

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Contactée, la préfecture de Haute-Loire n’avait pas répondu à nos questions au moment du bouclage du journal.

Parmi eux, Alex*, 24 ans. Comme beaucoup de jeunes Ponots, il a quitté le Puy pour aller faire ses études à ­Clermont-Ferrand. Là-bas, il a milité avec les antifascistes auvergnats contre le Bastion social local. Il se souvient des nuits passées à veiller sur les camps de migrants attaqués par l’extrême droite radicale. « Ça a été un vrai tournant pour moi, affirme-t-il. C’est à Clermont que j’ai pris conscience du niveau de violence de l’extrême droite. » De retour au Puy, il voit immédiatement en la librairie des Arts enracinés un terreau propice à l’implantation de groupuscules d’extrême droite. « Il fallait une réponse antifasciste », constate-t-il.

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Les prénoms suivis d’une astérisque ont été modifiés.

La situation se dégrade dans la ville médiévale. En février 2022, six mois après la création du Rafahl, un homme noir est roué de coups par trois Blancs qui lui intiment de « rentrer dans [son] pays ». L’été suivant, un homme est agressé pour son tee-shirt du FC St. Pauli, un club de foot allemand connu pour son antifascisme. Une attaque revendiquée sur les réseaux sociaux par des militants d’extrême droite clermontois, qui assuraient le même jour la sécurité d’une conférence aux Arts enracinés. « On a tout le gratin faf qui gravite autour de cette librairie : Lyon populaire, Clermont non conforme, Tenesoun, etc. », énumère Alex. Des groupuscules connus pour faire le coup de poing ensemble dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, sous la bannière floue du Guignol Squad. En parallèle, des affiches du maréchal Pétain signées Jeune Nation fleurissent sur les murs de la cité ponote.

« Dédiaboliser l’antifascisme »

À force de voir la tête du maréchal Pétain, Léo*, 22 ans, habitant de la campagne alentour, a décidé de rejoindre le Rafahl au printemps. « J’ai aussi vu des croix gammées vers chez moi, s’indigne-t-il. J’ai compris que c’était vraiment des nazis. Je ne pensais pas que c’était possible ici ! » Il fait allusion à l’histoire locale : la Haute-Loire est surnommée la « Terre des Justes » pour avoir caché de nombreux juifs dans ses villages pendant la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, dans les bals de ces mêmes villages, les propos racistes sont devenus banals.

J’ai compris que c’était vraiment des nazis. Je ne pensais pas que c’était possible ici ! 

Léo

« L’autre jour, un mec a tout de suite demandé s’il y avait “des bougnoules au bal” », se désole Léo. Il a pensé à déménager mais refuse que l’image renvoyée par les Altiligériens soit celle de l’extrême droite. « Certains jeunes répètent les discours de leurs parents sans y croire. Il faut montrer que, même si ça vote majoritairement Rassemblement national dans les villages de Haute-Loire, les jeunes ne partagent pas ces idées. » Pas si simple. Début 2023, le groupuscule Velay nationaliste a vu le jour, animé par des lycéens du Puy, d’après le Rafahl. Depuis le meurtre du jeune Thomas Perotto, tué le 19 novembre en marge d’un bal à Crépol, à 100 kilomètres du Puy à vol d’oiseau, des tags néonazis noircissent les murs des lycées de la ville.

Léo craint que l’extrême droite profite du contexte pour « bouffer le cerveau » des ados. Il pense notamment à sa petite sœur. « C’est important pour moi de lui montrer qu’il faut se mobiliser. Beaucoup de jeunes ont envie d’agir contre la montée de l’extrême droite en Haute-Loire mais ne savent pas comment faire. » Au Rafahl, Léo et Alex vont à leur rencontre devant les lycées ou dans la rue. « Tout le monde a une conscience politique, affirme ce dernier. C’est un gros travail d’informer les jeunes sur ce qui se passe dans leur ville, la violence de l’extrême droite, les conséquences du vote RN. C’est à nous, en tant que jeunes, d’aller les voir. »

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La bataille se joue aussi, voire principalement, sur les réseaux sociaux. « La façon de communiquer des fafs a évolué, ils sont très actifs sur les réseaux sociaux et notamment Instagram, explique Alex. C’est ultra-important qu’on y soit aussi, c’est là que la jeunesse se fait, s’informe, communique, partage. Il faut dédiaboliser l’antifascisme auprès des jeunes. » Sans oublier la rue, où les antifascistes ne lésinent pas sur les autocollants pour recouvrir la photo du maréchal Pétain et la devanture des Arts enracinés.

Travail de longue haleine

Contrairement aux organisations antifascistes concentrées sur une ville en particulier, le Rafahl ne se limite pas au Puy. « Les fafs collent partout, même dans les petits villages », explique Léo. Selon lui, le terreau « catho conservateur d’extrême droite » de la campagne environnante rendrait l’implantation d’un groupuscule d’extrême droite particulièrement facile. C’est justement dans le bassin yssingelais que la section Tolbiac des Nationalistes a élu domicile. L’antifascisme rural est légèrement différent du citadin, estime Léo : « À Lyon, il y a des groupes importants qui traînent dans la ville, il est donc nécessaire de travailler dans la rue. Dans les campagnes, c’est un travail de longue haleine, il faut être présent souvent, aller discuter avec les gens, faire de la prévention contre l’extrême droite. »

Le Rafahl a pour ambition de créer un réseau antifasciste dans toute la Haute-Loire, « pour que les jeunes puissent s’engager de partout et faire évoluer les mentalités », précise Léo. Un défi de taille les attend : la désertion des jeunes. Ceux-ci partent faire leurs études ou travailler ailleurs, ne reviennent pas ou peu et la population vieillit. Les idées d’extrême droite, au contraire, semblent plus vivaces que jamais en Haute-Loire. Au premier tour de la dernière présidentielle, Marine Le Pen y caracolait en tête, avec 27,66 % des voix. Emmanuel Macron l’a emporté de justesse au second, devançant la candidate RN de seulement 392 voix.

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Société
Publié dans le dossier
Une jeunesse qui s'organise
Temps de lecture : 7 minutes