Gaza : quand une information chasse l’autre

La Cour internationale de justice a rendu un verdict qui est loin de laisser Israël indemne de l’accusation de génocide. Une information parasitée par les accusations à l’encontre de certains employés de l’agence onusienne en charge de l’aide humanitaire dans les territoires palestiniens.

Denis Sieffert  • 31 janvier 2024
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Gaza : quand une information chasse l’autre
Un sympathisant pro-palestinien tient un drapeau avec une image de Nelson Mandela, devant la Cour internationale de Justice (CIJ) à La Haye le 12 janvier 2024, avant l'audience. de l'affaire de génocide contre Israël, intentée par l'Afrique du Sud.
© Koen van Weel / ANP / AFP.

Disons que le hasard fait mal les choses. Quelques heures seulement après que la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye eut rendu, le 27 janvier, un verdict qui est loin de laisser Israël indemne de l’accusation de génocide, un événement est venu occuper bruyamment l’espace médiatique. On apprenait que des employés de l’UNRWA, l’agence onusienne en charge de l’aide humanitaire dans les territoires palestiniens, étaient soupçonnés de complicité avec le Hamas dans l’attaque du 7 octobre. Mais ce n’est pas tant ce soupçon que ses conséquences immédiates – trop immédiates – qui laissent songeur.

C’est L’UNWRA qui documente le caractère génocidaire de la guerre israélienne.

À peine l’information révélée, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, le Canada, le Japon, suivis d’une France hésitante, ont annoncé la suspension de leur aide à l’institution onusienne. Réaction d’autant plus étonnante que le forfait ne concernerait que douze employés d’une agence qui en emploie plus de 13 000, et alors que la direction de l’UNRWA venait elle-même de diligenter une enquête et de licencier les suspects. Et tant pis pour les conséquences humanitaires de cette décision, au moment où l’aide de l’UNRWA est vitale – plus que jamais sans doute depuis la création de l’agence en 1949.

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Alors que la population de Gaza, anéantie sous les bombes, privée de soins, d’eau potable et de comestibles, est en proie à une campagne de bombardements massifs, l’agence onusienne est l’ultime bouée de sauvetage. Elle a déjà payé un lourd tribut à sa mission puisque 133 de ses employés ont péri sous les bombes. L’acharnement occidental ne connaît pas de répit. On pourrait dire en paraphrasant le titre du célèbre roman d’Horace McCoy : « On achève bien les Palestiniens » ! On devine sans peine que, derrière Washington, c’est Israël qui est à la manœuvre.

Car l’UNRWA est une épine dans le pied de Netanyahou. Son commissaire général, Philippe Lazzarini, ne cesse de dénoncer la détresse de la population palestinienne. C’est l’agence qui documente le caractère génocidaire de la guerre israélienne. Et le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, n’a pas de mots assez durs, et assez justes, pour qualifier la campagne militaire du gouvernement israélien. La vengeance est un plat qui se mange chaud. Or ce n’est peut-être pas tout. L’Organisation mondiale de la santé est, paraît-il, elle aussi dans le collimateur. Comme si rien d’humain ne devait survivre. Du coup, on a très peu parlé du verdict de la Cour internationale de justice que Washington s’est empressé de rejeter. Dommage, car celui-ci, malgré son art de la litote, est sévère pour Israël.

Ce sont toutes les institutions de l’ONU qui sont affaiblies.

La cour a mis en garde l’État hébreu contre un « risque réel et imminent » de génocide. Autrement dit, nous n’y sommes pas, mais on s’en rapproche. La suppression du financement de l’UNRWA devrait accélérer le processus mortifère. Et si les juges n’ont pas appelé explicitement à un cessez-le-feu, ils ont invité Israël à « prendre des mesures immédiates et efficaces pour assurer la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire dont les Palestiniens de la bande de Gaza ont un besoin urgent ». Des « mesures » peu compatibles avec la poursuite de la guerre. Au passage, on remarque qu’entre le mépris affiché à l’égard de la CIJ et les attaques contre l’UNRWA, ce sont toutes les institutions de l’ONU qui sont affaiblies. Au risque de creuser encore un peu plus les divisions du monde.

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Mais dans cette affaire, comme souvent à notre époque, ce sont moins les faits qui importent que l’écho qui leur est donné dans les médias audiovisuels. Les nôtres n’ont pas été très glorieux (1). C’est une vieille histoire. Dans son livre de souvenirs (De notre correspondant à Jérusalem, édition Don Quichotte, 2021), Charles Enderlin, l’historique correspondant de France 2 à Jérusalem, raconte comment, en octobre 2018, l’ambassadrice d’Israël est intervenue pour empêcher la diffusion d’un reportage qui montrait « la jeunesse estropiée » de Gaza. Et le président du Consistoire y était allé de sa plume : « Vous n’êtes évidemment pas sans connaître le lien étroit entre la résurgence de l’antisémitisme en France et la détestation d’Israël, alimentée par de tels programmes. » Ce jour-là, dit Enderlin, « le journalisme a gagné ».

1

À la notable exception de Pierre Haski dans sa chronique du 29 janvier sur France Inter.

Mais combien de fois une hiérarchie pusillanime lui a-t-elle recommandé de ne pas montrer la souffrance des Palestiniens ? Impossible aujourd’hui de ne pas repenser à ce livre indispensable. Dissimuler la réalité, est-ce vraiment la bonne méthode pour combattre l’antisémitisme ? Alors que tant d’autres sources d’information, et de désinformation, existent, n’est-ce pas au contraire l’alimenter en suggérant que les médias sont sous influence ?

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