Nouveaux OGM : c’est toujours non !

Les collectifs qui s’étaient mobilisés contre les organismes génétiquement modifiés s’unissent aujourd’hui contre les nouvelles techniques génomiques, en invoquant la transparence alimentaire.

Vanina Delmas  • 16 janvier 2024 abonné·es
Nouveaux OGM : c’est toujours non !
Un faucheur volontaire participe à un rassemblement contre Monsanto-Bayer, le 15 mai 2021, à Chalon-sur-Saône.
© Antoine Mermet / Hans Lucas / AFP

« Non aux OGM », « Stop au brevetage du vivant ». Le 13 décembre 2023, une centaine de personnes ont accroché des banderoles sur la façade des locaux d’Europa Expérience à Paris. Les militant·es de la Confédération paysanne, de la Coordination européenne Via Campesina, des Faucheurs volontaires, du syndicat belge Boerenforum ou encore de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab) ont occupé cette antenne des institutions européennes afin de faire pression et d’obtenir l’arrêt du projet de déréglementation des nouveaux OGM porté par la Commission européenne.

Le 5 juillet 2023, la Commission européenne a présenté une proposition visant à déréguler les nouveaux OGM, des semences obtenues via de « nouvelles techniques génomiques » (NTG), c’est-à-dire sans introduire un gène d’une espèce différente (lire page 12). Ce qui a ravivé (un peu) la flamme de la contestation anti-OGM qui avait agité le monde dans les années 1990-2000.

On revient presque vingt-cinq ans en arrière, à la phase des propositions sur la transgenèse.

P. Rivolet

« La question OGM est restée sous les radars pendant quasiment une douzaine d’années. Le débat sur les ‘nouveaux OGM’ n’est pas récent mais a mis beaucoup de temps à mûrir. C’est un dossier difficile à appréhender car vous parlez de technique, de réglementation, de législatif, analyse Patrick Rivolet, membre de la plateforme Objectif zéro OGM et président de Vigilance OGM et pesticides Charentes. Mais là, on revient presque vingt-cinq ans en arrière, à la phase des propositions sur la transgenèse. Il faut donc des mobilisations citoyennes importantes, que le monde paysan et les consommateurs prennent conscience des enjeux. Nous sommes dans un vrai état d’urgence, on nous dessine un autre monde pas enviable. »

Le retournement de l’Union européenne

Si l’opinion publique oscille entre méconnaissance du sujet et impression que la bataille contre les OGM est définitivement gagnée depuis des années, les réseaux militants les plus aguerris sont restés en alerte. La mise sur le marché des OGM est actuellement encadrée par la directive 2001/18 datant de 2001. Mais, pour les pro-OGM, les NTG ne doivent pas être incluses dans la même catégorie. S’engage alors un long bras de fer juridique. En 2015, la Confédération paysanne et plusieurs organisations de protection de l’environnement saisissent le Conseil d’État.

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Celui-ci interroge alors la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui rend un arrêt emblématique en 2018 : il acte la nécessité de reconnaître les NTG comme des OGM, donc de les soumettre aux mêmes évaluations des risques avant leur mise sur le marché. Les lobbys des industries biotechnologiques et des semenciers pèsent alors de tout leur poids pour inverser la machine. Leur rôle dans les vagues de répression contre les écologistes, notamment les Faucheurs volontaires en France, qui doivent faire face à de multiples procès, a aussi été déterminant.

Pour l’association Pollinis, qui œuvre depuis 2012 à la préservation des abeilles et autres pollinisateurs, le dossier des OGM ne doit pas tomber dans les mêmes écueils que celui des pesticides. « Les conséquences liées à ces plantes et produits OGM sont toujours trop méconnues. Nous voulons nous assurer que l’évaluation des risques est appropriée, que le principe de précaution sera appliqué vis-à-vis de la biodiversité, des insectes pollinisateurs », précise Charlotte Labauge, chargée de campagne chez Pollinis.

