Pour Théo – et les autres

Dans l’affaire Théo Luhaka, victime de violences policières, la République a prouvé qu’elle est capable de littéralement violer bien plus que ses principes.

Maboula Soumahoro  • 31 janvier 2024
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Pour Théo – et les autres
Théo Luhaka, à Bobigny, lors du procès aux assises, le 9 janvier 2024.
© Thomas Samson / AFP

C’est l’histoire, tristement banale, d’un jeune homme qui se rêvait footballeur professionnel. Et qui ne le deviendra jamais. Il y a sept ans, un contrôle d’identité d’une extrême violence a changé la vie de Théo Luhaka : une infirmité permanente. Théo Luhaka a grandi à Aulnay-sous-Bois, commune qui a offert à la France et au monde le rappeur Sefyu, la lumineuse Alice Diop et l’inénarrable Aya Nakamura. Aulnay-sous-Bois et la Seine-Saint-Denis sont loin de compter parmi « les territoires perdus de la République ». Pour preuve, la terrible blessure subie par Théo Luhaka il y a sept ans, perpétrée par une équipe de policiers. La République est bien présente dans le 93. Elle y déploie ses services publics. Mais de quelle manière ?

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Quatre policiers ont été jugés. Trois ont été reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés et se sont vus condamnés à des peines allant de trois à douze mois de prison avec sursis pour le délit de « violences volontaires ». On oubliera le « bamboula » lancé par un ou plusieurs des policiers ce jour-là, que Théo Luhaka a pourtant rapporté. Qui s’en soucierait ? Il ne s’agit pas de proposer un décompte ni de faire un bilan. Celui des violences policières exercées à l’encontre des populations cis et trans, homo, hétéro, bi, souvent jeunes, souvent – quoique pas exclusivement – masculines, issues des quartiers populaires, arabes, noires, musulmanes, roms ou asiatiques.

Comme l’ont scandé les militantes et les militants à l’énoncé du verdict : ‘À quand du ferme pour les policiers ?’

Il ne s’agit pas non plus de s’appuyer sur des chiffres et des statistiques pour faire la démonstration à la fois imparable et implacable du caractère systémique des violences exercées par les institutions dépositaires de la violence dite légitime. Pour cela, il suffit de se plonger dans l’ouvrage 100 portraits contre l’État policier, que le collectif Cases rebelles a publié il y a aussi sept ans (Syllepse). Un ouvrage important car il entreprend de restituer l’humanité pleine et entière des victimes qui ont été « étouffées, abattues, percutées, battues à mort, lors de contrôles, d’arrestations, d’expulsions, de mouvements sociaux, ou dans d’autres circonstances encore, par des policiers, des gendarmes », ainsi que celle de leurs familles et de leurs proches.

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Pour celles et ceux qui se méfieraient des ouvrages militants, à qui il serait impossible de reconnaître quelque capacité à produire savoirs et données scientifiques de valeur, les nombreux travaux du sociologue Mathieu Rigouste, très accessibles, ne laissent place à aucun doute. Faut-il dire que l’affaire Théo Luhaka est une honte ? Qu’elle scandalise ? Que c’est une histoire tellement française ? Dans cette affaire Théo Luhaka, la République a prouvé qu’elle est capable de littéralement violer bien plus que ses principes. Alors, comme l’ont scandé les militantes et les militants présents à l’énoncé du verdict, à l’image d’Urgence notre police assassine et du Comité vérité et justice pour Adama Traoré : « À quand du ferme pour les policiers ? »

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