« Les personnels de l’Éducation nationale se sont sentis méprisés et insultés »

Laura, enseignante à l’école Littré, revient sur les coulisses de la visite de la ministre Oudéa-Castéra.

• 31 janvier 2024
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« Les personnels de l’Éducation nationale se sont sentis méprisés et insultés »
Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l'Éducation, des Sports et des Jeux olympiques, lors de son arrivée à l'école Littré, le 16 janvier 2024.
© Thomas SAMSON / AFP

Après ses nombreux propos qui ont fâché l’ensemble de la communauté éducative, la ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, est retournée dans l’école publique où elle avait, un très court temps, scolarisé l’un de ses fils. Laura* est enseignante dans cette école, l’école Littré. Elle revient sur les coulisses de cette visite.


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* Le prénom a été modifié.

Je suis enseignante à l’école Littré, dans le 6e arrondissement de Paris, que la ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, a pointée du doigt pour justifier le fait d’avoir mis ses enfants dans une école privée – Stanislas, en l’occurrence. Pour « s’excuser », a-t-elle dit, elle est venue nous rendre visite le 16 janvier dernier.

Je n’ai pas du tout été rassurée par les propos qu’elle a tenus lors de sa visite. Premièrement, la ministre est venue nous présenter des excuses uniquement parce que nous étions enseignants à l’école Littré. Elle ne nous a pas présenté ses excuses parce que nous étions professeurs de l’école publique. Sa posture était celle d’une maman qui a cherché à nous expliquer son ressenti concernant ce qui s’était passé pour son fils il y a quinze ans.

Elle n’a pas eu l’air de comprendre de quoi nous lui parlions quand nous avons évoqué nos revendications.

Pire que cela, elle n’a pas du tout reconnu les faits, nous expliquant qu’elle ne laisserait personne dire qu’elle avait menti. Pourtant, comme la presse l’a rapporté, les registres d’absence de la collègue mise en cause, Florence, montrent qu’elle n’a pas été aussi absente que l’a laissé entendre la ministre. Elle nous a aussi expliqué qu’elle ne s’attendait pas à être nommée ministre de l’Éducation nationale. Avant d’ajouter qu’il fallait « lui laisser le temps de prendre ses marques ». Autant dire que cela n’avait pas de quoi nous rassurer.

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Sur le moment, elle semblait bien préparée, notamment sur la forme. Elle était entourée d’une flopée de conseillers et l’on sentait qu’elle récitait les éléments de langage qui lui avaient été fournis. En revanche, elle ne m’a pas semblé préparée pour sa mission de ministre.

Déjà, elle n’a pas eu l’air de comprendre de quoi nous lui parlions quand nous avons évoqué nos revendications, en pointant du doigt nos conditions de travail. Pas seulement les nôtres, mais celles de l’ensemble des personnels de la communauté éducative. Aussi, quand le sujet des AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap) a été abordé, un sentiment de grande confusion s’est dégagé. Le moment a été bref, mais alors que nous évoquions leur trop faible présence dans nos établissements, nous avons eu la sensation que nous ne parlions pas le même langage. Savait-elle ce qu’est un AESH ? Rien n’est moins sûr.

La polémique autour de notre école publique nous a heurtés pour au moins deux raisons essentielles. La première, c’est l’effervescence médiatique – et à travers elle la caricature de notre établissement – suscitée autour de notre école et de notre travail. La seconde, c’est la mise en scène d’une scission – si ce n’est d’une guerre – entre écoles publique et privée. La ministre s’en est défendue, mais sa vision de la vie et son manque d’expertise sur le sujet ne nous ont pas convaincus, au regard de l’ambition qu’elle affiche pour l’école publique.

Il s’agissait d’excuses privées, sans caméra, mais en aucun cas d’excuses formulées à l’endroit de l’école publique.

Amélie Oudéa-Castéra décrit notre école publique comme un endroit où « un paquet d’heures ne [seraient] pas remplacées ». Si nous partageons globalement le constat, elle ne semble pas partager les réponses au problème. Quand nous avons pointé la pénurie de professeurs et la nécessité de concentrer les efforts du ministère sur le recrutement et la revalorisation du métier d’enseignant afin d’attirer davantage de candidats, elle ne semblait pas bien comprendre les éléments auquel nous faisions référence : un retour à la semaine de quatre jours, une plus grande mobilité des enseignants, une hausse des rémunérations, une meilleure prise en charge des élèves à besoins particuliers, une inclusion favorisée et sereine des élèves handicapés avec plus de moyens et d’ambition pour eux.

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Voilà ce que j’aurais souhaité entendre de sa part : un message d’ambition, avec une explication des moyens mis en œuvre pour atteindre cette ambition, que ce soit pour les conditions de travail du corps enseignant comme pour les conditions d’apprentissage des élèves. Une ambition de dialogue avec les syndicats, mis au ban depuis plusieurs années. J’aurais aimé qu’elle nous montre ses compétences, qu’elle fasse un petit peu ses preuves.

Pour résumer, malgré sa méconnaissance de l’école publique et de son fonctionnement, j’aurais préféré un message d’humilité – qui aurait mieux été compris – et qu’elle ouvre un dialogue avec nous plutôt que d’essayer, avec maladresse, de justifier son choix du privé, ce qu’elle a tenté de faire en choisissant délibérément de venir à Littré. À mon sens, ce n’était pas suffisant. Il s’agissait d’excuses privées, sans caméra, mais en aucun cas d’excuses formulées à l’endroit de l’école publique, dont les agents – l’ensemble de la communauté éducative – se sont sentis méprisés et insultés.


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