« La mise à mort plane en permanence sur les prolétaires non-blancs »

Le sociologue Mathieu Rigouste montre comment la doctrine policière repose sur une politique raciste fondée, dans les quartiers populaires, sur « l’écrasement du quotidien » et la « distribution de la mort ».

Hugo Boursier  • 5 juillet 2023 abonné·es
 « La mise à mort plane en permanence sur les prolétaires non-blancs »
"« La logique répressive est liée à l’histoire coloniale » selon Mathieu Rigouste. Ici, des gendarmes, lors de la manifestation contre la réforme des retraites, le 8 juin 2023, à Paris.
© Lily Chavance

Comment le meurtre de Nahel par un policier, à Nanterre, illustre-t-il, selon vous, la logique néocoloniale et répressive qui traverse la doctrine policière dans les quartiers populaires ?

La logique répressive correspond à la fonction même de la police : contrôler, surveiller, réprimer les classes dominées. C’est sa fonction à travers l’histoire et c’est ce qui structure son action au quotidien. Dans la séquence néolibérale, cette dynamique est maximisée. Le système économique et politique repose sur une forme de ségrégation socioraciale. C’est pour cela que rien n’évolue du point de vue de l’État, alors que les luttes continuent de se renforcer et de se développer. Les classes dominantes vivent et se reproduisent sur ce système de pouvoir et de domination. Toutes les institutions participent à l’entretien de cette ségrégation socioraciale en agissant sur les questions liées à la santé, au travail, à l’école, au logement ou à la rue. Il faut de l’idéologie, du divertissement et de la force. Les violences policières font donc partie intégrante de ce système.

Mathieu Rigouste est l’auteur de La Domination policière, La Fabrique, 2021.

Vous parlez d’endocolonialité : comment se caractérise ce système ?

Ce caractère endocolonial est lié à l’histoire coloniale par des réseaux humains de policiers, d’administrateurs et de militaires formés dans les colonies et qui vont être progressivement réinstallés par la suite en métropole, notamment en lien avec la gestion des quartiers populaires. Par les armements, aussi : les fusils d’assaut vont d’abord être utilisés dans le domaine de la guerre coloniale puis apparaître dans le paysage intérieur. Et par les armes non létales, que j’appelle armes toxiques et de domination, d’abord expérimentées dans les domaines coloniaux pour être réagencées pour la police des quartiers populaires, les prisons ou aux frontières. Et enfin par les doctrines, notamment la contre-insurrection, dont la grille de lecture générale consiste à considérer que les classes populaires sont la matrice de toutes sortes de subversions. Une vision qui légitime la guerre policière pour maintenir l’ordre dans notre âge néolibéral et sécuritaire.

La domination policière rigouste

Y a-t-il un « permis de tuer » accordé aux policiers lorsqu’il s’agit de criminaliser les habitants des quartiers populaires ?

Des observateurs de la sociologie critique et les comités de personnes touchées par les violences policières parlent de « permis de tuer » pour désigner le fait que, même bien avant l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure [datant de février 2017], les policiers mis en cause continuaient à grimper dans leur carrière. C’est un système d’impunité – et, comme on le voit avec la caisse de solidarité pour le policier qui a tué Nahel, c’est un permis de tuer qui est valorisé. Que ce soit en termes d’élévation professionnelle dans la police ou de virilité. L’impunité judiciaire fait que les policiers peuvent user de régimes de violence féroces – qui, parfois, risquent de conduire à la mort – sans être inquiétés. Cela participe au fait que ces régimes de violence fonctionnent de manière systémique. La possibilité d’être mis à mort plane en permanence sur les prolétaires non blancs. La possibilité d’être mutilé, aussi : habiter les quartiers populaires, c’est connaître le risque de se faire pourchasser par une équipe de la brigade anticriminalité, d’être étranglé, de prendre un coup de Taser ou un tir de LBD, de perdre un œil. Ça fait partie d’un système d’écrasement de la vie quotidienne, conjugué à une politique de distribution de la mort. C’est ce qui définit la condition endocoloniale.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Pour aller plus loin…

Le réalisateur David Moreau accusé de viol, une information judiciaire ouverte
Justice 10 juillet 2025 abonné·es

Le réalisateur David Moreau accusé de viol, une information judiciaire ouverte

La technicienne ayant porté plainte pour viol contre le cinéaste lors du tournage de King (2020) a appris, cinq ans plus tard, son classement sans suite, au terme d’une enquête lacunaire dont Politis révèle des éléments exclusifs. Après une nouvelle plainte avec constitution de partie civile, une information judiciaire vient d’être ouverte.
Par Hugo Boursier
Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020
Enquête 10 juillet 2025 abonné·es

Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020

L’homme, alias Napoléon de Guerlasse, est l’administrateur du site Guerre de France, qui servait au recrutement du groupe jugé pour association de malfaiteurs terroriste. Militant d’extrême droite soutenu par le parti lepéniste aux municipales de 2020, son absence au procès interroge.
Par Pauline Migevant
« Les meurtres racistes actuels sont le prolongement du chemin intellectuel de l’AFO »
Entretien 3 juillet 2025 abonné·es

« Les meurtres racistes actuels sont le prolongement du chemin intellectuel de l’AFO »

Avocat de la Ligue des droits de l’Homme dans le procès du groupe d’extrême droite appelé Action des forces opérationnelles, Mohamed Jaite évoque la façon dont le racisme a été abordé au cours des audiences, parfois pour diluer les responsabilités.
Par Pauline Migevant
Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »
Justice 1 juillet 2025 abonné·es

Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »

Deux soldats franco-israéliens sont visés par une plainte de plusieurs ONG, déposée ce 1er juillet à Paris, pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis à Gaza. Ils sont accusés d’avoir participé à des exécutions sommaires au sein d’une unité baptisée Ghost Unit.
Par Maxime Sirvins