Nous voyons ce projet de règlement européen comme une fuite en avant du modèle agro-industriel.

C. Labauge

« Nous voyons ce projet de règlement européen comme une fuite en avant du modèle agro-industriel dominant, qui est destructeur pour les écosystèmes, poursuit-elle. Pour le moment, cette réglementation concerne les plantes OGM, mais nous savons que cela pourrait servir de base notamment pour le développement des micro-organismes qui donneraient la possibilité de modifier le microbiote des abeilles [lire p. 16]. Or nous luttons pour un autre modèle agricole, qui protège et respecte les écosystèmes. »

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Une cinquantaine d’associations environnementales européennes ont remis en février 2023 à la Commission une pétition signée par plus de 420 000 citoyens européens (aujourd’hui 530 000 signatures) pour montrer l’opposition à ce projet de règlement. Petit à petit, le front des opposants s’élargit. Les petits et moyens semenciers, tels les Français RAGT et Florimond Desprez, ont rapidement exprimé leur crainte au sujet des droits de propriété intellectuelle de ces nouvelles plantes génétiquement modifiées, question qui n’a pas encore été tranchée.

Confiance et transparence

D’autre part, la question de la transparence et de l’étiquetage des OGM mobilise les associations de consommateurs et des entreprises bio-agroalimentaires. Une tribune initiée par Lucas Lefebvre, cofondateur du magasin bio en ligne La Fourche, a recueilli plus de 130 signatures de représentant·es de distributeurs spécialisés bio, de producteurs, de transformateurs, de marques de l’agroalimentaire (Biocoop, Naturalia, La Vie claire, Demeter, etc.). Ce collectif, « Non aux OGM cachés », souhaite agir pour « garantir aux consommateurs qu’une alimentation sans OGM sera toujours possible » et la « transparence alimentaire, le respect de notre droit à tou·tes de savoir ce que nous mangeons ».

Les semences OGM ne vont pas résoudre les défis du monde agricole ces prochaines années.

P. Rivolet

En Allemagne, une lettre envoyée pour alerter la Commission européenne sur ce sujet a été signée par de nombreuses entreprises, et pas seulement celles du marché bio. Lucas Lefebvre a donc voulu impulser le même élan en France, « choqué de la dichotomie entre le peu d’écho auprès du grand public et l’importance de ce sujet pour le devenir de l’agriculture et de l’alimentation européenne ». L’angle d’attaque : la transparence alimentaire.

« Les OGM sont une véritable arnaque intellectuelle sur tous les plans, mais nous avons choisi de mettre la lumière sur l’importance du droit à l’information des consommateurs, qui est un sujet très consensuel, et un élément clé pour la relation entre le consommateur et le distributeur. Si on commence à leur cacher des choses sur les OGM, cela va éreinter leur confiance, déjà mise à mal par plusieurs scandales sanitaires ces dernières années », affirme le directeur général de La Fourche.

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Un sondage d’Ipsos, réalisé en 2021 dans les 27 pays de l’Union européenne, a montré que 68 % des Européens interrogés souhaitent que les aliments produits à l’aide de ces techniques soient étiquetés comme génétiquement modifiés. En France, un autre sondage commandé par Greenpeace en 2022 a montré que 92 % des personnes interrogées souhaitent que la présence de « nouveaux OGM » soit indiquée sur les emballages de produits alimentaires et que les enseignes de la grande distribution aient l’obligation de faire preuve de transparence.

« C’est un dossier global. Il faut comprendre que les semences OGM ne vont pas résoudre les défis du monde agricole ces prochaines années. Ce n’est qu’une question de business pour les entreprises phyto-semencières, s’insurge Patrick Rivolet. Au contraire, on y arrivera avec des semences travaillées par les paysans, adaptées au territoire, aux conditions climatiques, toutes différentes. Ça a fait ses preuves depuis plus de deux mille ans, il n’y a pas de solution miracle ! »

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Écologie
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OGM : ils reviennent !
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